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Le livre audio, perspectives et développements (2ème partie)

Nous vous avions présenté il y a quinze jours le premier volet de ce dossier consacré au livre audio. Nous poursuivons cette semaine avec un focus sur deux autres maisons qui ont inscrit ce produit culturel sur les devants de la scène. Difficile de dire quel sera l’impact du livre audio dans cinq ou dix ans. Explosion ou pas des ventes et multiplication des œuvres enregistrées ? ou bien semi-clandestinité pas forcément nocive en terme de qualité des supports gravés ? Des questions qu’il faut se poser aujourd’hui pour pouvoir comprendre ce que sera le livre audio demain… Nous aimons entendre Hélène Lotito (Éditions Thélème) affirmer : qu’une lecture est l’incarnation d’une écriture et non d’un personnage car cela donne toute la pertinence au livre-audio qui devient non pas un film sans image ou du théâtre sans scène mais bel et bien une écriture révélée avec la sensibilité, la recherche de l’essence du texte et de sa portée. Pour Sébastien Bressand (Grinalbert) plutôt que de produire un simple substitut de lecture, [l’idée] était de profiter du changement de support pour amener un éclairage alternatif sur les textes, une proposition de lecture en quelque sorte. Nous le voyons au travers de ces deux exemples, le nouveau support va au-delà de la simple lecture et se veut perception. Cette perception qui vise incontestablement à l’enrichissement de l’œuvre perçue. Donc complémentaire de notre propre lecture livre en main…

Une maison d’édition c’est avant tout un catalogue et des auteurs défendus. Des projets pas toujours évidents qui visent à remettre à l’ordre du jour des textes oubliés, comme le fait Grinalbert ou des textes réappréciés à la vision de l’acteur qui incarne l’œuvre, comme c’est le cas avec Proust pour Thélème… Bref un parcours sinueux qui mérite notre attention.


Editions Thélème

Avouons-le humblement, l’idée du dossier que nous vous proposons ici vient d’un spectacle de lecture publique autour de Proust (A la recherche du temps perdu) donné au Studio des Champs Elysées il y a près de deux ans maintenant avec la participation de Xavier Gallais, Bernadette Lafont et Robin Renucci. Ce spectacle initié par les éditions Thélème prouve que la lecture peut être ou doit être vivante. Pour apprécier le catalogue de ces éditions il faut citer, dans le désordre quelques-uns des auteurs qui le composent : l’américain Paul Auster côtoie ainsi Roland Barthes, Freud, Victor Hugo ou Stephen King. Aucun style n’est négligé, que ce soit la poésie, le polar ou la littérature classique ou contemporaine. Pour autant, le catalogue des éditions Thélème n’est pas un fourre-tout réducteurs d’œuvres essentielles, il s’attache avant tout à l’interprétation de textes riches, sensibles, essentiels, chacun dans leur style à la littérature. Thélème est aussi, nous l’avons dit l’éditeur de l’intégrale de A la recherche du temps perdu, un volumineux coffret de 111 CD !, des intégrales des œuvres de Baudelaire et Rimbaud (poésie et correspondances). Avec pour chaque projet des acteurs/lecteurs de choix, comme les immenses Denis Podalydes, Denis Lavant ou Michael Lonsdale, gage de réussite pour ces beaux projets ! Il nous a été permis de découvrir plusieurs projets de cette maison d’édition : Christine de Stephen King, interprété par Paul Barge, Les Fleurs du mal de Baudelaire lu par Michel Piccoli, Denis Lavant, Guillaume Gallienne et Eric Caravaca et enfin L’art d’être grand-père de Victor Hugo lu par Michael Lonsdale. C’est ce dernier titre que nous avons souhaité mettre en avant, notamment pour l’interprétation bouleversante de l’immense acteur franco-anglais. Michael Lonsdale, a joué sous la direction des plus grands cinéastes : Luis Buñuel, Louis Malle, Jean Eustache, François Truffaut, Orson Welles, Jean-Pierre Mocky, Raoul Ruiz, Steven Spielberg… Le texte de Victor Hugo, entre les mains de l’acteur, devient un grand moment de plaisir, car il sait tout en étant respectueux des intentions de l’auteur, s’approprier les mots, les faire vivre avec rythme, en usant d’un phrasé qui capte immanquablement l’attention. Michael Lonsdale réussit ainsi, comme peut le faire Denis Lavant ailleurs, à rendre accessible le texte par toute la dimension qu’il lui donne… Un grand moment d’écoute pour cette œuvre singulière de Victor Hugo, écrite en 1877 suite à la mort de son fils Charles et de sa femme. L’auteur prendra en charge Georges et Jeanne, ses deux petits-enfants qui lui donnent l’inspiration pour écrire ces poésies faites des observations et de ses rapports avec les deux jeunes enfants qu’il élève seul, avec une tendresse qui se lit au travers de ces quelques textes essentiels.

A voir : http://www.editionstheleme.com/

 

Questions à Hélène LOTITO (Éditions Thélème)

L’édition audio, complémentaire ou alternative à l’édition « classique » ?
L’enregistrement d’un texte est une approche particulière, une intimité avec la lecture, un rapport aux mots différents, je dirais donc qu’écouter un livre est souvent complémentaire de la lecture intime. Il est tout à fait possible de découvrir une oeuvre lue par un acteur que l’on aime, mais il est aussi fréquent de redécouvrir un texte tel que ce le sera approprié un lecteur.

Quel est votre public cible ?
Le public du livre audio est éclectique et tend à se diversifier encore davantage depuis quelques temps : les personnes mal-voyantes bien sûr ont un rapport immédiate à ce produit, mais aussi pour beaucoup les personnes qui voyagent souvent car les transports sont propices à l’écoute, également tous ceux qui sont liés au théâtre ou à la radio et qui aiment les belles voix (par exemple les personnes qui travaillent en atelier, ou chez eux…) et enfin nous voyons de plus en plus de jeunes actifs qui manquent de temps et qui se mettent aux livres audio pour leurs enfants et aussi pour eux-mêmes. Pour finir, c’est un cadeau original de fin d’année, et à cette époque de l’année, le public est absolument divers.

Quels sont les retours sur vos publications ?
Les médias commencent à s’intéresser au livre audio, mais c’est très récent. La part du livre audio dans le marché du livre représente 10% aux Etats-Unis et 0,7% en France, la visibilité n’est pas donc aussi vive ici qu’ailleurs. Cependant deux nouveaux prix récompensent le livre audio : Lire dans le noir (et les éditions Thélème viennent d’être récompensées cette année pour la lecture du Joueur d’échecs de Stefan Zweig par Jacques Weber !) et La Plume de Paon en partenariat avec Europe 1 (qui a récompensé l’année dernière Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde lu par Denis Podalydès avec le Prix du public) permettent une certaine visibilité. Le public quant à lui semble également découvrir le livre audio : un peu moins de regards étonnés à l’énoncé du mot lui-même !

Comment définissez-vous votre programme de publication ?
Les éditions Thélème ont pour ligne éditoriale : « De grands auteurs lus par de grands acteurs ». Notre catalogue propose des titres de littérature française et étrangère, souvent classiques, pour porter les textes du patrimoine à nos oreilles. Par exemple la parution de l’intégrale d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust a paru il y a quatre ans dans un coffret de 111 CD (140 heures d’écoute) lue par André Dussollier, Lambert Wilson, Robin Renucci, Guillaume Gallienne, Denis Podalydès et Michael Lonsdale, et il s’agit de notre meilleure vente ! De plus en plus, nous ouvrons le catalogue à des textes plus contemporains comme Stephen King ou, dans un tout autre registre, Roland Barthes, pour rendre plus vivante l’image du livre audio et diversifier l’offre. Les éditions Thélème cherchent à rendre sonores des textes forts qui gagnent à être entendus.

Comment choisissez-vous vos lecteurs/acteurs/conteurs ?
Le choix de la voix et du souffle qui habitent un texte est fondamental. Il faut que le lecteur se fonde dans un texte et qu’il le mette en valeur (et non l’inverse !)
Le choix le plus audacieux des éditions Thélème est sans doute la lecture du Dahlia noir de James Ellroy par Elodie Huber : le narrateur est un homme, violent et anciennement boxeur, et c’est une jeune femme qui dit « je ». Il s’agissait pour nous de montrer qu’une lecture est l’incarnation d’une écriture et non d’un personnage, que c’est un art à part entière. L’histoire retrace le meurtre d’une jeune starlette dont le souvenir hante les différents protagonistes, la lecture par une voix féminine ne fait qu’ajouter au trouble général de l’écoute.

Concernant les chiffres :
Tirage moyen ?
Petit tirage : 1000 ex

Vente moyenne et meilleure vente ?
Une vente moyenne pour un an est de 1000 ex
La meilleure vente (Du côté de chez Swann) : 3000 ex

Quelles sont les perspectives de développement ?
Le livre audio se développe de mieux en mieux.
Les éditeurs à qui l’on demande des droits nous suivent davantage, ce qui est bon signe, et les acteurs prennent l’exercice avec davantage d’intérêt. Nous avons organisé pendant plus d’un an des lectures les dimanches et lundis au Studio des Champs-Elysées puis au théâtre La Bruyère des Lectures d’Instants choisis de Marcel Proust avec Bernadette Lafont, Robin Renucci et Xavier Gallais (puis les acteurs ont tourné) et le public a beaucoup apprécié ces lectures épurées. Il ne tient qu’à nous de faire le pont entre ces spectacles et les livres audio.

 

Grinalbert

Les éditions Grinalbert ne disposent pas des mêmes moyens que d’autres éditeurs. Pourtant elles proposent des textes de qualités d’auteurs de la littérature classique tels Guy de Maupassant, Prosper Mérimée, Alphonse Daudet, Octave Mirbeau, Emile Zola… Un travail fin mené avec des acteurs qui donnent corps au texte en le faisant véritablement vivre, nous révélant ce qu’il faut lire entre les lignes. Nous avons pu découvrir des textes d’Anatole France (Putois, Le petit soldat de plomb, Edmée ou la charité bien placée), d’Alphonse Allais (Le langage des fleurs, Savoir hennir, Le Chambardoscope), et les contes érotiques, recueil de textes traditionnels lus par Edith Montelle, tous véritablement bien interprétés et qui possèdent l’intérêt d’être moins connus que les œuvres majeures de ces auteurs. Nous avons choisi de vous parler des trois textes d’Emile Zola, Les Repoussoirs, Celle qui m’aime et Les Disparitions mystérieuses qui composent un album original qui je l’avoue est particulièrement prenant et jubilatoire en terme d’écoute. Les Repoussoirs présente l’utilisation par un entrepreneur de femmes laides au service de femmes du monde. Par ce biais, Zola pose un regard acerbe sur une société qui se construit sous le biais de l’apparence. Ce texte fourmille d’éléments drolatiques et se savoure d’un bout à l’autre. Le second texte, Celle qui m’aime, tiré du recueil Contes à Ninon, poursuit sur un registre semblable, il présente une fille à contempler dans une foire foraine et qui envoie des baisers aux hommes qui la contemple. Les Disparitions mystérieuses complètent ce livre audio et, même si le texte est plus bref que les précédents, il participe lui aussi à révéler une autre facette de Zola. En cela, ce livre-audio, lu magistralement par un Bernard Petit pétillant, mérite une écoute attentive ! le livre audio à son meilleur…

A voir : http://www.grinalbert.fr/

 

Questions à Sébastien BRESSAND (Grinalbert)

L’édition audio, complémentaire ou alternative à l’édition « classique » ?
En ce qui nous concerne : complémentaire. Nous considérons qu’elle n’est alternative que dans le cas très spécifique d’une compensation d’un handicap. Mal et non-voyants n’ont en effet, hormis le braille, pas d’autre choix que l’audio pour accéder aux contenus généralement véhiculés par l’écrit (la formule est choisie afin de ne pas restreindre le champ d’application de l’audio à la seule littérature). 
Lorsque nous nous sommes lancés dans l’édition de livres-audio, il y a maintenant 5 ans, ce qui nous intéressait, plutôt que de produire un simple substitut de lecture, c’était de profiter du changement de support pour amener un éclairage alternatif sur les textes, une proposition de lecture en quelque sorte. Le caractère figé de l’enregistrement nous paraît encourager à ça ; il faut tirer parti du fait qu’il s’agisse d’une interprétation possible et en profiter pour aller au bout des possibilités offertes par l’audio. En aucun cas ça ne remplace une lecture. Ajoutons-y les vertus pédagogiques : apprentissage des langues (avec une densité de texte supérieure et un vocabulaire plus diversifié que les films), enseignement du français et de la littérature à l’école, etc.

Quel est votre public cible ?
Au risque de vous surprendre, on ne sait pas trop. Je crois qu’en fait, personne ne sait vraiment (voire les voltes-faces d’Audiolib par exemple) et que le public est assez hétérogène. Pour une part que je ne saurais estimer, très certainement un public mal ou non-voyant, mais également des personnes âgées qui ne peuvent plus lire (mais qui sont rarement les acheteurs proprement dits, les livres-audio leur étant offerts par des proches sensibilisés à leur perte d’autonomie). Le support touche apparemment aussi une part importante de gens qui font de la route et qui en profitent pour écouter un livre plutôt que la radio. Et nous l’espérons, des gens curieux tout simplement pour leur plaisir.

Quels sont les retours sur vos publications ?
Pour les retours publics, ils sont essentiellement constitués par les conversations que l’on peut avoir lorsque nous sommes présents sur des salons. En complément, nous recevons quelques coups de téléphones et e-mails. Pour la presse et les médias, la situation nous paraît fluctuante. Au niveau régional, lorsque nous avons commencé, la plupart des retombées que nous avons eu étaient plutôt dues à l’effet « nouveauté » du produit, encore très peu médiatisé. Au niveau national, c’était le silence ou peu s’en faut. Depuis l’arrivée d’Audiolib sur le marché, beaucoup de choses ont changé. Le support est en passe de s’imposer dans les esprits et la plupart des grands médias ont déjà au moins une fois traité le sujet. Pour nous, les retombées sont essentiellement indirectes. Nous avons bénéficié ici ou là de quelques lignes sur internet ou dans des journaux spécialisés, mais comme nous avons toujours privilégié une implantation sur le terrain à une vitrine médiatique, les effets se font sentir directement sur les ventes en librairie et sur les sites internet dédiés, que nos titres aient été cités ou non.

Comment définissez-vous votre programme de publication ?
Nous avons commencé par éditer une série de littérature. Notre volonté étant de choisir des œuvres pour leur grande qualité littéraire intrinsèque, mais aussi pour leur thématique. Nous avons envie de souligner la modernité et la pertinence d’œuvres qui malgré leur grand âge, sont en résonance avec des problématiques contemporaines. Par nos choix esthétiques (la voix est nue et les textes travaillés pour en rendre toute leur qualité littéraire) et éditoriaux, nous avons envie de faire découvrir ou redécouvrir des œuvres ou des auteurs et d’encourager nos auditeurs à se replonger dans les textes.
Cette année, nous avons commencé à élargir notre champ d’investigation. Nous avons publié au printemps un premier volume de contes pour adultes. Il s’agit de contes érotiques traditionnels, enregistré en collaboration avec Édith MONTELLE, conteuse confirmée de renommée internationale, auxquels nous avons adjoint un habillage sonore.
Et, last but not least, nos titres valent aussi pour le plaisir que nous trouvons à les enregistrer et à les travailler.

Comment choisissez-vous vos lecteurs/conteurs ?
Nous avons commencé à travailler avec des comédiens qui étaient nos amis (qui le sont toujours au demeurant) et au fur et à mesure des rencontres, nous élargissons notre « carnet d’adresses ». Au delà des critères « talent » et « compétence », nous privilégions systématiquement les comédiens avec lesquelles nous pouvons avoir une relation dépassant la simple prestation de service et nous essayons, autant que faire se peut, d’attribuer les œuvres à enregistrer en fonction du style de chacun. Ce qui nous plaît, c’est aussi l’idée que tout le monde y trouve son compte.

Concernant les chiffres :
Tirage moyen : 1000 exemplaires. En deçà, un pressage n’est pas économiquement viable.

Vente moyenne et meilleure vente : Pas forcément simple à évaluer. On atteint assez rapidement les 200 exemplaires vendus d’une référence l’année de sa sortie, ensuite, cela varie selon les titres. S’agissant essentiellement de « classiques » de la littérature, nos références fonctionnent plutôt bien dans la durée. La meilleure vente est incontestablement notre CD MAUPASSANT Le Parapluie, paru en février 2007 et dont nous avons écoulé environs 800 exemplaires à ce jour. Le CD de contes érotiques paru au printemps arrive à 200 ventes en cette fin d’année, et la nouveauté Alphonse ALLAIS (parution octobre 2010) vient de dépasser les 100 exemplaires facturés. Nous constatons cette année une embellie assez flagrante.

Quelles sont les perspectives de développement ?
Nous pensons qu’elles sont importantes. Le support livre-audio commence seulement à trouver son public en France et il reste encore beaucoup de monde à toucher. Le potentiel est énorme, de part la variété des approches : de la lecture littérale à l’adaptation type feuilleton radiophonique en passant par les créations directement destinées au support audio. Tout est possible. Nous ne sommes qu’au début de l’aventure même si nous pensons que le livre-audio restera marginal par rapport au livre traditionnel.


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