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La vision de la guerre au travers de la BD (1ère partie)

La guerre ou plutôt la vision de la guerre, ce qu’elle suggère comme traumatisme, chaos, dérèglement dans nos consciences, n’a jamais été aussi souvent mis en évidence dans l’édition qu’au cours des derniers mois. Cela est dû pour partie à l’actualité géopolitique ambiante, avec son lot de soulèvements et de protestations à l’ordre établi. Le climat social n’a jamais été aussi tendu et le contexte qui s’affiche dans les pays occidentaux n’a jamais été aussi proche de celui de l’entre-deux guerre avec notamment la montée des nationalismes dans nombre de pays européens. Aussi nous avons pris le parti de vous présenter une série d’albums touchant, de près, ou d’un peu plus loin, à la thématique de la guerre. Pour se souvenir que le conflit armé laisse bien souvent derrière lui des destins brisés et des séquelles qui ne se mesurent réellement que plusieurs décennies plus tard.

 

 

Les tranchées auront marqué la première guerre-mondiale. L’image de ces combats, menés depuis deux saignées creusées dans la terre où les hommes se trouvent englués avec comme toute compagnie des rats qui pullulent, est en chacun de nous. Elle trouve avec les Godillots, un récit qui renverse les codes pour offrir une vision teinté d’humour de cet épisode sanglant.
Un soir le ravitaillement des troupes du front n’arrive pas à passer la fameuse zone du Croquemitaine, entendez par là un no man’s land peu sympathique sur lequel les hommes en tunique bleue s’offrent au champ de tir de l’ennemi. Personne ne souhaite faire partie des heureux élus qui devront, à l’aide d’une mule, ravitailler ceux qui combattent en première ligne. Mais il faut bien que cette mission qui incombe à la division des lignes arrière s’accomplisse de la meilleure des façons. C’est pourquoi devant l’échec de la première tentative de livraison le capitaine rassemble les troupes sur la place du rapport, espérant que deux nouveaux hommes se portent volontaires. Palette et le colosse Le Bourhis seront désignés pour prendre la relève. Alors qu’ils s’enfoncent dans les terres en direction du front les deux compères font une halte à la ferme du Bourlon. Là, en explorant les sous-sols de cette habitation en ruine Palette découvrira une cave très bien achalandée… pour preuve le Côte de Beaune 1895 dont il se saisit. Mais le poilu fera une autre découverte surprenante, celle d’un garçon, Bixente, venu sur le front pour retrouver son frère.

Avec Les Godillots Olier et Marko offrent un récit qui regorge de moments drôles et tendres à la fois. Pour autant les deux hommes arrivent à nous faire ressentir les tensions qui animent les tranchées. Petit rappel d’un épisode sanglant de notre époque, le premier conflit mondial laissera des traces indélébiles dans les corps et les esprits. En réussissant à reconstituer une ligne de front et la vie qui prend forme tout autour, les auteurs des Godillots livrent un de ces albums sans prétention à première vue mais qui s’affiche comme incontournable une fois refermée la dernière page. A noter que le premier tirage de cet album qui se déclinera en série est accompagné d’un cahier de huit pages, La Gazette des Godillots qui reprend les reportages d’un envoyé spécial très spécial !

Olier et Marko – Les Goddillots T1 – Bamboo Edition – 2011 – 13,50 euros

 

Quel lien peut-il y avoir entre un sous-marin allemand de la seconde guerre mondiale, une expédition amazonienne au début des années 50 et Venise en 2059 ? Voici ce que le lecteur devra découvrir à la lecture de U-Boot de Jean-Yves Delitte. Les sous-marins allemands dénommés U-Boot ont véritablement existé et beaucoup d’entre eux ont été perdus ou égarés durant le second conflit mondial. Nombre de spécialistes reconnaissent aujourd’hui que leur cargaison peut s’avérer dangereuse pour l’équilibre écologique en raison des fioles de mercure qui étaient chargées à leur bord. Dans le récit qui nous occupe aujourd’hui il semblerait que les hommes d’équipage soient aux prises avec un mal étrange. C’est tout d’abord Herbert, jeune électromécanicien qui est découvert étrangement mutilé. Comment cela a-t-il pu arriver ? Les soupçons se portent rapidement sur un officier SS transportant une étrange cargaison, mais aucune preuve ne semble pouvoir éclairer réellement le commandant du submersible. Alors que le calme semble revenir peu à peu, un nouvel épisode macabre ravive les tensions à bord. A Venise, plus d’un siècle plus tard les morts s’accumulent aussi : un professeur et un étudiant en économie sont victimes d’une exécution digne d’un professionnel du crime. Le commissaire Fiorentiona chargé de l’enquête va ainsi faire appel à son beau-frère expert en bourse pour essayer de dénicher dans la thèse de l’étudiant l’élément déclencheur de cette tuerie.

Jean-Yves Delitte arrive, dans le premier volet de ce diptyque, à poser un suspense qui tient le lecteur en haleine jusqu’au bout de l’épisode, et ce, d’autant plus que les indices qui nous mettent sur la piste des liens qui réunissent les trois époques sont bien minces. Les décors qui composent ce récit, que ce soit le sous-marin allemand, la Venise futuriste ou la forêt amazonienne regorgent d’un luxe de détails qui participent à la mise en ambiance. Une belle réussite !

Jean-Yves Delitte – U-Boot T1 : Docteur Mengel – 12 bis – 2011 – 13,50 euros

 

Après quelques années passées loin de chez lui dans les colonies belges du Congo, Thomas retourne dans ses Ardennes natales, plus précisément à La Goffe, petit village situé non loin de Liège. Là il retrouve ses amis d’enfance, dont Joseph, curé atypique, braconnier à ses heures perdues et amateur de bon vin et Alice, son amour de jeunesse, aujourd’hui mariée à son frère Charles. Dans ce microcosme qui résume parfaitement la situation d’avant-guerre en Belgique, avec la montée du nationalisme via Léon Degrelle, fondateur du rexisme, mouvement d’ultra-droite, proche du nazisme, les tensions entre Thomas et Charles vont se trouver exacerbées par le climat ambiant et par l’amour que les deux hommes portent à la même femme. Raives et Warnauts, avec ce nouveau diptyque ambitieux, posent un regard acerbe sur la Belgique de l’entre-deux guerres. Ils établissent aussi un parallèle troublant avec la situation actuelle en Europe. D’un point de vue scénaristique, l’opposition des deux frères permet de poser le cadre des tensions et des rancœurs accumulées au fil du temps. Car tout sépare les deux hommes. Leurs idéaux tout d’abord, Charles symbolisant à merveille le notable établi qui voit d’un mauvais œil son frère aux idées subversives s’établir de nouveau dans la région. Thomas, lui, symbolise le dandy bourlingueur, qui a navigué en Amérique du Sud avant de rejoindre le Congo qu’il a dû fuir en raison d’une aventure avec la femme du gouverneur. Ouvert aux idées progressistes il accueille en Belgique Assunta, jeune espagnole à la beauté troublante qui doit dans son opposition à Franco la fuite hors de la péninsule ibérique. La « légèreté » de Thomas trouve une opposition radicale dans la rigueur de son frère prêt à tout pour préserver son statut de bourgeois de campagne. J’ai cru que Rex pouvait changer l’histoire de ce pays par un sursaut moral et spirituel… Créer une dynamique contre-révolutionnaire. Les démocraties pnt prouvé leur incapacité à lutter contre cet affairisme sans scrupule qui a conduit à la crise financière dont nous subissons encore aujourd’hui les effets… affirmera l’ainé des deux frères. Au-delà du domaine purement politique et éthique, Charles voit dans le retour de son frère le risque d’une aventure avec Alice. Comment la jeune mère réagira face au retour de celui qu’elle a aimé avant lui ?

Le récit soigné de Raives et Warnauts, se pose dans un cadre cohérent appuyé par une riche documentation. Rien n’est laissé au hasard, tout concours à faire naitre la dramaturgie dans cette époque encore trouble où chacun essaye de croire en des lendemains heureux. Un album qui pose un regard objectif sur la montée des nationalismes avec en toile de fond ce désir de nous faire réfléchir sur la portée d’une politique qui vise au repliement sur soit, à l’égoïsme et à la mise en avant de peurs chimériques. Là où la peur règne germera les idées qui conduiront l’homme à sa propre perte… Un premier volet qui se savoure de bout en bout.   

Warnauts & Raives – Les temps nouveaux T. 1 – Le Lombard – 2011 – 14,95 euros

 

Interview des auteurs

Votre album Les temps nouveaux aborde un sujet difficile car sensible, celui de la montée du rexisme (mouvement belge d’inspiration nazi) dans la fin des années 30. Tout d’abord pouvez-vous nous dire comment est né ce projet ?
Il y a un peu plus de deux ans, suite à la crise bancaire, la Belgique a connu d’importants bouleversements financiers. L’un des fleurons a subi de sérieuses turbulences avant d’être finalement racheté par Paribas… Très peu de temps après, un parti ouvertement populiste a vu le jour, le parallèle avec la crise de 1929 et ses répercussions sur les années trente nous a interpellé, les attaques de Degrelle le leader rexiste traitant les banquiers de « banksters » nous sont revenus en mémoire.

N’était-il pas difficile d’aborder une telle thématique par ce qu’elle réveille comme souvenirs ?
Difficiles, non. Cela nous a paru passionnant et surtout, fort à propos. Nous aimons coller à l’actualité, aux questions sociales, économiques et éthiques que connaît notre société. Parfois nous traitons ces sujets sans distanciation; parfois, prendre du champ permet de renforcer notre propos, de le mettre en exergue.

Aujourd’hui en Europe – si l’on regarde les situations aux Pays-Bas, en Autriche, en France et ailleurs -l’extrême droite n’a peut-être jamais été aussi forte. Selon vous peut-on établir un parallèle entre la situation de l’entre-deux guerres et la situation actuelle ?
En partie. Les poussées extrémistes, ces fièvres brunes récurrentes, s’articulent toujours autour des mêmes appuis: l’égoïsme, le repli sur soi, le rejet de l’autre, de l’étranger, de l’émigré qui tient lieu de bouc émissaire.

Si oui peut-on dire que cela met en exergue un échec (ou un manque) de la mémoire collective, que les effets de l’extrémisme ainsi marginalisés (comme c’est le cas actuellement) peuvent conduire à des situations tendues voire plus dramatiques ?
Ce qui nous surprend, en effet, c’est la permanence de ce processus…
On dirait que l’homme a un disque dur extrêmement faible ; la « chronique amnésie » que chantait Nougaro… Pour que les choses changent, il faudrait que les hommes politiques, c’est à dire nous, commencent par reprendre le pouvoir qu’ils ont laissé entre les mains des puissances économiques.

Si vous abordez un volet sensible de l’histoire vous avez souhaité également inscrire votre propos dans une histoire d’amour (ainsi que dans une amitié « vraie » entre Thomas et Joseph). Vous paraissait-il essentiel de ne pas seulement présenter des faits historiques mais aussi de tisser une/des histoire(s) autour pour donner une autre dimension à votre propos ?
Nous ne voulons pas être lourdement signifiants ou militant (même si nous défendons des idées). Nous partons toujours de la nature humaine, de ses contradictions, de ses richesses pour tisser une toile romanesque qui va entraîner le lecteur dans une histoire mais aussi dans une réflexion, une interrogation.

Vous avez souhaité inscrire votre récit dans un microcosme en l’occurrence un petit village ardennais. Pourquoi avoir fait ce choix ? Etait-il plus facile d’exposer les différentes thématiques que vous vouliez abordez dans votre récit dans un tel cadre ?
L’idée du village vient du fait que Guy habite en Ardenne dans un petit village qui ressemble furieusement à celui dépeint dans l’album. 
Il nous semblait intéressant, en nous éloignant de la ville, d’opposer au côté bucolique, la dure réalité historique de cette époque, de plus la région décrite était fortement rexiste avant-guerre.

Vous a-t-il était nécessaire de mener des recherches documentaires pour notamment recréer les décors et le contexte historique de l’époque ?
Comme à chaque fois, nous nous appuyons sur une documentation importante, iconographique, littéraire, et sur des témoignages s’attachant à l’époque que nous traitons.

Le premier tome s’achève sur un feu d’artifice dont l’apothéose est marquée par l’explosion d’un rocher sur lequel est gravée l’inscription Rex vaincra, pourquoi avoir choisi cet épilogue à cette première partie ? Un moyen de faire une transition avec la suite du récit ?
Il s’agit d’une métaphore. En explosant, le rocher fait éclater et disparaître l’inscription Rex (ceci est une anecdote réelle). Mais l’extrême droite en est-elle pour autant détruite ? Soixante-six ans plus tard, en écoutant les propos de Madame Lepen, on peut en douter !

Pouvez-vous déjà nous révéler quelques éléments de la suite de ce diptyque ?
Nous ne montrerons rien des cinq années qui vont suivre, nous reprenons le récit le 7 septembre 1944 avec la libération de Liège. Nous retrouvons les personnages à ce moment-là.

 


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