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Quand la BD se veut friponne… (1ère partie)

La BD explore bien des chemins et des thématiques porteuses pour un public qui n’a jamais été aussi hétérogène. La BD érotique, elle, ne date pas d’hier et lorsque sort au début des années 60 le personnage de Barbarella dessinée par Jean-Claude Forest, la brèche s’ouvre indubitablement pour ne plus se refermer. L’école italienne forte d’auteurs comme Manara, Frollo ou Crepax a conquis un marché, suivi de près par des auteurs de manga tel Yamamoto dont nous vous présentons ici le recueil Blue. Retour sur quelques publications récentes… à ne pas placer entre toutes les mains…

 

 Commençons donc par une bonne surprise en la matière de ce recueil d’histoires courtes de Leone Frollo, La belle éplorée. L’auteur, natif de Venise, ville glamour s’il en est, reste un mystère de l’édition. Un trait riche et expressif, un indéniable talent de mise en scène et de narration aurait dû le porter vers une riche carrière. Pourtant il demeure l’un des auteurs les plus sous-estimé du 7ème art. La faute à des choix de carrière ou des orientations artistiques pas toujours judicieuses et cette envie de ne pas s’enfermer dans un seul et même médium. Frollo, dont Delcourt a déjà réédité Casino et Mona Street, plus connus que les histoires contenus dans le présent recueil, ne produit plus de bande-dessinée préférant se consacrer à l’illustration. La belle éplorée devient donc plus qu’une curiosité. Douze histoires composent cet album à la couverture rétro-chic, dont un inédit en France retrouvé un peu par hasard lors du travail éditorial sur l’intégrale de l’œuvre de l’auteur italien, Galaxy Jane qui clôt l’album. Ces courtes histoires mélangent allègrement les genres, space opéra, fantastique, adaptation libre d’œuvre classique érotique (le Gamiani de Musset), délires les plus divers sous forme d’hommage à Bettie Page, la célèbre pin-up américaine… Bref des approches plurielles autour de la déclinaison de récits sous fond d’érotisme plus ou moins marqué. La belle éplorée qui sert de titre au présent recueil pourrait illustrer ce que fut l’auteur italien dans ses moments les plus inspirés. Tout débute sur la place Saint-Marc. Une jeune brune dont nous apprendrons plus tard qu’elle est comtesse, se promène avec son amant quand elle est prise d’une envie soudaine d’uriner. La jeune femme n’hésite pas une seconde et soulève sa robe pour mettre fin à cette envie pressante. Son cavalier la rejoint alors pour lui offrir une langue plutôt bien placée… Arrivés dans un hôtel de luxe, la comtesse s’amusera de son amant lui demandant de lui enfiler des bas avant une séance d’onanisme très expressive. Plus tard dans la soirée les deux amants se rendent à un rendez-vous avec un riche client fumant un barreau de chaise dans un restaurant chic de la ville. Le client en question, un certain M. Walk vient aux nouvelles quant à un achat qu’il vient d’effectuer pour sa collection très privée. Nous découvrirons que l’achat en question, bien monnayé par la comtesse et son amant n’est autre qu’une jeune femme aux cheveux bouclés qui servira à assouvir ses désirs de bondage… Efficace.

Un recueil qui nous permet de retrouver un auteur de genre talentueux au trait classique mais expressif qui ne connaissait pas de limites dans sa façon d’amener ses sujets…

Leone Frollo – La belle éplorée et autres histoires – Delcourt – 2012 – 16, 95 euros

Autre auteur italien, installé aujourd’hui à Strasbourg, Giuseppe Manunta a étudié la bande dessinée à la Scula Internationale de Comics de Rome. Son récit, Scandales, publié par Tabou BD en dit beaucoup dans son titre tout en préservant une bonne dose de suspense dans la narration.

L’Institut Albert Windsor, demeure le must en matière d’éducation privée pour les fils de riches ainsi écartés des misères de la vie et qui peuvent consacrer tout leur temps à la préparation de leurs diplômes. Un soir arrive aux portes de l’établissement Luca Vitelli, un jeune homme qui détonne dans cet univers. Et pour cause, bâtard sans le sous, la mère supérieure qui dirige cette école respectable accepte pourtant, une fois portée à sa connaissance une lettre mystérieuse, de prendre le jeune homme parmi ses pensionnaires. Qui est-il ? Pourquoi déroger aux règles qui régissent l’Institut placé sous le sceau de l’élitisme ? Nous le saurons au fil d’un récit dense et riche en surprises. Car une fois franchit les grilles du prestigieux établissement et une fois les chérubins loin du regard de leurs richissimes familles, les travées de l’établissement, pourtant placé entre les mains de religieuses, s’avèrent être un lieu de débauche et de tension permanente entre pensionnaires. Le regard se porte tout d’abord sur Valeria, une petite peste qui n’hésite pas à offrir de petits plaisirs à ses camarades de classes. Un professeur qui délivre son cours n’est pas en reste. L’appel téléphonique qu’il reçoit n’est rien d’autre qu’un alibi à l’assouvissement des pulsions de la mère supérieure… Tout va donc un peu de travers lorsqu’on creuse dans cet univers bien lisse au premier abord. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Suicides, meurtres, lutte d’influence et surtout dépravations diverses seront au rendez-vous de cet album détonnant.

Le dessin de Giuseppe Manunta surprend au premier abord par un classicisme que relève son sens des couleurs et de la narration. Une découverte à ne pas bouder !

Giuseppe Manunta – Scandales – Tabou BD – 2012 – 15,20 euros

Le manga explore depuis pas mal de temps par le biais du hentaï, l’érotisme sous diverses formes. Un des grands maitres du genre n’est autre que Yamamoto dont le recueil Blue, paru au Japon en 1990 est réédité en France par l’excellente maison IMHO.

Blue regroupe sept histoires construites autour d’une jeunesse trop vite désabusée par une vie lisse ou empreinte de malaises qui servent de base à une certaine négation de leur propre corps. Dans la première histoire Eri, une jeune étudiante dit aimer Haino, un garçon qui lui voue une véritable admiration et un amour passionnel, mais la jeune fille ne se refuse pas pour autant à deux jumeaux qui partageaient avec elle des cours d’astronomie. La jeune fille passe de l’un à l’autre sans pour autant décider de l’orientation qu’elle compte donner à sa vie, allant jusqu’à déstabiliser le jeune Haino qui préfère prendre la tangente plutôt que de sombrer. Des visions envahissent pourtant bien des mois plus tard le jeune homme, hanté par les fantômes de la mort… Dans Hypochristmutreefuzz, un homme ère dans la ville à la recherche de prostituées. Il tombe un peu par hasard sur une jeune fille de 17 ans censée vendre des allumettes et qui s’offre pour une misère à des inconnus. La jeune fille laissée à l’abandon de longs jours durant par une mère qu’elle veut tuer, et si possible de manière violente, semble sombrer dans une aliénation sans retour. Dans une autre histoire deux ados aimant le cinéma passent de longues heures dans les salles obscures. Tout d’abord timides ils se serviront de l’obscurité pour s’adonner à des plaisirs partagés. Un jour ils sont surpris par un ado plus âgé de leur propre lycée qui va s’en prendre au jeune garçon le séparant de son amie. Amie qui préfère dès lors se donner au plus âgé des deux.

Yamamoto explore avec une attention tendre et sans porter de jugement les dérives d’une jeunesse sans espoirs ou si peu. A la manière d’un Larry Clarck, il expose des situations sans voyeurisme avec beaucoup de noirceur, de sens caustique mais aussi avec cette idée que la balance fragile des sentiments, du regard de l’adolescent sur le monde peut aussi s’infléchir pour faire revivre l’espoir…

Naoki Yamamoto – Blue – IMHO – 2012 – 18 euros

Giuseppe Bergman s’inscrit dans cette veine de personnages aventuriers à la Jonathan de Cosey. Baroudeur sans attache, prêt à relever les défis, et qui se trouve bien souvent malgré lui placé au cœur d’un danger dont il aura en partie la clef ou tout du moins des éléments pour en éviter le pire. Teinté d’un érotisme soft qui tient plus du fantasme, un cadre souvent grandiose et propice à une évasion de l’esprit qui se perd parfois entre rêve et réalité, les récits de Giuseppe Bergman donnent à voir un héros qui essaye de forcer son destin pour mieux le maîtriser.

Après les Aventures vénitiennes rééditées en janvier 2011 et les Aventures africaines, rééditées en mai 2011, les éditions Drugstore livrent en cette année 2012 les deux derniers volets de cette intégrale, Aventures orientales (janvier) et Aventures mythologiques qui vient juste de sortir. Le récit qui se fond dans la cadre oriental voit Giuseppe accompagner Francesca Foscari, directrice de production de films, au cœur des montagnes népalaises à la recherche d’une équipe de tournage qui a mystérieusement disparue. Seules traces éparses qui permettent de les retrouver, des bobines retrouvées dont seules quelques extraits sont encore visionnable. Mais chose étrange, au cours de leur traversée des montagnes et au fur et à mesure qu’ils avancent Francesca, Giuseppe et deux acolytes qui les accompagnent arriveront à lire, sur les lieux même où elles ont été tournées, les bobines abimées qui reviennent à la vie. Les indices recueillis vont ainsi permettre de se rapprocher un peu plus de la vérité sur les raisons de la disparition de l’équipe de tournage. Une disparition qui semble revêtir une dimension plus qu’insoupçonnée…

Aventures mythologiques se divise en deux récits placés sous le sceau de l’histoire de l’art et de la mythologie grecque. Dans la préface à cet épais volume, Milo Manara explique que L’histoire de l’art c’est nous. L’histoire de l’art raconte notre histoire, notre passé et notre présent, ce que nous avons été et ce que nous sommes (…) Les artistes, même les plus grands, ne sont pas des figures légendaires qui vivent seulement dans les musées ou les livres : ils sont nos frères aînés, nos parents, nos grands-parents qui, en se racontant, nous racontent tous et nous aident à nous orienter dans ce monde de plus en plus dévasté, violenté, où il est facile de se perdre.  Il entend ainsi, par le prisme de cette mémoire et de cet attachement à l’expérience collective, nous laisser percevoir les clefs d’un cheminement possible vers une compréhension de ce que nous sommes.

Dans la première histoire, Giuseppe Bergman se voit confié bien malgré lui le destin d’une jeune femme a priori déboussolée qui vit au travers des grandes peintures des siècles passés en reconstituant les scènes où elle se place au cœur de l’action. Mais cela ne va pas sans risque car la jeune femme en reproduisant les tableaux qui lui parlent, opère une véritable mise à nue, au propre comme au figuré, la laissant fragile au milieu d’un monde plus cartésien. Giuseppe sera celui qui opérera le lien entre l’imaginaire de la jeune femme et la réalité d’un quotidien gangréné par la cruauté, la corruption, irrémédiablement dominée par le mal, incapable de tendre vers le bien, la paix, l’amour… Elle naviguera ainsi dans les œuvres de Gabrielle d’Estrées, de Manet, du Tintoret, de Von Stuck, de Doré, de Veronese, de Van Dyck et d’autres encore à la recherche d’une flamme…

Dans la seconde histoire, Giuseppe est recueilli dans un bateau en pleine mer après que son embarcation fut percutée et mise par le fond par une autre bien plus grande que la sienne. Il découvre à bord des personnages un peu bizarres qui se dirigent vers Ithaque afin de revivre l’Odyssée. Il sera par la force d’un casque basculé dans l’histoire de la Grèce antique et entrera en contact avec Ulysse et Elpénor.

Dans ces deux volets, Milo Manara se livre sur sa vision de notre monde qui serait en passe de limiter notre droit au rêve et à la poésie, qui seuls pourtant peuvent nous permettre de renverser nos destins liés vers un néant obsessionnel et destructeur. La beauté du trait mêlé à une profondeur de propos rare font de ces aventures mythologiques, teintés d’humour et d’érotisme, une œuvre inclassable qui appartient et fait un auteur. A noter dans cette version luxueuse 60 pages additionnelles en couleurs de cahier graphique de l’ensemble des épisodes de la série. Un moyen d’entrer dans l’univers du créateur…

Milo Manara – Aventures orientales – Drugstore – 2012 – 22, 50 euros
Milo Manara – Aventures mythologiues – Drugstore – 2012 – 29, 50 euros


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