Textes majeurs de la littérature qui traversent les temps pour nous parvenir avec toute leur force de suggestion. Notre Dame de Paris, Vol de nuit, les contes de Perrault sont de ces récits qui ont marqués nombre de générations. Les retrouver aujourd’hui illustrés par des artistes contemporains, au moins aussi inspirés et créatifs que leurs illustres aînés, représente un intérêt, une saveur non négligeable. Le travail d’illustrateur peut paraître ingrat s’il n’est pas apprécié au regard de l’investissement consacré par celui qui décide de donner une nouvelle vie, une nouvelle lecture à ces textes majeurs. Bernard Puchulu, René Hausman et Benjamin Lacombe ont détourné les pièges posés par le trop grand respect à l’œuvre produite. Ils offrent leur vision, une retranscription de l’imaginaire généré par la lecture du récit qui devient matière à l’exploration, point de départ d’un voyage qui prolonge et enrichit le texte. Nous présentons également ici le superbe « L’étoffe des légendes ». Cet album n’est pas issu d’un texte mais son déroulé, son architecture pourrait donner naissance à un conte tels ceux de Perrault, Poe ou Grimm. Quatre livres illustrés, pour autant de plaisir de lecture… De quoi nous transporter vers des ailleurs flamboyants…
Il est des textes majeurs du patrimoine d’une nation qui réveillent nos esprits perdus dans des terres aux contours mal définis et aux senteurs évanescentes. Ces textes traversent les âges, possèdent la force et la raison pour créer une identification commune. Références incontournables, ils s’affichent comme des points de ralliement, des balises posées là pour édifier notre histoire commune. Notre-Dame de Paris de Victor Hugo s’inscrit dans cette veine. Le texte a été lu et relu à de multiples reprises par nombre de générations successives. Les personnages créés par le génie français des lettres du XIXème siècle sont connus de nous, ils composent notre îlot de repères, un socle commun de connaissances à partager. Esmeralda, Quasimodo, le parvis enfiévré de Notre-Dame, le Paris médiéval aux ruelles mal éclairées et dangereuses dans lesquelles grouillent des troupes de bohémiens… Autant d’images qui scintillent dans nos esprits et prennent corps à la lecture de ce texte foisonnant fourmillant de références. Illustrer Notre-Dame de Paris n’est donc pas chose aisée. Cela nécessite non seulement de ne pas bouleverser les codes qui ont participé à édifier notre imaginaire commun mais requiert une modernité, une mise en valeur du romantisme et des excès qui lui sont propres. Etre moderne et respectueux à la fois ! Tel est le chalenge à relever pour celui qui s’immisce dans les méandres de ce texte labyrinthique.
Benjamin Lacombe a choisi de revenir au texte. Il l’a décortiqué pour mieux l’appréhender dans toute sa palette symbolique. Et il en a puisé le suc nourricier qui a donné forme aux illustrations placées dans le premier volume de ce roman (la division en deux volets a été rendue nécessaire pour des raisons pratiques). Il a surtout restitué de très belle façon le mouvement perpétuel qui découle des mots de Victor Hugo. L’écrivain excellait dans la description des scènes où évoluaient ses personnages, on oublie bien souvent qu’il était aussi un prodigieux rythmicien des mots qu’il couchait sur le papier tel un musicien soucieux de la mesure, des intervalles et du cadencement. C’est sur cet aspect de l’auteur qu’a travaillé Benjamin Lacombe en conservant l’idée perpétuelle de mouvement. Les illustrations doubles pages d’ouverture de livres sont reprises en pleine page dans un effet de dézoom qui capte l’attention du lecteur. Les illustrations se font volatiles, laissent planer un léger flottement, un flou qui enrichit cette idée de circulation, telle la robe d’Esmeralda qui épouse véritablement l’air. Le dessin de Benjamin travaille aussi sur les lumières, par le biais des vitraux, des heures de la journée qui s’égrènent et par la richesse des ambiances.
Victor Hugo était inquiet pour l’avenir de l’architecture historique. Il craignait que le livre de part sa diffusion plus rapide et quantitative soit un frein à la réalisation de grands projets architecturaux, tel Notre-Dame. La cathédrale devient donc un personnage à part entière du roman qui insuffle une réelle énergie. Cette énergie se trouve prolongée par Benjamin Lacombe qui se met au service du texte pour créer un ouvrage superbe en tant qu’objet (couverture au fer à chaud, dorures, enluminures travaillées, qualité du papier…) que prolonge l’osmose perceptible qui se crée entre texte et illustrations. La relecture de ce classique de la littérature n’en devient que plus évidente et réjouissante !
Victor Hugo (illustrations de Benjamin Lacombe) – Notre-Dame de Paris – Soleil – 2011 – 29,95 euros
Interview de Benjamin Lacombe
Travailler sur Notre Dame de Paris est un superbe chalenge. Comment es-tu rentré dans ce projet ?
En fait c’est un peu spécial. Je n’aurais jamais pensé pouvoir illustrer un roman comme Notre-Dame de Paris. Tout est venu d’un éditeur, Random House, qui m’a contacté pour me demander de travailler sur ce texte pour leur collection classique. J’ai réalisé une douzaine d’illustrations pour ce projet mais cela ne me convenait pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord je trouvais que le livre (en termes d’objet) n’était pas à la hauteur de cette œuvre. Ensuite j’ai eu un sentiment de « pas assez ». Il y avait de très nombreuses scènes que je voulais mettre en avant et cela n’a pas été possible sur ce projet. Comme j’avais déjà travaillé chez Soleil sur les Contes macabres d’Edgar Alan Poe – un projet réalisé à mon initiative et que j’ai pu véritablement porter jusqu’au bout – j’ai proposé à Clotilde et Barbara (ndlr : éditrices de la collection Métamorphoses) de faire un Notre-Dame de Paris dans le même esprit. Elles ont adhéré très vite au projet. A ce moment-là je ne pensais pas que cela serait aussi prenant. Les contes macabres font 320 pages tandis que Notre-Dame de Paris en fait 670 ! Ce n’est pas du tout du même acabit et comme nous voulions réaliser un projet du même niveau en termes de débit d’illustrations, cela induisait une centaine de dessins. Il est apparu rapidement qu’en raison de nos exigences sur la qualité du livre (un beau papier avec un certain grammage, une couverture de qualité…) il serait impossible de l’éditer en un seul volume. Son poids aurait alors atteint plus de 4,5 kg. Il aurait été impossible à lire. Le projet c’est donc développer en deux volumes comme l’édition originale de ce texte de Victor Hugo.
Avais-tu conscience d’une certaine responsabilité dans ton travail d’illustration de ce texte majeur de la littérature française ?
Oui mais d’un autre côté j’avais beaucoup de chance avec ce texte, car contrairement à de nombreuses œuvres majeures de la littérature française, Notre-Dame de Paris, de par son volume, n’a finalement été que très peu illustré. Ce projet trottait dans ma tête depuis un certain temps déjà. Il s’est donc mis en place de façon presque naturelle. Sur le fond je voulais vraiment que les personnages centraux de Notre-Dame de Paris prennent une forme quasi iconique. Je voulais dessiner LA Esméralda, LE Quasimodo. J’avais également en tête des scènes avec les cloches de Notre-Dame, les gargouilles… Je pense que dans l’approche des grands textes de la littérature, il faut surtout avoir un certain détachement, et c’est comme cela que j’ai appréhendé ce projet.
Pour réaliser les illustrations de Notre-Dame de Paris as-tu effectué des recherches documentaires préalables ?
Oui cela était essentiel, car je devais me plonger dans un Paris qui n’existe plus. Victor Hugo parlait lui-même dans son roman d’un Paris médiéval qui a été totalement bouleversé par l’arrivée de l’imprimerie. Il avait peur que, pour les hommes, le livre prenne progressivement la place de l’architecture comme moyen de laisser une trace durable dans l’histoire. Le livre a un impact direct sur la société, il est plus facile à réaliser qu’un grand édifice et, pour Hugo, cela représentait un réel danger pour l’architecture historique. Finalement nous nous apercevons qu’il n’a pas eu totalement raison car de grandes œuvres architecturales ont vu le jour après lui : le World Trade Center, la tour Eiffel, la tour de Taipei… Le livre est toujours là lui aussi. Je pense qu’il y a une résonance très moderne dans ce roman. Les préoccupations que Victor Hugo y développe sont toujours d’actualité, cela est la marque des grands textes, des grands auteurs. Il était donc effectivement intéressant, dans ma phase de travail documentaire, de reconstituer le Paris médiéval, de redessiner les monuments qui ont aujourd’hui disparus, de les retrouver dans les descriptions de Victor Hugo, ou dans des gravures d’époque.
Peux-tu nous parler de ton travail spécifique sur les personnages. Quel a été le point de départ pour toi dans leur représentation ?
Je n’avais pas envie de me démarquer. Le retour aux bases, au texte était donc essentiel. Au-delà de l’histoire le livre possède une véritable force qui émane de ses personnages. Des personnages qui vivent réellement au travers des mots et des descriptions de Victor Hugo. Cette force ne pouvait que ressortir sur le papier. Le but était donc de rester honnête et de restituer les personnages avec son cœur.
On sent aujourd’hui une volonté des éditeurs de revenir aux classiques illustrés. Comment le ressens-tu ?
Lorsque les Contes macabres sont sortis il n’existait alors aucune version illustrée pour adultes de ces textes. D’un point de vue général peu d’éditeurs ont consacré de collection aux classiques illustrés mis à part Futuropolis qui a édité par exemple du Céline et d’autres références. Lorsque Soleil a décidé de sortir les Contes macabres ils ont donc pris un certain risque. Finalement le livre a trouvé son public, il a vraiment bien marché. Cela a permis à la collection Métamorphoses de se développer. Et c’est vrai qu’aujourd’hui d’autres éditeurs s’engouffrent un peu dans cette brèche. Concernant les Contes macabres, il ne s’agissait donc pas d’une politique éditoriale, mais d’un désir personnel de travailler sur ce projet. Je remercie sincèrement Clotilde, Barbara et Mourad de m’avoir permis de le réaliser car ce n’était pas un pari gagné d’avance.
Pour revenir à Notre-Dame de Paris, peux-tu nous dire quel a été ton mot dans la réalisation de l’objet livre (couverture, papier…) ?
J’ai entièrement réalisé la maquette, choisi le papier… C’est quelque chose que je fais pour tous mes livres et qui est essentiel car pour moi un livre est un tout. C’est un texte, des illustrations, une typo, une maquette… Pour Notre-Dame de Paris j’avais l’envie de revenir aux fondamentaux du romantisme. Au rouge, au noir, au vert. Je voulais faire des images très enlevées, avec beaucoup de mouvements, car le romantisme c’est l’anti-immobilisme, le cœur qui bat la cavalcade, la sérénade… J’ai donc réalisé des images à la gouache et à l’huile mais aussi à l’aquarelle et à la pierre noire pour être beaucoup plus dans le mouvement. J’ai aussi placé dans le texte des petits cabochons qui sont entre l’illustration et l’esquisse et qui donnent une impulsion, un flux permanent. Au final j’ai voulu que l’aspect général du livre se rapproche de celui d’un missel. Il y a donc beaucoup d’ornementations, d’enluminures en or, un aspect très riche. Ceci se prolonge à l’intérieur du livre où j’ai aussi voulu placer des ornementations qui s’enrichissent d’un regard moderne.
Tes illustrations alternent à la fois les pleines pages qui ont un aspect très contemporain et ces petits cabochons qui ont un côté plus classique. Y avait-il pour toi un certain équilibre à trouver entre ces deux formes ?
Je ne suis pas sûr que les cabochons soient forcément d’aspect classique. Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. En les plaçant dans le texte je voulais surtout garder le mouvement. Car une pleine page ou une double page amène quant à elle un vrai moment d’arrêt. Je voulais garder cette fluidité de la lecture…
Où en es-tu dans la réalisation du second volume ?
J’ai presque fini les illustrations. Le second volet sortira en principe en août sous forme de coffret avec un emplacement pour le premier volume. La seconde partie de l’œuvre de Victor Hugo possède un rythme beaucoup plus rapide. Il y a de très nombreux rebondissements, il se passe énormément de choses. Je pense que si comme moi des gens ont lu ce roman lorsqu’ils étaient adolescents, en le relisant ils en auront une nouvelle vision. Une vision qui n’est pas biaisée par les représentations qui ont été produites notamment par Disney. Je pense que la véritable histoire, celle de Hugo, avec toutes ces sous-couches, toute sa portée, n’est pas très connue de tous. J’ai passé plus de deux ans sur ce projet, même si j’ai réalisé d’autres travaux entre temps, mais je pense que ces pauses ont eu un effet bénéfique sur ma perception de cette œuvre.
Que retiens-tu de ton travail sur ce projet ?
La persévérance (rires). Il faut pouvoir tenir ce volume de page ! J’ai aussi appris beaucoup de choses dans la réalisation de la maquette. Tout était un équilibre assez subtil à mettre en place entre le papier, le carton… Au final ce livre était assez compliqué à mettre en forme. Il a fallu du temps, trouver les bons outils pour créer l’écrin de ce texte magnifique.
Les contes de Perrault se sont imposés depuis plus de trois siècles comme des incontournables. Par la partie moralisatrice qu’ils dispensent, nous pouvons les rapprocher des fables de La Fontaine. Destinés aux enfants pour les éveiller à la vie, à ses dangers, à sa rudesse et à toutes ses promesses, Le Petit Poucet, Peau d’âne, Cendrillon, Le petit chaperon rouge, La Barbe bleue évoquent un temps que l’on pourrait croire révolu. Et pourtant la lecture de ces textes ne nous semble pas pour autant décalée, bien au contraire. Les éditions Dupuis proposent une réédition somptueuse (la première édition date de 1979) en grand format de l’ensemble des contes (en incluant Peau d’âne et Les souhaits ridicules qui ne figuraient pas dans la première édition de Perrault) mis à part La Marquise de Salusses ou la Patience de Griselidis, seul texte non adapté par Hausman. Les contes sont repris dans leur écriture d’origine, donc sans adaptation contemporaine ce qui, au premier abord, peut sembler difficile pour une lecture fluide. Mais cette impression ne se confirme pas passée la lecture des premiers passages. Les explications, en pied de page, des mots inusités ou disparus de la langue française ainsi que l’ambiance propre aux textes permettent de franchir sans problème cet obstacle. Les contes y gagnent même en authenticité, se trouvent replacés dans leur siècle. Ils se parcourent avec cette envie de les redécouvrir pour réveiller en nous de vieux souvenirs. Le travail de René Hausman, adepte des illustrations de textes – nous lui devons Les fables de La Fontaine, Le roman de Renart, L’oiseau bleu de Maurice Maeterlinck… – se met en totale adéquation avec le texte qu’il enrichit de son trait précis et riche. Les dessins de Hausman épousent la page, enrobent le texte, se font immenses lettrines au service des mots de Perrault. Nostalgie d’un temps révolu, magie du dessin qui transgresse les genres et les époques pour mieux servir le fond, les illustrations deviennent de véritables supports qui s’apprécient à leur juste valeur : offrir une vision personnelle mais respectueuse de l’univers composé par Perrault, un univers fait de dangers, d’une flore luxuriante et d’une faune détonante. On observe les illustrations avant de lire le texte, puis après leur lecture et on se dit que finalement Hausman tenait de l’esprit des anciens dans la construction des mythes et des légendes. Personne mieux que le dessinateur n’a encore proposé de contextes à ces contes qui soient tout à la fois familiers et pleins de surprises et c’est en cela que cette édition devient une véritable référence…
René Hausman – Les contes de Perrault – Dupuis – 2011 – 25 euros
Nous sommes aux prémices de l’Aéropostale en Amérique Latine. Les avions qui transportent le courrier cheminent vers Buenos Aires, centre de tri de toutes les terres du Sud. Pour s’imposer, et affronter une concurrence fortifiée par les faiblesses d’un moyen d’acheminement n’ayant pas encore fait toutes ces preuves, des prises de risques deviennent nécessaires. Rivière, qui dirige et organise l’aéropostale punit les mécaniciens qui commettent des erreurs, impose des rythmes effrénés à ses pilotes pour gagner cette bataille contre le rail. Dans ce contexte tendu le vol de nuit devient une norme incontournable qui n’est pas sans risque. Chacun sait que la mort peut survenir à tout instant ce qui oblige ces pionniers à la domestiquer. Saint-Exupéry le sait lui qui fut à la tête de cette machinerie à la fin des années 20. La dureté est la clef d’un système qui navigue sur un fil tendu. Car il faut faire ses preuves, risquer des vies pour s’imposer, pour ouvrir de nouvelles voies aériennes, pour développer un réseau encore en devenir mais dans lequel chaque bureau gagné grignote le retard sur la concurrence. Fabien est l’un des pilotes de l’aéropostale, un excellent pilote même, un de ceux sur qui on peut vraiment compter. Alors qu’il effectue un trajet nocturne, un orage violent l’oblige à dévier de sa trajectoire. Lorsqu’il allume une fusée éclairante pour juger de sa position il comprend très vite qu’il a dévié plus qu’il ne faut et, alors que son avion survole l’océan, sa jauge de carburant lui indique un verdict sans appel : il ne pourra rallier la terre. A Buenos Aires la tension est palpable. La femme de Fabien rejoint l’aérodrome pour obtenir des informations. Reste t-il encore une chance au pilote d’échapper à son sort ? Construit sur le sens du devoir et le dévouement total à une cause que chacun juge noble, Vol de nuit s’impose comme un récit poignant. Le style en lui-même n’est pas des plus abouti, ce n’est pas sur cela que l’auteur à gagner le prix Femina. Mais qu’importe, Saint-Exupéry se fait le témoin de son temps. Bernard Puchulu a relevé le défi d’illustrer ce texte majeur de la littérature française. Ses dessins en teintes uniformes possèdent une attraction quasi indéfinissable. Le mouvement, la latence, la méditation s’affichent sur chaque planche posée ça et là dans le récit, la nuit triomphe aussi, elle qui s’impose au fil des pages comme un personnage central de l’œuvre de Saint-Exupéry. Le travail de Puchulu prolonge et accentue la tension du texte. L’avion chemine entre les montagnes, s’offre aux éléments dans une nudité et une fragilité qu’exhale le trait semi-réaliste du dessinateur. Rien n’est surfait mais participe à la mise en ambiance. Un grand moment de lecture pour un récit qui a traversé les âges…
Antoine de Saint-Exupéry (illustré par Bernard Puchulu) – Vol de nuit – Futuropolis – 2011 – 20 euros
Nous sommes aux Etats-Unis en 1944. La guerre fait rage en Europe et les troupes américaines payent un lourd tribu pour chasser les nazis des terres qu’ils ont colonisées. A Brooklyn un enfant s’endort paisiblement dans sa chambre lorsqu’il est happé par le croquemitaine qui l’entraîne dans un royaume sombre et mystérieux appelé couramment l’Obscur. Cellule de crise dans la chambre du jeune garçon, les jouets devenus subitement animés décident de ramener celui qui leur consacre tant d’attention de ce royaume des morts. Rien n’est facile car tous connaissent le risque qu’il y a à pénétrer dans les terres du croquemitaine. Ses armées sont puissantes, la peur ne les habite pas et ils sont prêts à chasser tous les intrus qui se glisseraient dans ses contrées sans y être autorisé… Surtout s’il s’agit d’aller contre la volonté du maître des lieux. Une petite équipée composée de l’ours en peluche du gamin, d’un soldat de plomb, d’un canard sur roulette, d’un cochon tirelire, d’une figurine indienne, d’une toupie danseuse, d’un bouffon enfermé dans sa boîte se met en branle-bas de combat. Passée de l’autre côté, les jouets vont soudainement changer d’apparence : le soldat de plomb deviendra un stratège de haut rang, l’ourson un plantigrade surpuissant, le bouffon un manieur de hache redoutable… Ensemble ils avanceront sur les terres du croquemitaine, développeront des stratégies pour vaincre des armées mille fois supérieures en nombre, découvriront aussi que chacun possède un rôle à jouer dans cette épopée, car chacun possède une force qui lui est propre et qui permet de renforcer le collectif. Déjouant des pièges, dont celui de la cité de la marelle dans laquelle un tortionnaire fasciste détient contre leur grès nombre d’être résignés remplissant ses geôles, ils essaieront de parachever la mission qu’ils se sont fixés.
Fable onirique d’une grande force d’évocation, ce récit passionnant mêlant aventure, émotion, rebondissements, le tout teinté d’un zeste de nostalgie pour un temps révolu, se savoure à sa juste valeur. Il réussit aussi à transmettre des valeurs saines qui tendent à disparaître de nos sociétés gangrenées par l’individualisme. Car la réussite de l’épopée de cette troupe hétéroclite passe aussi par l’acceptation des différences de chacun, par le respect et la confiance que l’on porte à l’autre. Cette étoffe des légendes, dont nous découvrons le premier volet ici, s’inscrit dans les grands récits à la lecture ressourçante destinés avant tout à nos chers enfants sans que notre regard n’y soit pour autant totalement exclu…
Wilson III/Raicht & Smith – L’Etoffe des légendes – Soleil Prod – 2011 – 19, 95 euros.