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L’écriture comme poésie musicale…

Le pouvoir des mots. Ils agissent indéniablement sur nous comme des facilitateurs de rêves, nous transportent vers des ailleurs toujours plus bigarrés et pluriels. Ils permettent de nous lier aux gens, de mêler les sensibilités et les regards que nous portons sur le monde. Les mots peuvent aussi laisser exploser leur musicalité et certains l’ont mieux compris que d’autres. Troubadours des temps modernes, les chanteurs, en habiles artificiers, mesurent toute la richesse qui naît des nuances qu’ils peuvent donner aux mots, toute la symbolique qui peut se détacher de telle ou telle acception. En cela leurs textes fourmillent de pépites brutes capables de nous ouvrir vers des ailleurs toujours plus colorés. Lorsqu’il devient écrivain, le musicien prolonge son expérience par des variations de style. Il se fait maître d’univers dans lesquels nous plongeons avec peu de résistance, sûrement car, même si nous n’en connaissons pas par avance la destination, nous en devinons déjà la saveur… Voyage à travers les mots et des histoires outrageusement poétiques… 

Alors que la rentrée littéraire se prépare avec la pression naturelle que cela occasionne pour l’ensemble du secteur de l’édition, notre rubrique littéraire, qui n’hésite pas à se teinter de couleurs musicales dès lors que cela lui est rendu possible, achève sa première saison. Quoi de mieux que de boucler ce cycle par un dossier entièrement consacré aux musiciens-écrivains ?

Parmi les projets les plus récents et convaincants nous retrouvons en France Yves Simon, couronné du prix Médicis en 1991 pour La dérive des sentiments et qui nous reviens avec un roman tout aussi essentiel : La Compagnie des femmes une autobiographie fiction hommage vibrant aux femmes. Dans ce nouveau roman un écrivain sexagénaire décide sur un coup de tête de quitter Paris en voiture pour rejoindre une destination qu’il ne connaît pas encore. Il décidera finalement de se rendre dans le sud, prétextant un passage à Lyon qui doit lui permettre de rendre hommage à Vincent, un ami d’enfance décédé. En quittant Paris, il quitte aussi Léonie, la femme qu’il aime et qui occupera ses pensées tout au long de ce voyage. Mais pourquoi partir ? il ne le sait pas vraiment lui-même, bonne question (…) le désir simple de me retrouver sur une autoroute comme du temps de mes années vagabondes, partir sans but, pour le goût inavoué de me fragiliser, redevenir un voyageur céleste.  Pour l’écrivain, la fuite n’en est finalement pas une. Outre le prétexte d’un passage à Lyon, ce voyage dans le vide doit lui permettre de revenir aux sources, de faire un point sur sa vie d’homme, de repenser aux êtres qui lui sont chers dont sa mère dont il était fier qu’elle soit jeune et belle lorsqu’il se rendait à l’école, cette mère que l’on prenait pour sa grande sœur et qui débordait d’affection. Les kilomètres défilent sur le compteur et l’homme construit son background musical, littéraire et cinématographique. On est toujours influencé par des actes culturels et notre homme le sait mieux que quiconque lui qui vénère Camus, Céline, les écrivains de la beat generation, Jean-Luc Godard, Chris Marker, Miles Davis, Duke Ellington, Lou Reed, Springsteen… Autant d’artistes qui occupent ses moments de solitude. Au cours de ce voyage il rencontrera des femmes, mais lorsqu’il les quittera, l’image de Léonie reprendra incontestablement le dessus. L’homme finalement par cette fausse fuite, cette descente aux abîmes sur les chemins sinueux d’une introspection salutaire, reverra le jour. La lumière, c’est elle qui cartographie les visages pour venir nous émouvoir, elle encore qui romance les hommes et les femmes. Son amour pour Léonie sortira renforcé de cette expérience. Un roman qui respire la poésie et cet amour des femmes… Un grand moment de lecture (Yves Simon – La compagnie des femmes – Stock – 2011 – 19 euros).

Ecrire un roman n’est pas la plus facile des choses. Romain, le héro du nouveau récit de Guy Marchand, s’en persuadera très vite. Car pour cela il faut déjà croire en son histoire, savoir que d’un petit brin de vie, d’un évènement sans importance particulière à ses propres yeux peut naître l’histoire qui fera battre le cœur de ses lecteurs. Ancien officier de l’armée française, envoyé en plein conflit algérien en 1959, le jeune homme qu’il est va être victime d’un tir isolé alors qu’il prospecte dans la région de Djelfa. Son agresseur sera vite débusqué mais il lui laissera la vie sauve. Emporté dans un hélicoptère vers le centre de soin le plus proche, il manque de perdre la vie. Plongé dans un rêve étrange il aperçoit, à travers les portes d’un paradis céleste, les écrivains qui l’accompagnent depuis toujours, St-Exupéry, Romain Gary, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Malraux… Au cours de ce voyage Romain Gary lui conseillera d’écrire un roman. Retour en France. Blessé de guerre, l’homme cherche l’inspiration à ce roman. Mais sa petite vie ne l’inspire guère et sans inspiration, il n’y a pas de bons écrivains. Romain avait 60 ans et il continuait à se promener dans la vie sans aucune utilité pour lui-même et, plus grave, pour les autres. Alors qu’il essaye d’écrire à la terrasse des cafés où ses illustres guides ont sévit, une jeune femme, Evelyne, l’accoste. Il vivra une brève histoire passionnelle avec elle, crapahutant dans la capitale devenue territoire de jeu et d’inspiration.
A l’autre bout de la France, un algérien nommé Saïd s’éteint. Il est l’homme sauvé par Romain à Djelfa. Avant de mourir, il narre à sa fille, Samira, l’histoire qui s’est déroulée quelques années plus tôt. Elle essaiera de retrouver l’homme qui contre toute attente a sauvé son père d’une mort certaine. Mais les destins se croisent parfois sans pouvoir se lier…
Ce roman d’une grande humanité évoque des sujets sensibles, la guerre d’Algérie, les blessures de l’âme, la nostalgie, le pardon et l’amour impossible. Le soleil des enfants perdus évoque aussi la littérature et la peur de l’écrivain devant une page blanche, qui n’est qu’une mise en exergue des doutes qui s’insèrent sournoisement en chacun de nous et nous font passer à côté des choses simples de la vie. L’écriture de Guy Marchand va à l’essentiel, nous touchant indéniablement au cœur (Guy Marchand – Le soleil des enfants perdus – Ginkgo – 2011 – 12 euros).

Mathias Malzieu le chanteur du groupe Dionysos, remarqué notamment pour La mécanique du cœur nous offre un petit ouvrage « récréatif », 38 mini-westerns, édité tout récemment en poche chez J’ai Lu. Ce recueil d’histoires ou historiettes tout droit sortis de l’imaginaire foisonnant de cet artiste singulier nous plonge dans un univers qui oscille entre rêves éveillés et sombres cauchemars. Au détour des pages nous partons ainsi à la rencontre d’elfes, de sirènes, d’écureuils, de fantômes et de tout un bestiaire féerique fait de carton de pâte et de vieux tissus d’un blanc immaculé. Ces histoires ont pris corps lors des tournées de l’artiste, lorsqu’il sillonne les routes et qu’il essaye d’échapper l’espace d’un instant au palpable. Ces textes jetés sur une feuille blanche donnent corps à des récits fantastiques teintés d’humour – noir parfois – mais profondément humains. La gravité n’est jamais bien loin car notre monde se décrépi avec une douce régularité. Les kinders surprises cachés dans les poches des clochards meurtris possèdent incontestablement un goût amer. Pour autant les abysses du réel n’ont aucune prise sur la force des rêves, tout au plus peuvent-ils nous faire douter de notre capacité à construire des récits toujours plus alambiqués et foncièrement loufoques. Mais que peut le réel sur la grande machine à rêves ? Nous possédons peu de choses et nous en possèderons sûrement de moins en moins mais rien ne doit nous faire douter de notre ardeur et de nos envies d’ailleurs. Si nos esprits se perdaient toujours plus dans des no man’s land fantastiques et terriblement jouissifs, peut-être que notre monde (re)gagnerait le droit de nous émerveiller… (Mathias Malzieu – 38 mini westerns – J’ai Lu – 2011 – 4,80 euros)

 

Et aussi…

D’autres récits entrent dans la catégorie du très recommandable. Citons déjà les deux récits de Nick Cave, Et l’âne vit l’ange de 1989 et le plus récent Mort de Bunny Monroe, récit tout aussi possédé du musicien aux textes acérés. La lente traversée du sud de l’Angleterre d’un homme, vendeur de produits de beauté, récemment veuf, et de son fils Bunny Jr. Un rythme et un style qui n’appartiennent qu’à Nick Cave, en tout cas une lecture saine… (Nick Cave – Mort de Bunny Monroe – Point – 2011 – 7 euros) Autre lecture hautement recommandée, celle du premier roman-polar de Joseph d’Anvers. Le chanteur des Jours sauvages nous offre un récit noir situé à Pigalle en 2024. Une sombre histoire de meurtres perpétrés lors d’une tournée d’un groupe de rock, une immersion dans un milieu déliquescent où s’échangent plus que des riffs de guitares endiablés (Joseph d’Anvers – La Nuit ne viendra jamais – La Tengo – 2010 – 8,50 euros)

Nous rappelons enfin les récits dont nous vous avons déjà parlé précédemment, à savoir ceux de Gil Scott-Heron, Le Vautour et de Bertrand Betsch, Elle dit…


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