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Michel Houellebecq, le retour du poète maudit

Michel Houellebecq, poète maudit, incompris, provocateur et observateur du monde nous revient en force pour cette rentrée littéraire avec le roman que l’on attendait. Une occasion à ne pas laisser passer…  C’est pourquoi nous avons décidé de vous présenter non seulement La Carte et le territoire, son dernier opus mais aussi ses Poésies, rééditées chez J’ai lu et un album trace enregistré en 1996 avec le musicien Jean-Jacques Birgé qui nous a accordé un peu de son temps pour une interview.

Chaque rentrée littéraire possède ses chefs de file. Pour cette édition 2010, ils étaient foisons : Philippe Claudel, Alain Fleischer, Olivier Adam, François Vallejo, Antoine Volodine, Vassilis Alexakis, Jacques Abeille, sont ceux dont nous parlerons dans les semaines à venir (en commençant par mercredi prochain pour un article sur la rentrée littéraire). Un autre nom revient sur toutes les lèvres, celui de Michel Houellebecq. Au cours des dernières années l’auteur avait pris l’habitude de provoquer ou tout du moins d’interroger, de faire naître des débats qui allaient au-delà de la simple littérature. Il nous revient aujourd’hui avec un ouvrage qui ne devrait pas alimenter de telles polémiques. Tant mieux car cela nous permet de nous pencher sur l’essentiel : l’œuvre même !

 

La Carte et le territoire (Flammarion)

Osons le dire d’entrée, ce nouvel opus de Michel Houellebecq confirme une fois de plus que nous avons affaire à un auteur essentiel, un classique avec des mots d’aujourd’hui, comme le qualifie Jean-Jacques Birgé dans l’interview qui suit cet article, un auteur qu’il faut lire pour saisir toute la richesse de la littérature française actuelle. La construction de La Carte et le territoire n’a pourtant rien de révolutionnaire au premier abord. Certains s’énerveront même d’aspects récurrents dans l’œuvre de l’auteur : la noirceur des rapports humains, l’utilisation de personnages réels au service de l’intrigue, ici Frédéric Beigbeder ou Jean-Pierre Pernaud, les descriptions longues de modes d’emplois sans intérêt… mais tout cela cache l’essentiel, une écriture d’une fluidité rare, une intrigue qui s’épaissit au fil des pages pour arriver à un dénouement majestueux sous fond d’intrigue policière.

Mais commençons par le début, quelle est la trame de ce nouveau roman ? Jed Martin, artiste plasticien, devient célèbre grâce à une série de photographies qu’il réalise à partir de cartes Michelin. Délaissant l’appareil photo pour le pinceau, il poursuit sa carrière en portraitisant tout d’abord des travailleurs inconnus, Ferdinand Desroches, boucher chevalin puis Claude Vorilhon, gérant de bar-tabac, puis, reconnaissance oblige, les grands de ce monde, Bill Gates et Steve Jobs notamment. Pour la nouvelle exposition qu’il prépare afin de présenter ce travail, Jed décide de confier la rédaction du livret de l’exposition à un écrivain qui a une vision juste de la société, comme le décrit son père Jean-Pierre Martin ; cet écrivain n’est autre que Houellebecq lui-même. La série de rencontres entre les deux artistes met en évidence un mal de vivre réciproque. Personnages quelque peu anachroniques, qu’une société de l’immédiat peut ranger très vite au rayon des has been, chacun vit avec ses doutes et ses souffrances. Pour Jed l’histoire d’une mère très tôt suicidée et d’un père « casé » en mouroir, de rapports « difficiles » avec les femmes, qui ne lui laisseront, à l’orée de sa vie, que des traces fugaces…   

La carte et le territoire pose la question, simple a priori, de savoir si la représentation peut être – ou est –  plus intéressante que sa réalité. C’est en partie sur ce questionnement, pas si nouveau dans l’art contemporain, que se fonde le roman de Michel Houellebecq. Au travers de cette interrogation, l’auteur des Particules élémentaires dresse un bilan au vitriol d’un milieu dans lequel navigue allègrement les millions. La scène du vernissage de l’exposition de Jed, au cours de laquelle les représentants des plus grosses fortunes mondiales déambulent dans la galerie, à la recherche « du » tableau à acquérir pour rester dans le circuit des « millionnaires à la page » est un modèle du genre. Autre passage fort du roman, la descente dans un institut médicalisé destiné aux personnes désireuses d’abréger une existence que rien ne peut colorer ou apaiser. Mais l’oeuvre ne se résume pas à une succession de passages à la plume maîtrisée, sinon le roman ne saurait être à la hauteur de ses prétentions, et ce même si l’auteur se défend d’en avoir. Non le roman va au-delà en posant, par touches successives, les désespoirs d’une société vérolée que notre conscience collective n’arrive plus à contrôler. Comme Jed, le désir de Michel Houellebecq est tout simplement de rendre compte du monde

Roman parfois amer, qui n’hésite pas à bousculer la bienséance, La Carte et le territoire possède une force rare, celle de nous conforter d’avoir partagé un moment rare une fois refermée la dernière page. Et pour tout cela nous ne pouvons qu’être en contradiction avec Houellebecq-personnage, lorsqu’il affirme qu’Il est impossible d’écrire un roman, (…), pour la même raison qu’il est impossible de vivre : en raison des pesanteurs qui s’accumulent. Force de quoi ce texte s’affiche déjà comme incontournable car sensible sans sentimentalisme…

La littérature de Houellebecq n’est pas une fille joyeuse. Observateur d’un monde qui tisse toujours plus sa ruine, jusqu’à en conjuguer toutes les nuances de gris, Houellebecq, avec sensibilité, force et provocation, exhorte les maux qui nous hantent tous. Sa littérature, reflet d’un état du Monde, propose une véritable étude sociologique. Une sociologie certes romancée mais qui prend aux tripes. Elle n’est ni remède ni virus, elle décrit simplement un monde à changer…

 

Poésie (Le sens du combat, La poursuite du bonheur, Renaissance – J’ai Lu)

Avant d’être le romancier que l’on connaît, Michel Houellebecq a produit une œuvre poétique de premier plan dans laquelle la plupart des thèmes qu’il abordera plus tard dans son œuvre sont mis en avant. Trois de ces principaux recueils, La poursuite du bonheur (prix Tristan Tzara 1992), Le sens du combat (prix de Flore 1996) et Renaissance sont réédités en un seul volume en septembre en poche par les éditions J’ai Lu. La poésie de Houellebecq a sûrement alimenté les proses en gestation chez l’auteur. Véritable laboratoire d’expérimentation, œuvre sociale, de revendication, mais aussi de soumission, sa poésie se doit d’être (re)lue. Elle figure parmi ce courant français qui ose dénoncer les travers de la société dans laquelle il vit, pour chasser ses peurs, leur donner l’image d’un concret méphitique, pour les maîtriser peut-être, même si la résignation l’emporte :

Nous devons développer une attitude de non résistance au monde ;

Le négatif est négatif,
Le positif est positif,
Les choses sont.
Elles apparaissent, elles se transforment,
Et puis elles cessent simplement d’exister ;
Le monde extérieur, en quelque sorte, est donné
(…)

Michel Houellebecq – Le sens du combat

 

Etablissement d’un ciel d’alternance (Label GRRR)

Au cours de cette période de création, alors que l’auteur n’a pas encore épousé le succès que l’on connaît, il récite parfois en live ses poèmes, accompagné sobrement par des musiciens. Le projet le plus abouti, au point d’en être un véritable plaisir auditif est celui produit en 2007 par le musicien Jean-Jacques Birgé. Paru sous le titre d’Etablissement d’un ciel d’alternance sur le label GRRR, la bande son nous donne à entendre une voix chaude qui capte notre attention. La musique qui se glisse par couches successives pour envelopper, lover, la voix est d’une justesse rare. Assez affirmée pour relayer la tension du texte et assez effacée pour lui donner toute sa gravité. Ce juste équilibre fût obtenu lors d’un premier jet et devait servir de « mise » au point avant une lecture programmée à la Fondation Cartier. Un témoignage rare que je vous invite à découvrir, le disque étant toujours disponible… Avis aux amateurs ! Pour revenir sur ce projet nous avons posé quelques questions à Jean-Jacques Birgé. Une lecture recommandée pour comprendre la naissance de cette œuvre à part dans la carrière de l’auteur des Particules élémentaires.

 

Interview de Jean-Jacques Birgé

Comment est né ce projet ?
Jean-Jacques Birgé : Claude Guerre et André Velter nous avaient associés pour leur cycle de poésie accompagnée en musique sur France Culture. Comme l’enregistrement du CD Le sens du combat ne nous satisfaisait ni l’un ni l’autre mais que nous y avions pris tout de même beaucoup de plaisir, nous avons décidé de continuer notre collaboration. Après le Théâtre du Rond Point nous avons joué aux Instants Chavirés et surtout à la Fondation Cartier pour le Xe Anniversaire des Inrockuptibles. Je me souviens de Pierre Bastien puis de Patti Smith que nous précédions tandis que Michel se rappelle les perruches d’une installation située dans la même salle que nous et avec qui il dut lutter pour se faire entendre ! Probablement pour ne pas être taxé d’opportunisme, j’ai attendu onze ans pour publier Établissement d’un ciel d’alternance que j’avais enregistré au Studio GRRR en novembre 1996, car, entre temps, Michel Houellebecq était devenu célèbre. Nous étions ensemble le jour où il apprit qu’il venait de recevoir le Prix de Flore. Il y a une fraicheur dans cette répétition qui tient à un désir partagé et à l’improvisation. C’était notre première séance de travail… 

Comment as-tu travaillé spécifiquement avec Michel qui n’est pas musicien ?
Il a préparé un montage de poèmes extraits du Sens du combat et de La poursuite du bonheur sur lequel j’ai composé une sorte de suite symphonique pour clavier électronique et processeur vocal, un peu comme un décor intemporel. Par un petit signe de tête je dirigeai Michel pour qu’il me laisse développer des passages musicaux. La lecture en musique exige des plages de respiration où le texte s’efface pour laisser place à l’imagination. Je connaissais aussi les goûts de Michel plutôt pinkfloydiens ! Il ne me restait qu’à contrôler le rythme de l’ensemble. Le disque a été enregistré tel quel, d’un trait, sans coupure.

Michel dit sur le livret que cette expérience est sûrement l’une de ses plus belles réussites avec un musicien. Qu’est-ce qui, selon toi, a permis d’obtenir un si beau résultat ?  
Comment répondre sans me jeter des fleurs ? Mes origines cinématographiques et ma longue pratique de la confrontation aux autres arts m’ont permis de mettre Michel en confiance. J’ai l’habitude de diriger des comédiens et j’avais déjà enregistré avec Michael Lonsdale, Richard Bohringer, Daniel Laloux, André Dussollier, Jane Birkin, Annie Ernaux, Luis Rego, Claude Piéplu, etc. La façon qu’a Michel de s’exprimer joue de silences propices à une rencontre musicale. De plus, parfaitement placée, sa voix est ici à la fois chaude et détachée. On plane !

Que retiens-tu de cette collaboration avec Michel Houellebecq ?
Le succès ne l’a pas changé d’un iota depuis notre première rencontre. Ses poèmes m’évoquaient des paysages sonores qui, j’espère, servaient son propos tout en m’autorisant une approche musicale simple qui correspond à un aspect de ma sensibilité que j’ai eu peu l’occasion d’exprimer ailleurs que dans des musiques de films.
Michel m’a obligé à être patient. Lorsque nous discutions au téléphone par exemple, il attendait régulièrement trente secondes entre chaque mot. C’était son habitude alors. Plus tard, à force de répondre à des interviews, il a un peu accéléré le rythme. Lorsqu’il parle on dirait que chacun de ses mots est suivi d’une image mentale qu’il doit digérer avant d’en émettre un nouveau. Comme je voulais savoir où il voulait en venir, je ne disais rien. Il faut imaginer l’épreuve pour un bavard comme moi ! Le non-dit occupe une place considérable chez lui qui aime dire les choses comme elles sont et citer le nom exact des personnes et des lieux. Ses provocations verbales sont des manifestations d’impatience devant un interlocuteur qui l’irrite ; alors il peut dire n’importe quoi qui se retournera ensuite contre lui quand la presse s’en emparera. J’ai dû batailler avec nombreux camarades qui ne comprenaient pas pourquoi je continuais avec lui. Comme j’ai la chance de l’avoir connu avant le succès, je crois savoir qui il est et j’ai une grande tendresse pour lui avec son innocence cruelle, sa revanche de perdant et son égocentrisme. C’est un écrivain avec un style, ce qui est rare, très musical, pas si moderne, un classique avec des mots d’aujourd’hui.

A lire :

– La Carte et le territoire – Flammarion 2010 – 432 pages – 22 euros
– Poésie – J’ai Lu 2010 (rééd) – 317 pages – 8 euros
– Houellebecq écrivain romantique d’Aurélien Bellanger – Léo Scheer 2010 – 299 pages – 18 euros

 A écouter :

– Birgé/Houellebecq – Etablissement d’un ciel d’alternance – Label GRRR

Je vous invite aussi à podcaster sur le site de France culture l’émission Répliques du 11 septembre 2010 d’Alain Finkielkraut avec Michel Houellebecq : http://www.franceculture.com/podcast/2633241

 

Crédit photos: JJB


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