Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !
Ceux qui suivent la carrière du dessinateur A. Dan connaissent son intérêt pour la/les science(s). L’auteur avoue avoir même hésité un temps entre une carrière de chercheur et celle qui est aujourd’hui la sienne. Il a déjà, par le passé, donné à lire son immersion dans une épopée scientifique, au travers de son expédition au Congo, en tant qu’observateur d’un collectif scientifique étudiant les gorilles. Des gorilles et des hommes (La Boîte à bulles – 2015) a laissé la trace de cette aventure de quelques semaines. Elle a fait l’objet, par l’auteur, plus récemment, d’une version romancée et séquencée Le oki d’Odzala, publié chez Grand Angle en 2018. Le retrouver autour d’un projet qui mêle BD de reportage et science n’est donc pas surprenant.
Dans Les collectionneurs de sciences l’auteur part à la rencontre des chercheurs de l’université de Rennes I présentés comme de véritables anti-héros nichés dans des bureaux poussiéreux ou de gigantesques entrepôts dans lesquels sont conservés des tonnes de pierres, d’espèces végétales enserrées dans des herbiers d’un autre âge ou de squelettes d’espèces parfois disparues. Le dessinateur approche les hommes et les femmes qui préservent ces collections, les entretiennent et les transmettent aux générations futures. Il le fait en prenant le soin de ne jamais se faire trop présent, laissant aux chercheurs le soin de parler de leur métier qui se double bien souvent d’une passion. A. Dan déambule dans les salles, griffonne des croquis d’oiseaux, de papillons, d’espèces empaillées… croques les espaces sans fin (lithothèque armoires, meubles et étagères garnies…) qui se propose à lui, nous laissant entrevoir, au travers des conversations partagées, l’importance de la conservation, du partage et de la transmission. Un album d’une rare essentialité.
A. Dan – Les collectionneurs de sciences – Des ronds dans l’o – 2019
Les destins basculent parfois en quelques instants. Robert et sa fille Rose se reposent dans une campagne perdue du fin fond des Etats-Unis. La fillette demande à son père de poursuivre la lecture de l’histoire qu’il a commencé à lui raconter plus tôt. Mais, fatigué, l’homme repousse ce moment de partage et entame une sieste, laissant Rose s’amuser près du lac où ils sont venus se détendre. Lorsqu’il est réveillé, par les cris de sa femme qui cherche Rose, Robert ne peut que constater que son manque d’attention a été fatal à sa jeune fille. Le corps ne sera jamais retrouvé. Devant l’impossibilité de reconstruire leur vie dans laquelle leur fille occupait une place centrale, le couple se sépare. Dès lors Robert se marginalise en s’enfonçant lentement dans les affres de l’alcool. Le comté dans lequel il vit et au sein duquel il s’est imposé comme l’une des figures majeures se referme sur lui-même, et devient un royaume sans attaches au reste du monde. Une de ces places imprenables dans laquelle se sont agglomérés des êtres aux destins brisés qui cachent souvent de lourds passés meurtris. La léthargie dans laquelle semble se fondre Robert va pourtant se voir bousculée lors de l’arrivée d’une femme qui va réveiller des souvenirs depuis trop longtemps enfouis.
Tyler Jenkins est un illustre inconnu en France. Son dessin possède pourtant suffisamment de mâche pour nous interpeller même si la première impression peut laisser se développer un sentiment contrasté alimenté par des traits nerveux peu retouchés et une mise en couleurs audacieuse par ses approximations assumées. La volonté d’un travail instinctif participe pourtant de la force du récit. Tyler Jenkins se love ainsi au plus près de ses personnages, marginaux aux plaies béantes, qu’il densifie dans sa mise en scène. Pour donner corps à son sujet il s’adjoint les services de Matt Kindt dont le talent explose notamment dans ses œuvres plus personnelles éditées en France chez Futuropolis. Au scénario l’auteur de la récente série Dept H prouve qu’il sait appuyer où il faut. Les personnages qu’il développe pour Jenkins possèdent profondeur et mystère tout comme ce royaume de paumés qui refuse de se lier au présent et au réel. Annoncé en trois volet, ce roman graphique noir est une véritable claque !
Jenkins/Kindt – GrassKings T1 – Futuropolis – 2019
Et si le salut venait d’ailleurs ? La Terre, placée dans un futur proche, compte ses heures. Les scientifiques dans leur rigueur naturelle ont même estimé la date du grand effondrement à 60 mois. Plongés dans une vie en sursis les hommes vont pourtant s’attacher à croire à l’impossible espoir au travers de la découverte d’une planète lointaine située à 45 années lumières de la Terre. L’espoir est né de la découverte, par le biais d’un nouveau télescope composé de milliers de miroirs, de halos de lumières aperçus à sa surface, semblables à ceux qui s’observent sur notre planète depuis l’espace sur sa face sombre. Comment entrer en contact avec les habitants à la technologie avancée qui représente dès lors un échappatoire à un monde en déliquescence ?
Au travers d’une fiction a priori sans prétention Robin Cousin parvient à questionner ses lecteurs. D’abord en déroulant son récit dans un monde graphiquement proche du nôtre dans lequel il appui sur les curseurs connus de tous : Réchauffement climatique, biodiversité égratignée, disparition des espèces animales par milliers, fonte des glaces… Il le fait en mettant en scène des héros qui, malgré tout, se prêtent au jeu de l’espoir placé dans cette planète Gamma Céphée inaccessible par les technologies actuelles mais qui pourrait pourtant représenter la bouée longtemps espérée. L’approche de l’apocalypse s’accompagne de la résurgence de croyances improbables qui permettent à ceux qui s’accrochent encore aux possibles espoirs de nuancer leurs craintes du lendemain. Ici c’est au travers de l’antimaadmi, gourou affaibli d’une communauté marginalisée, que les regards se portent, car l’homme à l’origine de la secte serait en contact avec les hommes qui peuplent la lointaine planète. Simple coïncidence ? Un récit d’une grande maîtrise narrative dont l’anticipation rapprochée rend passionnante la lecture, même si la lumière vacille au fil des pages…
Robin Cousin – Des milliards de miroirs – FLBLB – 2019