Petit tour du côté de la Sélection BD Européenne du MaXoE Festival 2025 !
La BD européenne possède toujours des capacités à nourrir nos rêves. D’abord car elle s’aventure sur des chemins peu ou pas empruntés, ensuite car elle n’hésite jamais à jouer du médium, à pousser toujours plus loin, graphiquement et narrativement, les curseurs, les limites. Le tout en s’ancrant dans le présent mais aussi les imaginaires les plus débridés. Encore une fois il était difficile de faire une sélection de quelques albums. Nous avons joué cette année le grand écart, à savoir des récits franchement différents, qui chacun sont autant de coups de cœur pour des raisons totalement différentes. C’est jubilatoire et ça démontre la vitalité du franco-belge !
Depuis son riche appartement d’Harlem Adrian van Gott écrit une lettre à la femme qui partage ses nuits. Une lettre en forme de testament dans laquelle il va entreprendre de raconter sa vie. De sa jeunesse passée à Venise, dans une sérénissime frappée par diverses pandémies qui devaient emporter son frère et sa sœur, en passant par la Turquie, Paris et maints lieux chargés d’histoire, le jeune homme transporte sa peine, celle d’une enfance passée au sein d’une famille marquée par le deuil et qui ne pouvait plus s’ouvrir à la vie, celle de cette mutation qui, il ne sait comment, devait faire de lui une créature traversant les temps, les époques… Un pouvoir reçu d’un premier baiser qui devait le transformer à jamais. Devenu un vampire, pour survivre, doit voler l’amour des personnes qu’il côtoie, il sèmera le trouble sur son chemin par son mystère et son aura.
Dans Le voleur d’amour adapté du roman éponyme de Richard Malka, Yannick Corboz nous offre un récit superbement mis en images, qui relève le défi d’une écriture tout à la fois fine et précise, teinté d’influences gothiques. Il le fait par le biais d’un dessin au trait délicat et d’une mise en couleurs à l’aquarelle qui rend un hommage appuyé à une Venise dix-huit huitième qui ne s’est pas encore endormie et affiche son raffinement, son architecture et sa sublimation des arts. Autant de piliers qui en font la capitale de la culture européenne. Adrian sera marqué par cette influence, devenant pour occuper les siècles qui passent, un collectionneur avisé. Mais devant cette façade c’est avant tout l’amour qui le maintien en vie et, à sa grande détresse, la perte qu’il cause à ceux qui y succombent. Un récit à la pagination généreuse qui se dévore d’une traite et reste longtemps en tête. Sublime !
Yannick Corboz – Le voleur d’amour – Glénat
Lorsqu’on pense aux sociétés dystopiques, quelques œuvres de fiction viennent tout de suite en tête : 1984 d’Orwell, Métropolis de Fritz Lang, Nous autres de Zamiatine, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Ravage de Barjavel ou encore le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. La dystopie peut se voir comme le contraire, le pendant de l’utopie. Dans les récits qui s’inscrivent dans ce sous-genre de la SF/anticipation (principalement), les sociétés qui, sur le papier, veulent le bonheur des membres qui la composent sont organisées de telle façon à parvenir à l’effet inverse. Privés de libertés, les hommes et les femmes qui y évoluent sont placés en permanence sous le regard inquisiteur d’une gouvernance bien plus adepte de la terreur que d’une volonté de proposer bonheur et quiétude à ses sujets.
Dans Les yeux doux, les hommes et les femmes se résument en de simples rouages interchangeables d’une machinerie inarrêtable. Produire, ne jamais contester l’autorité, surveiller et dénoncer les déviants, autant de valeurs qui forment le socle de valeurs de ce monde fermé sur lui-même. Un monde recroquevillé dont la perspective, la ligne de vue, se résume à peu de choses. Un jour Arsène commet l’irréparable. Alors que la chaine de montage tentaculaire de L’atelier universel sur laquelle il travaille s’enraye, le jeune homme décide d’appuyer sur le bouton rouge de sécurité. Stopper les machines, une faute grave passible d’un renvoi immédiat, plus que cela, d’un effacement pur et simple du système… Sa sœur Annabelle avec qui il partage un petit appartement va bien tenter de prendre le relai et de subvenir aux besoins de la fratrie mais son premier essai ne sera pas des plus concluants. Prise la main dans le sac d’un vol de pomme à l’étalage par les yeux doux, ce système de caméras de surveillance caché derrière des panneaux de pin-up aux formes généreuses, placardés sur chaque façade d’immeuble, elle ne devra son salut qu’à Anatole, employé à surveiller la ville et à dénicher les menus larcins…
Si le sentiment d’enfermement se fait très prégnant voire oppressant dans les premières pages du récit, dont les cases sont posées sur un fond noir, l’histoire devient au fil de son avancée, toujours plus lumineuse. En partie car une empathie se crée réellement autour de personnages malmenés qui ne demandent qu’à vivre dans le respect de ce qu’ils sont. Poussés dans leurs derniers retranchements, ils découvriront qu’une autre alternative à cette société cauchemardesque existe, mais, pour qu’elle prenne corps et se renforce, ils vont devoir la défendre. Quitte à mourir, autant le faire pour ses convictions…
Avec Les Yeux Doux, Corbeyran démontre une nouvelle fois qu’il sait (aussi) proposer des récits très personnels, qui parlent à beaucoup d’entre nous, le tout avec simplicité et un amour profond du neuvième art dont il exploite toutes les possibilités. Dans ce contexte le dessin de Michel Colline fait merveille, avec un trait et des couleurs qui densifient et humanisent un monde qui ne demande qu’à éclore… Un livre à lire, relire et partager !
Corbeyran & Michel Colline – Les Yeux Doux – Glénat
Japon, un siècle et demi dans le futur. La technologie a imposé de nouveaux modes de vie au sein desquels l’utilisation d’IA est devenue la norme. Des androïdes humanisés (IAH) ont ainsi pénétré les foyers de chacun. L’île de Kino est restée hermétique à ce tourbillon high tech. La vie y est ainsi restée ancrée dans les traditions, dans un rapport à la nature et à l’autre plus sensible, dans une relation au temps et à la temporalité décalée. Hélène et Edo forment un vieux couple complice vivant depuis longtemps sur l’île. Elle est, ou plutôt était, pianiste. Mais un accident de voiture l’a éloigné depuis un an des claviers. Lui, s’il tente d’accompagner sa femme dans sa reconstruction, montre peu à peu des signes d’une irréversible lassitude. Pour pimenter leur quotidien Hélène décide alors d’ouvrir sa maison à une IAH qui serait son sosie mais plus jeune d’une vingtaine d’années…
La question de la technologie et de sa déification, qui passe par l’utilisation dans notre quotidien de toutes sortes d’IA, est devenu sujet de société. Faut-il s’aliéner et surfer sur cette vague, laissant de côté notre rapport intime à la matière, à ce qui est encore palpable ou bien avancer et lier nos destinées à des technologies dont on ne mesure pas encore tous les dangers ? Quelle barrière poser entre tradition et modernité ? C’est de cela (en partie) dont nous parlent Baptiste Chaubard et Thomas Hayman dans une proposition graphique épurée qui sied parfaitement à la culture japonaise. Les auteurs profitent d’une pagination importante (plus de 230 planches) pour s’attacher aux détails, au sensible, à cette nature et cette biodiversité toujours plus égratignée. Pour ne pas rester dans la simple théorie, ils pénètrent ici dans l’intimité d’un foyer d’abord préservé de cette modernité avant d’y ajouter un élément « perturbateur » matérialisé par cette IAH. Ce faisant ils mettent à jour, subtilement, les inflexions, les modifications qui viennent modifier la trajectoire d’un quotidien qui ne sera plus jamais le même. Inspirant.
Baptiste Chaubard et Thomas Hayman – Idéal – Sarbacane
Vous connaissez la catastrophe de Tchernobyl. Mais est-ce que vous en connaissez tous les tenants et les aboutissants ? Si vous avez regardé l’excellente série Tchernobyl, les pages de ce roman graphique vous rappelleront des choses. L’ouvrage commence par une page édifiante et instructive sur les effets des radiations en fonction de l’exposition à celles-ci. Dès cette page, on a froid dans le dos et cela ne va pas s’arranger avec la suite de cet album. On commence en 1986, lors du 27ème Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. Yefim Slavsky est présent au congrès. Il est à la tête du MIM, le Ministère de l’Ingénierie Mécanique semi-lourde de l’URSS. Il y a aussi A. P. Aleksandrov, autorité dans le domaine du nucléaire et Nikolaï Dollezhal, directeur du centre de recherche sur la technologie nucléaire, le Nikiet. Les trois sont à l’origine de la création du réacteur RBMK. Il sera construit à partir de pièces préfabriquées produites dans des usines pas spécialement faites pour le matériel nucléaire de haute précision. Ce n’est que la première pierre d’un édifice chancelant appelé Tchernobyl.
L’URSS cherche à rattraper l’occident et pour cela, elle construit la ville dédiée à l’énergie nucléaire : Atomgrad Pripyat. Les familles viennent s’installer dans la ville dans le but de travailler pour la centrale nucléaire. Tout semble être merveilleux.
Seulement voilà, le projet a été bâclé, le pouvoir central voulant démarrer la production d’électricité au plus vite. D’ailleurs certains tests qui auraient dû être faits avant la mise en route des réacteurs ont été fait en plein fonctionnement de la centrale. Et c’est un de ces tests qui est à l’origine de la catastrophe. Le hic, c’est que des circonstances s’en mêlent, entre phénomène physique complexe et incompétence de certains chefs. Le 26 avril 1986 le réacteur numéro 4 explose. L’enfer débute alors, aidé par une chaîne de commandement qui prend les mauvaises décisions, poussée par sa peur des réprimandes.
J’ai adoré cette BD. Elle nous livre un récit historique extrêmement précieux et particulièrement bien documenté. Mais elle sait aussi se pencher sur les destins individuels qui ne manqueront pas de vous émouvoir. Ainsi on est aspirés par l’horreur de la situation et par la terrible responsabilité de l’appareil d’Etat. C’est passionnant et effrayant de bout en bout. Le tout est servi par un dessin qui peut désarçonner au début mais qui judicieusement choisi, comme les couleurs d’ailleurs. En bref, une BD indispensable pour qui se pose des questions sur Tchernobyl. (Texte de Tof)
Matyáš Namai – Tchernobyl, La Chute d’Atomgrad – Guy Trédaniel Editeur
Social Fiction aurait pu ne pas voir le jour. Les récits qui composent ce recueil ne sont pas nouveaux, composés à la fin des années 70 et au début des années 80, mais les réunir pourtant, dans une version retravaillée par son autrice, avec tout une recontextualisation et un appareil critique fait de cet épais album un véritable must-have. Les récits courts de 1996 avec cette obsession du contrôle des êtres humains se font incisifs et terriblement d’actualité là où le long Shelter Market, se fait angoissant au possible, même après plusieurs lectures. Rappelons-nous de Shelter et de sa critique de Big Brother.
Dans un futur pas si éloigné Thérésa et Jean se rendent chez des amis pour y passer la soirée. Sur leur chemin ils s’arrêtent dans un centre commercial pour y acheter un petit quelque chose afin de remercier leurs hottes. Alors qu’ils déambulent dans les rayons de l’hypermarché, les portes se ferment soudainement et une voix qui se veut rassurante prend la parole. Un accident nucléaire vient d’avoir lieu en surface et le protocole de sécurité se déploie donc pour protéger les survivants du cataclysme. A l’intérieur de Shelter market la vie va dès lors s’organiser sous la forme d’une microsociété où chacun aura un rôle très précis à jouer. Thérésa, libraire de son état, tiendra le rôle de bibliothécaire. Un rôle qui va se révéler au final plus stratégique qu’elle aurait pu le penser…
« Pour votre sécurité vous n’aurez plus de liberté. » Un uppercut dans le ventre d’une démocratie devenue molle, dans laquelle le choix des femmes et des hommes se voit dicté par des autorités supposées veiller à leur bien-être. L’utopie des lumières reste bien loin des contingences du quotidien, tout du moins c’est ce que l’on voudrait nous faire croire. Absence de liberté, de penser, d’agir pour soi et non plus pour un groupe devenu dépendant d’un système qui se joue de lui. Cette dystopie qui pourrait nous amuser ou nous interroger sur le devenir du monde trouve un formidable écho dans notre actuelle société, qui, à vouloir nous protéger de « l’autre », de tout et de n’importe quoi, en vient à édicter des lois liberticides qui restreignent toujours plus notre capacité d’agir et de (re)dimensionner le monde. Les libertés acquises dans le sang et dans l’espoir d’un monde meilleur valsent sur l’autel des volontés de quelques décideurs eux-mêmes à la botte des grands argentiers d’un Occident défiguré. Et ce n’est pas près de s’arrêter en si bon chemin.
Lorsque Chantal Montellier publie Shelter Market en 1980 elle jette un véritable pavé dans la mare. A l’époque, le livre séduit un public encore relativement ouvert aux idées subversives et « à contre-courant », mais un passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot devait la recadrer dans un rôle bien plus modeste. Quarante-cinq ans après la première version de Shelter Market cette histoire reste terriblement d’actualité dans une société qui se veut plus interventionniste, plus schématique, plus restrictive, plus criminelle et plus abêtissante que jamais. Le récit conserve cet aspect visionnaire qui veut que le pire reste encore à venir. Et la société Pig Brother qu’elle dépeint dans Shelter Market 2.0 conjugue tout à la fois nos peurs d’un présent plus anxiogène, plus dévitalisé, plus superficiel et superficialisant que jamais et l’absence de perspectives à moyen et long termes. Il peut paraitre en ce sens paradoxal que la volonté des quelques décideurs de lobotomiser et de dénerver d’urgence cette populace corvéable repose sur la mémoire et la répétition scrupuleuse des actes de régimes autoritaires et meurtriers aperçus dans une histoire plus ou moins récente. Et tous les artifices, même les plus grossiers ne sont pas de trop pour accomplir la sale besogne. Dans ce contexte, ceux qui encore s’opposent aux évidences peuvent nourrir bien des regrets de n’avoir pas su convaincre plus tôt les masses et d’avoir, par ricochets, infléchi le sens de l’histoire. Une lecture vitale et vivifiante.
Chantal Montellier – Social Fiction – Les Humanoïdes Associés
Lily, une petite fille, vit dans une ferme avec son père et sa belle-mère. Il y a de cela quelques temps sa mère est décédée dans les eaux d’un étang à proximité de la ferme. Repliée sur elle-même Lily passe ses journées dans les champs environnants et discute avec un épouvantail plutôt grossier qu’elle va apprendre à domestiquer. Le duo inédit aux manettes de ce récit, Philippe Pelaez (Neuf, De bruit & de fureur) au scénario et Stéphane Sénégal (Anuki) au dessin, livre une copie tout à la fois sensible, s’immisçant dans les pensées troublées de la jeune Lily et fantastique, sous fond de polar sordide.
Un jour dans la forêt proche de l’étang le père de Lily est surpris par un bruit sourd qui lui provoque comme un choc. Après avoir recouvré ses esprits il prend conscience qu’un accident vient d’avoir lieu. Une voiture vient en effet de percuter un arbre avant de finir sa course dans l’étang. Du couple qui composait les occupants du véhicule seul l’homme parviendra à s’extraire de la carcasse. Un fait divers malheureux qui interroge pourtant. La jeune femme qui a laissé la vie dans l’accident a-t-elle était distraite par l’épouvantail qui trône dans le champ alentours sur les hauteurs d’un petit mamelon ? Pourquoi seul l’homme est parvenu à s’extraire du véhicule ? Une enquête sera menée consciencieusement par un inspecteur pointilleux qui parviendra à requalifier l’accident en homicide… Dans un noir et blanc qui se prête parfaitement au récit, Stéphane Sénégal, que nous avions connu sur la série jeunesse Anuki, démontre qu’il possède un style bien à lui. Entre dynamisme du trait et attachement aux petits détails et aux expressions, il offre une copie de haute volée. Le scénario lui, est diabolique, venant s’immiscer dans le quotidien, déjà bouleversé, d’une jeune fillette. Fillette qui va grandir de sa relation fantasmagorique avec un épouvantail qui dépassera de loin son rôle commun qui se résume à effrayer les oiseaux…
Philippe Pelaez et Stéphane Sénégal – Epouvantail – Dargaud
Cléopâtre ne se résume pas qu’à son nez et à ses talents de manipulation. Ce serait un peu réducteur, voire un brin misogyne. Pour réparer cela la dessinatrice Isabelle Dethan lui consacre un album entier dans lequel elle revient sur le parcours de celle qui dirigea l’Egypte de sa grandeur à sa décadence. Pour cela elle revient sur sa jeunesse, explique la manière dont elle s’est retrouvée au cœur du pouvoir, et comment elle a composé avec les désirs insistants de la grande Rome pour épargner le plus possible son peuple. Elle revient sur ses liens avec Jules César puis Marc Antoine jusqu’aux derniers moments de sa vie. Elle en profite surtout pour redimensionner le personnage, mettant en lumière son attachement pour son peuple au sein duquel elle s’immisçait parfois recouverte d’un châle, sa connaissance des philosophes et de l’histoire, et son appétence pour les langues qu’elle aimait à pratiquer.
Isabelle Dethan en grande spécialiste de l’Egypte qu’elle a décliné dans de nombreux récit (Le Roi de paille, Le tombeau d’Alexandre Kheti, fils du nil, Sur les terres d’Horus) parvient à trouver l’équilibre parfait entre détail et lisibilité. Elle le fait en entrecoupant les scènes de dialogues entre Cléopâtre et un petit singe qui observent tous les deux ce qu’est devenue l’Egypte, plus de vingt siècles après son règne, tout comme elle met en scène, dans des moments de poses, les réflexions que la jeune femme entretient en privé avec une momie offerte par son père alors qu’elle n’était qu’enfant. La dramaturgie de cette histoire, qui se veut donner une image nouvelle de son héroïne, placée dans les cadres somptueux de l’Egypte ancienne, offre un panorama saisissant et touchant d’un règne qui aura retardé le plus longtemps possible l’annexion de l’Egypte par l’Empire romain. Isabelle Dethan en grande connaisseuse de l’histoire de l’Egypte assume des partis pris là où l’historiographie repose encore sur des vides et où l’histoire vit de théories divergentes. Un récit qui nous donne incontestablement l’envie d’explorer cette grande histoire de la conquête de l’Egypte par Rome, autour des figures de César, de Marc-Antoine, et bien sûr, de Cléopâtre. Un travail remarquable.
Isabelle Dethan – Moi Cléopâtre, dernière reine d’Egypte – Dargaud
Camille Simon est entomologiste. Il étudie, recueille et classe les espèces de papillons en provenance de toutes les parties du globe. Un jour il reçoit de l’un de ses correspondants, Candido, un chasseur basé en Amérique du Sud, dans la forêt amazonienne, un papillon Parides. Seul problème, l’espèce est annoncée comme éteinte depuis que l’urbanisation galopante de Rio de Janeiro l’a chassé des faubourgs de la mégalopole brésilienne. Comment cela est-il possible ? Pour le savoir et tenter de lever le voile sur ce mystère qui pourrait remettre en cause les résultats de la communauté scientifique, l’homme se décide, avec sa nièce Géraldine, à prendre un vol pour le Brésil. Arrivé sur place il tentera de revenir sur les pas de son chasseur, dans une forêt hostile pour qui ne la connaît pas. Hostile par sa faune et sa flore mais aussi car la venue de l’entomologiste aura pour effet de retarder les projets de la mafia locale et de chasseurs armés prêts à en découdre avec ceux qui mettent des bâtons dans leur petite vie réglée à l’équilibre pourtant fragile.
Bezian et Matz, deux univers très marqués et identifiables qui se réunissent dans un projet singulier qui, sur la base d’une simple chasse aux papillons vire au polar glacial. Les papillons sont une passion de Matz, qui souhaitait développer un récit les mettant en scène. Mais sur le papier cette histoire aurait pu souffrir d’un manque de relief. Car l’entomologie reste un univers assez fermé, plutôt réservé aux spécialistes. Il fallait donc dimensionner le récit en le parsemant de petits cailloux dans la chaussure, autrement dits d’accidents qui servent le propos et le transporte vers quelque chose de plus ouvert. L’Amazonie s’y prête forcément, elle qui se voit tous les jours un peu plus dévastée, et les peuples premiers qui y habitent avec. Ici le trait de Bézian se révèle d’une justesse rare, le dessinateur ajoutant à sa palette, au travers de planches proches de la gravure académique, une nouvelle corde à son arc. C’est bien mené, incisif, fait de rythmes changeant et relativement ouvert au final. Objectif atteint !
Bézian & Matz – Les papillons de meurent pas de vieillesse – Casterman