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Le coin des vieilles feuilles : Les phalanges de l’ordre noir de Pierre Christin et Enki Bilal (Dargaud)

Parfois, en cherchant une BD dans nos étagères il nous arrive de mettre la main sur un récit que l’on avait un peu oublié mais qui nous avait procuré pas mal de plaisir à sa lecture. Parfois encore on retrouve par accident, chez un soldeur, sur un marché ou ailleurs, un récit rare ou méconnu d’un auteur que l’on apprécie et la curiosité nous pousse à l’acheter. Le coin des vieilles feuilles, votre nouveau rendez-vous du lundi mettra en avant ce type de récit. Avec pas mal de surprises à la clé !

Cela aurait pu donner lieu à un fait divers de plus dans une Espagne touchée par près de quarante ans de franquisme, une Espagne muselée de l’intérieur, ankylosée par la mainmise de la religion et de valeurs morales qui n’autorisent aucunement à penser par et pour soi-même. Cette Espagne reste encore fragile, et ce même si le Caudillo s’en est allé. Sous surveillance permanente, muselé dans ses aspirations nouvelles qui passent par un retour des libertés a priori élémentaires, le pays a encore bien du parcours à accomplir pour parvenir à s’émanciper. Les Phalanges de l’ordre noir devaient sentir le vent tourner et se constituèrent pour imposer la peur, la crainte de représailles et inciter à ce jeu bien connu de la délation, qui fait toujours le plus d’adeptes en période de guerre.

Ce groupe terroriste composé d’anciens franquistes de la guerre civile, déboulent un jour de janvier dans une campagne enneigée située quelque part aux pieds de la Sierra de San Just. Les quelques maisons qui composent le village aragonais dans lequel parviennent difficilement les deux voitures et le camion bâché des phalanges semble paisible, presque oublié de tous. Et il aurait pu l’être si ses habitants n’avaient votés massivement à gauche lors des dernières élections. Mais l’Espagne qui n’en a pas encore fini avec ses vieux démons. Des hommes descendent alors des trois véhicules avec une rigueur toute militaire et commencent à arpenter le village, fusils et pistolets en main. Les quelques minutes qui suivront vont virer au cauchemar jusqu’à ce que la plupart des 72 villageois soient exécutés, pour l’exemple, pour rétablir « les valeurs de l’Occident chrétien » sur des terres égarées. Ce fait divers fait forcément l’objet de dépêches qui parviennent dans toute l’Europe et au-delà. De quoi interpeler Jefferson B. Pritchard qui voit dans cette résurgence d’un passé presqu’oublié les images d’un passé qu’il aurait bien aimé ne jamais voir resurgir. Il prend alors son téléphone et contacte des hommes et des femmes de sa connaissance. Des retraités ou semi-retraités qui ont jadis, durant la guerre civile joué un rôle non négligeable pour tenter de défendre la seconde République et les idéaux qu’elle défendait. Le but réunir une ancienne section des brigades internationales pour s’opposer aux Phalanges noires… Le début d’un périple baigné de sang.    

Le duo Christin/Bilal a fonctionné à merveille durant la fin des années 70 et jusqu’au milieu des années 80 en travaillant sur des projets ancrés dans un quotidien disséqué à merveille au point de donner une vision parfois anxiogène de ses développements futurs. Les phalanges de l’ordre noir se construit autour de cette résurgence des fascismes qui ont parcouru l’Europe. En 1979 date de la première publication de ce récit l’extrême droite italienne, espagnole et française, autour du MSI (Italie), de Fuerza Nueva (Espagne) et du Parti des forces nouvelles (France/Belgique) se regroupent pour former l’Eurodroite. L’Espagne post-Franco a suscité l’espoir d’un renouveau démocratique et d’une libéralisation de la vie publique passant par une opposition farouche sur la mainmise morale de l’église sur les actes du quotidien. Bilal et Christin évoquent ce tournant dans l’histoire au travers d’une opposition farouche entre des clans issus de la guerre civile espagnole qui vont s’écharper près de quarante ans plus tard. Au final peu survivront à cet affrontement. Même si l’Espagne n’a pas encore fini de régler ses comptes avec la période franquiste, les deux auteurs dénoncent la violence utilisée à des fins politique et idéologique comme unique arme là où pourtant le passé récent mettait en exergue sa folie destructrice aussi bien morale que physique. Un album qui a son âge mais dont les thématiques demeurent étonnamment contemporaines…

Pierre Christin et Enki Bilal – Les phalanges de l’ordre noir – Dargaud – 1979


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