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Les rêves dans la maison de la sorcière adaptée par Sapin et Pion !
Pour une relecture moderne.

Adapter Lovecraft reste un exercice de style. Pour s’attaquer au mythe il faut tout à la fois posséder une bonne santé mentale mais aussi la faculté de s’approprier le monde de l’horreur pour le retranscrire dans toute sa dimension. Cela confère à l’intime, à la faculté de se livrer sans far. Mathieu Sapin et Patrick Pion relèvent ce défi en s’appropriant le texte et en le transposant à notre époque, avec une efficacité redoutable !

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9782369812166_cgDans une chambre d’étudiant cheap un jeune homme semble se réveiller saisi d’effroi en pleine nuit et se dresse sur son lit. Près de la table de chevet sont amoncelés des livres plutôt épais et les murs regorgent de feuilles punaisées difficile à discerner. Une lumière évanescente provenant d’une fenêtre juchée à bonne hauteur face à lui l’éclaire en laissant entrevoir ses traits tirés. Le cauchemar envahit progressivement l’univers de l’étudiant. Si le sol révèle des feuilles éparses répandues de manière aléatoire, le plus saisissant reste sans doute le point de vue qui nous est proposé, celui qui provient de cette plinthe latérale grignotée de l’intérieur par un rat semble-t-il vorace et de bonne taille. Bienvenue dans l’univers de Lovecraft, prince des nuits difficiles parcourues d’atroces rêves…
Avant Mathieu Sapin et Patrick Pion des auteurs à fort bagage se sont frottés avec réussite à des adaptations de Lovecraft, que ce soit I.N.J. Culbard, Horacio Lalia, Andreas, Guillaume Sorel, Alberto Breccia ou Florent Calvez, tous se sont emparé du mythe en parvenant à lâcher prise avec le réel pour pénétrer avec force de suggestion dans ces petits dérèglements de notre quotidien qui caractérisent l’œuvre du maître et ouvrent des voies à l’intrusion de tout un imaginaire sombre et mystérieux dans lequel l’aliénation, qui se manifeste par cette perte diffuse des facultés cognitives, trouve un terrain propice à son développement. Mathieu Sapin et Patrick Pion ont pris le parti de travailler une relecture moderne des « Rêves dans la maison de la sorcière », pas forcément la plus connue des nouvelles de Lovecraft, mais qui possède suffisamment de sève pour questionner son lecteur. Gilman, son héros, un étudiant en mathématiques loue plus ou moins forcé une chambre dans une maison au fort passé. Un passé dans lequel il est fait mention d’une sorcière à la laideur sans pareille et d’un rat à tête humaine tout aussi révulsant. Des personnages qui hanteraient maintenant la demeure dans laquelle Gilman a loué sa chambre. Plusieurs témoignages, pas forcément concordants, attestent de la présence de ces deux êtres, tout droit sortis des cauchemars les plus terrifiants que l’homme puisse engendrer dans son inconscient dérangé, dans la maison aux murs, boiseries, plinthes et parquets patinés par le temps. L’esprit cartésien du jeune homme va pourtant tenter de défier les légendes attachées à la présence de la sorcière et de son rat hideux. Mais même l’esprit le plus sain ne saurait remettre en question la puissance du sort jeté sur les lieux. Le parti pris de Mathieu Sapin et Patrick Pion de transposer le récit à notre époque crée un décalage pas si inintéressant même si l’option qui consistait à conserver le cadre temporel de la nouvelle n’aurait pas affaibli la proposition des deux auteurs. Le texte de Lovecraft dont certaines parties sont reprises ici apporte sa succulence et Mathieu Sapin s’est lové dans cet écrin en distillant des dialogues très justes et immersifs à souhait qui permettent au dessin de Patrick Pion de se densifier au fil des planches. Les deux auteurs ont fait le choix de distinguer le réel, encré et mis en couleur, du monde des rêves (et des cauchemars) qui apparait quant à lui sous la forme de dessins crayonnés où le blanc de la page explose littéralement attirant le lecteur dans ce monde étrange et impalpable, qui oscille entre organique et inorganique et répand toujours plus sa vision d’effroi. En choisissant de travailler à partir de la traduction réalisée par Maxime Le Dain pour les éditions Bragelonne, Mathieu Sapin opte pour la modernité et pour une relecture plus proche du texte et des intentions de Lovecraft que la version datée et plus inscrite dans le romantisme dix-neuvième siècle de Jacques Papy. Les narratifs empruntés à Maxime Le Dain sont calés dans des pavés sous fond violet, couleur qui possède son importance dans la nouvelle, ce choix n’est donc en rien anecdotique. Tout comme l’est la description, ou plutôt la non description de cette fameuse chambre. Les deux auteurs avouent que ce lieu leur est connu, puisque cette chambre aux formes bizarres leur a servi d’atelier au début de leur jeune carrière. Mathieu Sapin et Patrick Pion vont même plus loin en se représentant sous les traits de Gilman et d’Elwood preuve que tout en conservant le caractère sombre et inquiétant de la nouvelle font aussi preuve d’une certaine distance qui va de pair avec le traitement moderne qu’ils insufflent au récit. Patrick Pion révèle, s’il le fallait encore, qu’il sait naviguer à merveille dans les récits fantastiques avec cette faculté de changer progressivement l’apparence de ses personnages, ici la crispation progressive des traits du visage de Gilman accompagne son lent glissement dans « L’autre monde ». Un album qu’il serait dommage de bouder tant il regorge de petites merveilles graphiques !

Mathieu Sapin et Patrick Pion – Les rêves dans la maison de la sorcière – Rue de Sèvres – 2016 – 15 euros 

Entrevue avec les auteurs

 


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