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Les BD du mercredi : Fréhel (Nada), Vanikoro (Daniel Maghen) et Xibalba (2024)

Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !

Il est des personnalités qui marquent leur époque. Fréhel (Marguerite Boulc’h de son vrai nom) était sans conteste l’une d’elles. Et pourtant, rien n’a jamais été facile pour cette chanteuse au grain de voix si particulier, passée dans le patrimoine français. Une mère qui l’abandonne à la naissance à sa grand-mère, en Bretagne, où elle passera une partie de son enfance avant de revenir proche de Paris, à Courbevoie, où elle errera dans les rues de la ville jusque tard le soir pour ne pas essuyer les cris de sa mère qui ne « veut pas être dérangée quand y a des messieurs qui passent la voir ». C’est sur le bitume que la jeune Marguerite forgera son destin en écoutant, à la fenêtre des bistrots, les chanteuses de son quartier, puis en passant de l’autre côté de la vitre pour pousser elle-même la chansonnette devant un parterre de badauds subjugués par sa voix déjà très marquée et si personnelle.

La jeune chanteuse gagne ainsi ses premiers sous qu’elle cache sous son oreiller. Tout s’accélère ensuite pour Marguerite, qui n’est pas encore Fréhel. De bistrots en bistrots son nom commence ainsi à circuler dans une Belle Epoque marquée, comme son nom ne l’indique pas forcément, par un certain malaise social d’un milieu ouvrier (déjà) demandeur d’une meilleure répartition des richesses issues d’une force de travail peu ou mal récompensée de ses efforts. Marguerite chantait la vraie vie. Celle des rues sombres où les catins vendent leur corps, celle des ouvriers qui vivotent à la recherche d’un bout de pain ou d’un toit, celle encore où la guerre laisse trop d’hommes sur le carreau. Elle chantait aussi l’amour. Celui qui fait mal à l’heure des souvenirs : « Dans la tristesse et la nuit qui revient – Je reste seule, isolée sans soutien – Sans nulle entrave, mais sans amour – Comme une épave mon cœur est lourd – Moi qui jadis ai connu le bonheur – Les soirs de fête et les adorateurs – Je suis esclave des souvenirs – Et cela me fait souffrir. » Elle connaîtra la gloire, les amours, dont un marquant avec Maurice Chevalier, le contact avec le public où il fallait parfois faire preuve de répondant. Elle connaîtra aussi les travers du succès : la drogue, l’alcool, la solitude…

Pour retranscrire ce parcours atypique Johann G. Louis choisit de partir d’une biographie par époque pour ne pas perdre son lecteur et insister sur les moments clefs de la vie de Fréhel. Sur la forme, il opte pour un travail à l’aquarelle d’une grande fraîcheur qui permet de projeter sur ce destin les couleurs qui lui sont attachées. Vives, plurielles, légères à l’image d’un personnage dévoué à ceux qui l’ont porté tout au long de sa carrière : le public des bas quartiers et des soupes populaires, des ouvriers et des blanchisseuses, des catins et des soiffards, à qui elle apportait un rayon de soleil, le temps d’une chanson. Magistral !
Johann G. Louis – Fréhel – Nada

 

C’est à l’initiative de Louis XVI que l’expédition dirigée par le capitaine de vaisseau La Pérouse voit le jour. En 1785, le roi lui propose d’effectuer un tour du monde qui lui permettra d’enrichir les connaissances scientifiques en termes de botanique mais aussi de découvrir d’éventuelles terres non encore foulées par des pieds européens. Trois ans plus tard, après avoir quitté les côtes australiennes, La Boussole et L’Astrolabe, les deux frégates appareillées, sont prises dans un cyclone à proximité de l’île de Vanikoro : « le ciel s’est soudain obscurci… Les déferlantes nous ont submergés… Les récifs nous ont déchiquetés… Et l’océan a fini par nous avaler ». Échoués sur les plages de l’île quelques survivants de l’Astrolabe tentent de s’organiser mais les autochtones ne semblent pas disposés à les accueillir. Quelques hommes tenteront de s’enfoncer dans la végétation luxuriante d’une île aux mille dangers tandis que le principal des survivants devait organiser un fort de fortune, à proximité de la plage, après avoir récupéré sur l’Astrolabe la plupart de la cargaison, notamment les vivres, les armes et les toiles de tentes. Une question apparait aussi très vite : Qu’est devenue La Boussole, la frégate dirigée par La Pérouse ? A-t-elle pu surmonter le déluge des éléments ou a-t-elle coulé par le fond sans laisser de traces ?

Au départ, un pitch pas forcément révolutionnaire : les derniers moments d’une expédition maritime à des fins scientifiques, échouée sur une île pas forcément hospitalière. La présence de peuples premiers en partie belliqueux et coupeurs de têtes, celle d’un trésor composé de florins et de piastres et le mystère de la disparition d’une frégate. Puis, la magie se développe par l’entremise d’un dessinateur-aquarelliste hors pair qui devait lier les éléments entre eux pour faire croître la tension. Patrick Prugne sait, en peu de place, construire les caractères de ses personnages et dessiner leurs buts premiers. Là où le récit aurait pu sombrer dans une certaine redondance de cadres et d’objectifs, il parvient à développer des micro-récits qui donnent corps au drame principal. Il peut le faire d’autant mieux que, encore aujourd’hui, le naufrage des deux frégates n’a pas livré tous ses secrets. Il développe donc un récit plausible à partir des éléments connus dont ceux collectés par l’Association Salomon qu’il cite dans le cahier graphique en fin de récit. Un travail remarquable.
Patrick Prugne – Vanikoro – Daniel Maghen

 

1931, à Maracay, proche de Caracas au Venezuela. L’aéropostale qui travaille à ouvrir de nouvelles voies aériennes en Amérique du Sud se meurt, subissant de plein fouet la crise de 1929 et le refus de l’Etat français de voler à son secours. Des hommes effectuent pourtant encore leur mission avec un dévouement qui les honore alors qu’ils en connaissent les dangers. Si 121 hommes disparaissent dans les brumes des Andes ou ailleurs au-dessus de l’Océan ou de l’Afrique, d’autres, comme André ou Eddie, continuent malgré tout à consacrer leur vie à l’aéropostale, après avoir piloté, pour certains, au-dessus des tranchées de la première guerre mondiale. Une addiction au vol palpable qui l’emporte sur les déboires passés comme cet accident, auquel a survécu André, qui devait pourtant le défigurer et meurtrir à jamais son corps. Eddie, lui, vole pour fuir un passé que l’on imagine troublé. Il n’en dira pas beaucoup plus avant de s’éteindre dans son sommeil aux bras de Paloma. C’est pour ramener son corps chez lui aux Etats-Unis que ses proches, accompagnés de personnages un peu étranges, embarquent à bord d’un monoplan. L’avion ne parviendra pas jusqu’à sa destination. Abimé en plein vol par une nuée d’oiseaux migrateurs, il s’échoue dans l’épaisse forêt mexicaine…

Xibalba c’est d’abord un récit d’aventures au sens premier du terme. Un voyage loin de chez soi, proche de tous les dangers, de l’émerveillement, dans des cadres aussi divers que les Andes ou la forêt mexicaine. Des cadres enchanteurs qui placent pourtant les héros dans de petits enfermements propices à une introspection qui les fera grandir. C’est le cas notamment lorsque, coincés dans la forêt, les personnages se voient traversés par un fantastique qui apportera avec lui une réflexion sur le deuil et la spiritualité. Le dessin de Simon Roussin qui avait déjà travaillé, avec Prisonniers des glaces, sur un récit ayant pour thématique les premiers vols aéronautiques, démontre qu’il peut mêler avec efficacité aventures et mystères. Dans Xibalba, dont le titre sonne déjà comme un voyage au loin, le dessinateur prend le temps de développer son récit, avec une lenteur volontaire destinée à placer ses personnages dans un cadre et des dispositions d’esprit. Son trait, qui tient une ligne claire non dénuée d’expressivité, va, au fil du récit, devenir plus lâché, en raccord avec la végétation de la forêt et des mystères qui s’y développent autour de la mort et de la résurgence des proches aimés. Subtil, le récit de Simon Roussin se développe sur plus de 250 planches sans que ne s’installent des longueurs qui auraient pu nuire à sa lisibilité. Variant les rythmes en mixant un gaufrier en neuf cases et des pleines ou doubles pages, parfois sans texte, il parvient à happer son lecteur dans ce voyage que l’on peut aussi lire comme celui de la reconstruction.
Simon Roussin – Xibalba – 2024


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