Les rapports que nous entretenons avec les autres seraient-ils construits inconsciemment sur une imitation sans cesse reproduite à quelque degré que ce soit ? Anton le personnage mis en scène par le romancier Alain Fleischer, se pose et cultive cette interrogation dans le cadre d’un mémoire de fin de cycle. Alors que nous croyons posséder les clefs de notre destin, serait-il simple reproduction, résignation, petite mort ? Voyage vers les abysses de l’entendement…
Alain Fleischer – Imitation – Actes Sud – 2010 – 343 pages – 22 euros
Et si la vie n’était en somme qu’un éternel recommencement ? Les gestes et les actes de chacun obéiraient en quelque sorte à un dictat inconscient ou non, ancré dans nos gènes, dans notre rapport à la société qui voit dans l’imitation – dans le processus de reproduction d’un acte – quelque chose de rassurant. Anton, personnage central du dernier roman d’Alain Fleischer, Imitation, paru chez Actes Sud, part – au travers d’une histoire construite sous forme d’un conte surréaliste, sorte de rêve éveillé, dans lequel le personnage central navigue dans un brouillard permanent – à la recherche d’une vérité qui, aussi sûrement qu’il croit s’en approcher, l’éloigne a contrario, toujours plus de la réalité. Le romancier lui-même se retrouve pris dans cet engrenage de l’imitation puisque le constat s’impose à lui qu’en ce moment même, suis-je en train d’imiter la posture d’un écrivain qui commence un livre, imitation d’un roman, roman de l’imitation.
Revenons à notre histoire. Anton est un étudiant qui effectue des recherches sur le phénomène de l’imitation. Pour cela il est aidé par Joseph Kalman, un professeur âgé qui lui sert, plus que de simple directeur de recherche, de véritable maitre à penser, ou, pour être plus juste à repenser la réalité qui l’habite. Pour cela le professeur laisse carte blanche à son étudiant. La thèse pourra ainsi prendre la forme souhaitée par lui, ce qui n’exclue pas l’aspect romancé : ce sera le roman de Mimmo qui s’insère dans Imitation par alternance avec le récit principal.
Nous sommes en été et, alors qu’il est peu en fonds, Anton accepte la proposition du professeur de garder pendant le mois d’août la propriété d’un riche ami dans le village de K… L’étudiant se dit qu’il pourra aussi y faire venir son amie Lucia qu’il n’osait trop inviter dans son modeste logement étudiant. Parti vers ce mystérieux village dont les lettres s’effacent au fil du temps, tout comme les chemins qui permettent d’y accéder, l’étudiant se trouve accueilli par un étrange personnage de petite taille qui lui servira de guide dans sa demeure estivale. Je pénètre enfin dans ce hameau dont le nom sur la pancarte s’est effacé , dont le chemin d’accès s’est effacé, et qui semble s’effacer lui-même, avec ses quelques murs blancs, flottant dans les vibrations de l’air brûlant, comme des draps qui sèchent depuis des décennies, et dont j’imagine que la nuit ils ressemblent à des linceuls de fantômes.
Là, dans la vaste demeure déserte, véritable labyrinthe, troublant et attirant, des évènements mystérieux vont se dérouler plongeant le jeune homme dans un abyme de doutes, de saveurs amères, de goûts non/mal identifiés. Des résurrections d’un passé tragique dans des bois habités par des spectres musiciens, en passant par des scènes érotiques vécues avec son amie Lucia ou sa sœur jumelle Nell (lui-même ne le sait vraiment), Anton vit une réelle initiation qui lui permet de s’approcher, le suppose-t-il, de l’essence de sa problématique. Mais, alors que certaines certitudes semblent s’esquisser, Joseph Kalman, le vieux professeur, jette de nouveau le doute en raisonnant sur notre bonheur à tous. Serait-il lui aussi une simple imitation de ce qu’il fût ?
Au travers de ce questionnement permanent qui porte le roman, le lecteur se trouve plongé dans un étrange sentiment comateux, le texte faisant office de levier vers une vérité à (re)construire. Avec Imitation Alain Fleischer pose aussi les questions de l’abandon, de la résignation dans une société qui reproduit sans cesse les mêmes erreurs, de la création dans l’art. Création qui n’est souvent qu’imitation, ou usurpation… l’artiste rejouant la même partition. Alors c’est au lecteur de prolonger le roman pour éviter que le pire ne devienne lui-même un modèle et donne lieu à imitation.
Un roman saisissant.