Une Sélection BD qui aborde le sujet de l’écologie et de l’environnement dans le cadre du MaXoE Festival
Les sujets écologiques occupent depuis quelques années une place plus importante dans l’actualité. Si le dérèglement climatique devient chaque année plus palpable, nous assistons à d’autres crises graves dont notamment la chute de la biodiversité, une pollution toujours plus préoccupante, notamment dans les grandes villes, tout comme à l’acidification des océans, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’artificialisation des sols… qui composent une partie des neuf limites planétaires. L’actualité nourrit très bien la fiction, et de nombreux récits ont portés la voix des préoccupations de leurs auteurs. Aussi nous est-il apparu opportun pour cette nouvelle édition du festival MaXoE, de consacrer un prix à la bande dessinée écologique. Un moyen pour nous de mettre en lumière la diversité des approches dans le traitement de sujets qui touchent plus ou moins directement notre quotidien.
Pour cette édition nous proposons trois axes de lecture du sujet écologique. Celui du documentaire, celui de la fiction d’anticipation et enfin celui de la science-fiction.
Mais avant de vous plonger dans un des axes que je vous propose, nous ne saurions trop vous recommander de débuter votre parcours avec un récit entre-deux, fiction et documentaire à la fois qui traite en substance de l’éco-anxiété, qui frappent un nombre toujours plus important de personnes à notre époque. Le meilleur des deux mondes, édité par Futuropolis avec le soutien de la Cité des sciences et de l’industrie est la bande dessinée officielle de l’exposition « Urgence climatique ». Le récit y présente une jeune mère et son fils qui affiche une peur palpable du monde, au point de vouloir vivre dans sa propre grotte et de n’observer le monde que par les reflets qu’il offre. Pour tenter de réconcilier son enfant avec son environnement, la jeune femme va partir sur les traces de quelques personnalités actuelles ou passées (Alexander von Humboldt et son compagnon de voyage scientifique Aimé Aimé Bonpland, Alexandra David-Néel, Romain Gary…). Des personnalités qui pourraient lui donner une orientation, une trajectoire à suivre vers un monde plus désirable et plus soutenable.
Anne Defréville & Alice Desbiolles – Le meilleur des deux mondes – Futuropolis/Cité des sciences et de l’industrie
Premier axe : La BD documentaire/reportage
Le premier axe, celui du documentaire ou du reportage, possède une vertu essentielle, celle de fournir des données sur la dégradation du climat et de ses corollaires permettant aux lecteurs de pousser leur réflexion ou de compléter leurs connaissances. De les amener aussi à réfléchir sur un autre rapport possible à leur environnement. Pour leur apprendre enfin à reconsidérer leur rapport à notre planète, qui n’a jamais été autant abîmée, sans que pour autant des solutions radicales et nécessaires ne s’imposent.
Comment les riches ravagent la planète, de Juan Mendez et Hervé Kempf, permet de pointer du doigt une partie du problème. Comme aime à le rappeler régulièrement l’astrophysicien Aurélien Barrau, un Elon Musk fait plus de mal à notre planète que l’ensemble du continent africain. Oui les riches, les ultra-riches, par leur mode de vie, leurs excès, leurs délires de puissance, leurs déplacements (en avion ou sur des yachts énergivores), émettent des émissions de gaz à effet de serre (à l’origine du réchauffement climatique) bien supérieurs au français moyen ou à n’importe qui sur Terre. C’est un fait quantifié, factuel, qui ne doit pas faire oublier que nous sommes, nous, français, européens, des riches au niveau planétaire. Que donc les efforts sont aussi à faire à notre échelle pour basculer sur des émissions de gaz à effet de serre inférieurs ou proches de 2 tonnes seulement alors que la moyenne en France est de neuf tonnes. Avec pas mal d’humour, de données mises en perspective, d’illustrations concrètes des dérives à bannir, les deux auteurs donnent de la matière pour alimenter nos réflexions sur ce que nous voulons vraiment. C’est plutôt bien fait, si bien que j’avoue avoir très vite fait le test de mon empreinte personnelle sur le site https://nosgestesclimat.fr/ qui propose une calculatrice ad hoc que je vous invite à tester en complément à cette très saine lecture !
Juan Mendez et Hervé Kempf – Comment les riches ravagent la planète – Seuil
La seconde proposition, Les Terrestres de Raphaëlle Macaron et Noël Mamère, nous fait rencontrer des personnes qui ont tout lâché pour vivre loin des villes dans un retour à la Terre salvateur pour elles. L’ancien maire de Bègles, qui est à l’origine du projet, connu pour ses engagements écologiques, parcourt les routes, de Notre-Dame des Landes en passant par La Réole ou Langouët avec sa jeune dessinatrice, avec pour but de comprendre les motivations de chacun. Ils y découvrent un autre rapport au vivant, des élans de solidarité et d’entraide sous fond de respect pour la nature. La magie se lit dans les liens qui unissent des hommes et des femmes qui ne se connaissant pas forcément au début et qui, pourtant, vont fonder des communautés travaillant sur des modes de vie alternatifs. Construction de maison passive, réintroduction de graines et de semences interdites (comprenons par là qui ne sont pas sous la coupe des grands lobbys), pratique et développement de la permaculture… A chaque rencontre Raphaëlle, qui n’était pas forcément sensibilisée à ces sujets, apprend des uns et des autres d’autres rapports au vivant. Introduit par Pablo Servigné, essayiste connu pour ses travaux en collapsologie, cette petite BD démontre qu’il est possible de vivre autrement, avec une sensibilité qui mériterait d’être partagée avec le plus grand nombre d’entre nous. Réjouissant !
Raphaëlle Macaron et Noël Mamère – Les Terrestres – Editions du Faubourg
Philippe Bihouix est passé dans la lumière avec la parution de son livre devenu incontournable, L’Âge des low tech : Vers une civilisation techniquement soutenable (Seuil – 2014). Ingénieur spécialiste des ressources minérales, il dénonce régulièrement l’incompatibilité des ressources de notre planète avec d’une part les grands enjeux énergétiques et écologiques auxquels nous sommes confrontés, et d’autre part avec cette croyance en une croissance illimitée et un technosolutionnisme qui ne peut s’imposer comme une voie raisonnable. Vincent Perriot quant à lui fait partie des jeunes auteurs de bande dessinée très prometteurs dont chaque projet s’impose comme incontournable. Après la saga Negalyod, qui, déjà, mettait en scène un monde dégradé qui posait question, il revient avec Ressources, un défi pour l’humanité. Le projet, plutôt épais, se construit sous forme de dialogues entre Philippe Bihouix et Vincent Perriot, le premier des deux mettant en avant l’impossibilité physique d’un progrès continu, qui passe notamment par la déconstruction des projets déraisonnables d’exploration et de conquête spatiale d’un Elon Musk ou d’un Jeff Bezos. Non l’homme ne pourra pas vivre sur une autre planète, ni dans de vastes cités spatiales tournant sur elles-mêmes au point de Lagrange. L’humanité dispose d’une planète habitable et unique qui mériterait bien qu’on la respecte un peu plus. Le sujet vaste des ressources est décortiqué dans une proposition de vulgarisation scientifique accessible qui n’emprunte pour autant aucun raccourci. Sur la forme, le dessin appui le propos de Philippe Bihouix sans lourdeurs, avec des traits d’humour et d’autodérision plutôt bien sentis. Un album essentiel qui peut-être un point d’entrée pour la découverte des univers respectifs des deux auteurs.
Philippe Bihouix et Vincent Perriot – Ressources, un défi pour l’humanité – Casterman
Second axe : La BD d’anticipation
Le second axe est celui de l’anticipation. Ici le récit pousse le curseur de notre monde pour donner à voir ce que pourrait être notre avenir proche. Dans ce type de proposition nous nous trouvons souvent à mi-chemin entre le documentaire et la fiction dans des approches souvent singulières qui permettent de prendre vraiment conscience de la nécessité de réorienter certains curseurs.
Premier récit du genre, Inlandsis Inlandsis du dessinateur Benjamin Adam. Dans un épais album qui flirte avec les 300 planches, et qui n’est annoncé que comme premier tome, son auteur se penche sur l’Antarctique, un territoire encore préservé qui pourrait, par sa fonte accélérée, précipiter la fin de l’humanité. Le récit débute par un rappel historique de la conquête de ce vaste continent glacé, entreprise au milieu des années 1950. Depuis, le dérèglement climatique, et notamment la hausse continue et accélérée des températures, « malmène » les glaces du monde entier. En plus de la hausse régulière du niveau des mers, les risques de voir disparaître la mémoire de ce que fut le climat il y a des centaines, des milliers d’années, contenue dans les épaisses couches de glace, devient chaque jour un peu plus palpable. Nous sommes en 2046. Pour éviter que cette mémoire ne disparaisse, douze scientifiques ont imaginé un projet fou, celui de collecter des échantillons de glace sur toutes les zones menacées ou en voie de disparition. Le projet qui porte le nom d’Ice Memory collecte et stocke avec réussite les précieux carottages dans un bâtiment construit près de Concordia, une station de recherche franco-italienne installée sur le Dôme C. Mais les structures qui conservent ces archives un peu particulières sont menacées par le réchauffement climatique. Et Ice Memory, lâché par une partie de ses financeurs doit trouver de nouveaux soutiens pour préserver cette mémoire fragile. Pour cette raison des projets de mise en lumière d’Ice Memory se développent sous la forme de résidence d’artistes. Le récit nous propose de suivre la trace de l’une d’elle, autour de deux auteurs de bande dessinée envoyés dans la base Antarctique. Dans Inlandsis Inlandsis, Benjamin Adam, dont l’intérêt pour l’anticipation s’est déjà formalisé au travers de deux projets parus chez Dargaud et 2024, respectivement Soon (2019) et UOS (2021), scrute à la loupe ce qui fonde notre quotidien et en tire des conséquences pour le futur. Au-delà des données écologiques au cœur du récit, il met en scène une société gangrenée par un autoritarisme d’état, religieux qui confisque peu à peu les derniers territoires de liberté. C’est habilement mené, dessiné en alternant le noir et blanc et la couleur, dans un trait efficace qui sert ses personnages. Des anti-héros habités par des questionnements et des maux qui les dimensionnent. Un ambitieux et indispensable récit.
Benjamin Adam – Inlandsis Inlandsis – Dargaud
Lorsqu’on parle de décroissance, les tenants d’un progrès continu, qui passerait par l’augmentation constante du PIB, s’effarouchent sans retenue : « Nous ne retournerons pas à l’âge de pierre ». Aucune décroissance, même radicale, n’envisage un retour aussi brutal vers des temps aussi reculés. Si parler de décroissance cristallise les craintes et les tensions encore faut-il s’entendre sur les facteurs de la décroissance. Si le PIB épousait une courbe descendante mais que, dans le même temps, nous assistions à une croissance de l’empathie, du partage et du mieux vivre ensemble, vivrions-nous un réel retour en arrière ? Ne faudrait-il pas tout simplement reconsidérer nos modes de vie et nos rapports à nos addictions mortifères ? Nous poser la question de ce que nous apportent réellement un smartphone, un ordinateur portable, un réseau social, ou des voyages à l’autre bout de la Terre.
Et soudain le futur de Mathieu Burniat et Dominique Mermoux débute par une prise de conscience du président de la République, interpelé par le carton d’un jeune tiktokeur du nom de Léo Lambert qui vient de publier une chanson écoutée et visionnée plus de 50 millions de fois dans laquelle est mise en avant une décroissance souhaitée et souhaitable. Le président décide de lancer une expérience grandeur nature de décroissance en isolant du reste du monde l’île de la Cité à Paris. Une micro-société au sein de laquelle sont représentées toutes les classes, mais aussi tous les tenants et les opposants de la décroissance. Mila Weber, une détenue, se voit offrir la possibilité d’intégrer l’île de la Cité comme composante de la diversité de la population française. Au cœur de cet espace clos, la jeune femme va découvrir un autre mode de vie, fait de débrouillardise, d’échanges et de partages, sans sectarisme, dans lequel la communauté se voit administrée par des hommes ou des femmes désignés par tirage au sort et remplacés tous les 6 mois. Mais cette société fermée sur elle-même ne cache-t-elle pas un revers de la médaille ? Copieusement documenté ce récit, qui s’achève par un cahier graphique dans lequel des scientifiques posent et illustrent ce qu’est une décroissance, comment l’envisager en limitant les erreurs possibles, tout en gardant en tête ses obstacles réels, doit permettre d’offrir un regard moins caricatural sur ce qui fonde la décroissance. Pas de retour en arrière mais une façon de composer avec le vivant, alors même que les crises écologiques en cours n’offrent que peu de perspectives réjouissantes. C’est plutôt bien mené, sans angélisme, avec cette idée d’offrir au lecteur les outils pour défendre et s’inscrire dans une décroissance intelligente et non subie.
Mathieu Burniat et Dominique Mermoux – Et soudain le futur – Rue de Sèvres
Ce qu’il reste de l’Europe quelques années dans le futur. Sur les terres agricoles qui offrent un spectacle désolé sur lequel pousse des légumes et des plantes génétiquement modifiées trois modes de vie, trois visions de la société cohabitent. D’un côté la multinationale qui a tout emporté, Diosynta, et sa branche armée, les F.S.I (Forces de Sécurité Intérieure) veille à gérer les territoires comme bon leur semble, sans trop de soucis étiques. De l’autre, des hommes et des femmes terrés dans des zones reculées qui vivent en quasi-autarcie et pratiquent une agriculture saine à partir de semences « interdites » dans un eldorado naturel, regroupés sous le nom de Résilience. Entre les deux navigue un groupuscule « eco-terroriste » baptisé Les fils de Gaïa, qui tente de porter des coups à Diosynta sans en avoir forcément les moyens, mettant en danger indirectement les membres pacifiques de la Résilience. Dans un contexte de tension permanente l’agriculture peut s’envisager de deux façons, soit extensive, avec l’emploi massif de produits phytosanitaires ruineux pour la santé de tous ou plus biologique au travers d’alternatives plus saines qui préservent la qualité des sols, de l’air, de l’eau et des écosystèmes naturels. Dans Résilience Augustin Lebon dresse un portrait glacial de la trajectoire que pourrait prendre notre futur proche au sein duquel les choix de politique agricole mèneraient les hommes à leur perte physique et morale, dans une société dystopique privée d’alternative au modèle dominant. Il le fait en s’approchant au plus près de ses héros dont il documente copieusement le background, les rendant tout à la fois humains et suffisamment mystérieux. Dans cette société où les oppositions deviennent vite frontales, les dangers émergent de partout, et Lebon, qui excelle dans la narration et les rebondissements, sait jouer du médium pour proposer des scènes d’action dignes de plans cinématographiques. C’est dynamique à souhait, ça égratigne suffisamment nos consciences pour s’imposer comme un récit marquant.
Augustin Lebon – Résilience (intégrale) – Casterman
Troisième axe : La BD de science-fiction
Enfin le dernier axe est celui de la fiction pure. De la science-fiction pour être plus précis. Les récits proposent ici des environnements lointains, sur d’autres planètes, dans d’autres galaxies, et explorent le sujet écologique de manière frontale sans pour autant faire un rapport direct avec notre (encore) charmante Terre.
Pierre Versins parlait de disette d’éléments pour décrire un monde dans lequel manquerait un minerai, une source d’énergie, une substance (comme l’eau) qui précipiterait l’humanité vers sa décadence. Dans Le jour du dépassement, le vivant qui a essaimé partout dans l’Univers, approche de sa fin. Non pas en raison de guerres intestines ou globales, ou d’un virus particulièrement destructeur, mais en raison de l’appauvrissement des ressources d’alcanite qui permet les voyages lointains grâce aux sauts interstellaires. La plupart des hommes et des femmes subsistent sur telle ou telle planète mais aucune n’apparaît pourtant comme un Eldorado capable d’offrir une vie paisible sans manque de ressources à ceux qui y résident. Ada, Haïka et Mallic s’en rendent progressivement compte, eux dont le gagne-pain – le démantèlement et la revente d’alcanite sur des vaisseaux passés à l’état de ruines – oblige à des voyages lointains dans de nombreuses galaxies. Le manque d’alcanite ne permettra plus aux hommes et aux femmes de voyager au loin, les contraignant à vivre sur leur planète en mode forcément dégradé. Dans une proposition graphique maîtrisée qui donne à voir une grande diversité de cadres et d’espèces extra-terrestres, Owen D. Pomery pose la question du manque de ressources qui conduit forcément à une forme de décadence. Mais il évoque aussi d’autres thématiques qui font résonnance avec notre actualité, comme celui des migrations ou du repliement. Son intrigue laisse aussi la place à des possibles solutions, mais en sont-elles vraiment ? La découverte d’un auteur inconnu chez nous qui aborde une thématique peut être négligée dans la SF contemporaine.
Owen D. Pomery – Le jour du dépassement – Sarbacane
Tildä Nö débute une nouvelle journée de travail qui consiste à dénicher, pour une société d’extraction minière, les meilleurs gisements possibles de minerais rares sur des planètes ou astéroïdes disséminés partout dans l’univers. Elle arpente depuis quelques jours la planète [P-412] dont elle prélève des bouts de roches qui seront analysés plus tard, à bord du vaisseau de la société. Alors qu’elle prend une pause pour fumer un peu de tabac dans une pipe, la jeune femme aperçoit, qui se rapproche d’elle, un immense nuage noir, annonciateur d’une terrible tempête. Elle se décide alors à rejoindre sa capsule pour tenter d’échapper aux masses épaisses qui fondent sur elle mais croise en chemin un vagabond qui erre seul dans le désert. Elle décide de le prendre dans son aéronef plutôt que de le laisser à une mort certaine. La conversation s’engage alors entre les deux. L’homme se dit poète vagabond en exil, du nom de San Williams de Farisiὴ. Elle se présente comme travaillant à identifier des gisements miniers pour une compagnie la rémunérant suffisamment pour lui permettre de poursuivre les recherches de sa grand-mère sur le chloroblast, une sorte de bio carburant produit à partir de xérophytes et de succulentes. Alors qu’ils traversent la tempête ils font face à une dépression atmosphérique extrême qui brouille les outils de navigation et les pousse à un atterrissage d’urgence. A leur réveil, sur le sol de la planète [P-412], Tildä a retrouvé son corps d’enfant tandis que la poète a été transformé en batracien…
Flux fait partie de ces récits réjouissants et frais qui démontre qu’il est possible de faire de la (science)-fiction différemment avec beaucoup de poésie, en laissant le temps enveloppé le récit, dans une forme d’introspection rare. Ici Jop, que nous avions découvert avec Jazzman paru chez Albin Michel en 2022, revient avec un récit de genre qu’il aborde à sa manière avec suffisamment de détachement, de poésie et de mystères pour capter l’attention de son lecteur. Il y aborde entre autres le rapport aux questionnements qui nous habitent et aux craintes qui naissent dans un monde qui n’offre qu’une seule trajectoire possible. Un enfermement que le poète qui s’est marginalisé, parvient à contourner à sa façon. Sur la forme l’univers graphique de Jop coloré et chatoyant accompagne parfaitement le récit, qui questionne longtemps une fois achevée sa lecture. Un ovni rare dans la production actuelle, donc essentiel.
Jop – Flux – Ankama
Géo est un simple éboueur de la cité d’Avalon, une ville sous dôme qui n’accueille en son sein que le gratin de la société. Lui occupe les bas-fonds de la ville, les artères crasseuses et suintantes, où, niché dans l’ombre des mirifiques et vastes jardins ouvragés, il attend qu’on vienne lui confier une nouvelle mission. Un jour son chef lui enjoint d’évacuer six bennes vers le TD à partir du niveau – 13. Une mission comme il en a connu tant d’autres. Mais cette fois tout ne se passe pas comme prévu. Son vaisseau-benne frappé d’une avarie, il se voit contraint de dévisser vers le sol d’une planète qu’il ne connaît pas. S’il est sain et sauf, ses outils de communication, qui pourraient lui permettre de prendre contact avec des personnes à même de lui venir en aide, ne fonctionnent plus. Le voilà contraint de déambuler sur le sol de cette planète hostile sur laquelle il découvrira les restes épars, et en ruines, d’une d’occupation ancienne par l’homme. Dans un des bâtiments il découvrira un livre étrange portant le titre de La Tempête, écrit par un certain William Shakespeare. Ce livre accompagnera Géo dans ce monde désolé, qu’il parcourt en espérant trouver une issue qui pourrait très bien ne pas être celle espérée…
Un monde pollué, désolé, impropre à la vie. Voilà ce qui menace quelques-unes des terres de notre monde. En Afrique, en Inde, les menaces se font tous les jours de plus en plus palpables et poussent les hommes et les femmes au départ, loin des lieux où ils ont vécu. D’un autre côté, l’homme riche continue son éternel travail de sape et, se sachant préservé pour un temps, ne regarde pas ou peu le sort réservé à des peuples entiers. Dans L’arpenteur Géo échoue sur Terre. Une Terre devenue décharge à ciel ouvert, sur laquelle les hommes ne vivent plus. Ils ont en effet trouvé refuge dans Avalon, la cité en orbite basse de la planète qui a perdu depuis longtemps sa couleur bleue. Un monde artificiel ou les roches sont faites de résine et les poissons de métal. Dans ce monde à étages, le sommet, réservé aux riches pensionnaires vit dans un autre temps – et un luxe outrageux – tandis que dans les strates inferieures survivent ceux qui sont à leur service. Le tout formant une sorte de méduse suspendue dans les airs avec son ombrelle lumineuse et ses longs tentacules. Un récit d’une force symbolique indiscutable, qui donne à voir une trajectoire possible de notre monde, dans lequel les excès qui ne seraient jamais questionnés pousseraient vers une fin inéluctable.
Viktor Hachmang – L’arpenteur – Casterman