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Sélection BD de Noël 2012 (2ème partie) – Autour du Loup des Mers de Riff Reb’s (+ Itw-vidéo)

Afin d’aiguiller les retardataires n’ayant pas encore acheté leurs cadeaux de Noël, nous vous proposons un choix de titres plutôt adaptés à la période. On y trouve de beaux albums bien lourds, des livres de contes ou des souvenirs de notre enfance, bref de quoi alimenter les paniers et garnir le pied du sapin !

Jack London l’affirmait bien haut et bien fort : Je ne suis pas un écrivain d’aventure ! Et pourtant c’est sous cette « classification » que son œuvre nous est parvenue. L’aventure, comme le dit Riff Reb’s, n’est qu’un cadre, un contexte, un moyen pour London de faire passer des thèmes qui lui sont chers sans virer dans la fable philosophique trop refermée sur elle-même. Avec Le Loup des Mers, l’auteur américain livre donc un récit puissant qui interroge. Il y tisse le destin à la fois sombre et tragique d’un colosse des mers, le capitaine Loup Larsen, et celui d’un jeune bourgeois coupé des duretés de la vie qui va se retrouver pris malgré lui dans une descente qui aurait pu virer aux enfers. Le face à face, la confrontation de ces deux personnages sur un bateau naviguant vers des eaux phoquières situées au large du Japon sera la sève et le fil conducteur de ce roman que le dessinateur Riff Reb’s a choisi d’adapter.

Le dessinateur s’était déjà prêté à l’exercice délicat de l’adaptation avec un premier album paru en 2009 dans la collection Noctambule, A bord de l’Etoile Matutine de Pierre Mac Orlan. Ici il revient sur un récit ayant pour cadre la mer même si celle-ci, nous dit l’auteur, n’est pas là comme moteur de l’histoire mais bien plutôt pour contextualiser le récit et maintenir un huis-clos qui deviendra de plus en plus oppressant au fil des pages. Concrètement Riff Reb’s a suivi d’assez près l’œuvre de Jack London même si la fin nous réserve une petite surprise. Il décortique ainsi les pensées et réflexions des deux figures centrales du roman. Loup Larsen, la brute que l’on pourrait croire sans fond, creuse, au faite de sa sauvagerie et qui se révèle être finalement lettré. Pas dans le sens où on l’entend dans les sphères « autorisées » de la bonne société américaine, mais un lettré autodidacte qui forge sa philosophie des moments de lecture qu’il s’accorde dans sa cabine. Humphrey Van Weyden, le jeune bourgeois va se retrouver quant à lui pris au piège de la mer et de Loup Larsen. Forcé de coopérer à la bonne marche du navire, Hump, comme le surnomme le capitaine, va découvrir la « vie » en accéléré. Ses convictions, ses certitudes, ses théories sur l’existence et sa croyance dans un au-delà, prolongation superbe de la vie terrestre, se trouvent bousculées dans le face à face avec le colosse. Placé dans un rôle d’observateur il va étudier les relations entre le Loup des mers et ses hommes, mais aussi sa façon d’appréhender les épreuves de la vie, lorsque la maladie le rattrapera à la fin de l’ouvrage. Nous ne déflorerons pas plus ce récit qui se doit d’être parcouru selon nous en même temps que l’album.

Le dessin de Riff Reb’s ne fait pas qu’accompagner sagement le texte de Jack London, il lui donne aussi une dimension nouvelle, celle qui se trouve portée par l’imaginaire graphique du dessinateur sur sa vision de ce roman hors normes. Le travail sur la mer déjà entrepris sur A bord de l’Etoile Matutine, trouve ici un superbe écho et démontre que l’on peut dompter ses courants, tout du moins que l’on peut essayer de le faire, avec un dessin d’un réalisme saisissant dans les contextes de tempêtes ou de calmes plats. Un album tout à la fois puissant dans le fond et dans la forme qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page signe de la maîtrise de Riff Reb’s sur son sujet. Un ouvrage à posséder sans conteste !

Riff Reb’s – Le Loup des Mers (d’après l’œuvre de Jack London) – Soleil (collection Noctambule) – 2012 – 17,95 euros

Interview de Riff Reb’s

 

La Confrérie des Cartoonists du grand Nord : Deux avis sinon rien ! 

Synopsis :

Un homme nous narre l’histoire bien ancienne de la création et du développement du GNBCC (Great Northern Brotherhood Canadian Cartoonists). Partant d’une photo des membres créateurs qui trône dans l’une des vitrines des locaux spacieux de cette confrérie, il s’attarde sur le pourquoi et le comment de ce regroupement d’artistes cartoonists. Il relate aussi ses coups de cœur et sa vision d’une entité qui se replie sur elle-même faute d’avoir su ou pu amorcer une remise en question qui aurait pu lui éviter de se liquéfier au point de n’être plus aujourd’hui qu’une archive à peine vivante, tout du moins de moins en moins influente sur la société canadienne actuelle. Reste donc les souvenances de moments de pur bonheur à la lecture de quelques titres ou d’aventures de tel ou tel héro, pour ne pas oublier ou pour transmettre…  

L’avis de Seb :

Un format type carnet de notes avec en couverture des héros venus semble-t-il d’un autre âge. Rien de bien stimulant au premier abord pour un album de BD au titre pourtant prometteur : La confrérie des Cartoonists du Grand Nord. Et pourtant, Seth, l’auteur de ce petit format, nous livre un récit riche en émotion, par le biais d’un classique neuf cases par planche qui a fait la marque des auteurs de BD bon marché du Canada jusqu’à une période encore proche. Mais aujourd’hui la confrérie jadis florissante n’arrive plus à drainer un public aussi impatient et impétueux que par le passé. Fini la BD classique à base de héro sans autres pouvoirs que leur humour, leur ton caustique ou leur vision décalée de la société. Dans ce contexte morose, la Confrérie périclite et ses vastes locaux, autrefois animés par un magma d’auteurs inspirés et peu soucieux de leur image ou de leur influence sur le monde, devient une annexe sans âme de quelques maisons de retraite peu avenantes. Pourtant l’histoire de ce lieu et du cartoon canadien se doit d’être préservée, pas par pure nostalgie mais pour essayer malgré tout de maintenir l’idée que le chemin parcouru par des auteurs majeurs, autrefois adulés, vaut la peine d’être préservée. Seth nous ouvre donc les portes du GNBCC. Il y déambule en nous dépeignant les auteurs, le contexte et les séries qui ont fait leur gloire, passe par l’atrium où les portraits des membres du club surgissent comme des archives d’une mémoire en train de vaciller. Il nous rappelle comment la jeunesse, sa jeunesse, attendait avec une impatience réelle la sortie des périodiques dans lesquels se narraient les aventures de Doug Wright, Kao-Kuk, Chopper, Pierre Lacombe, Tiny Tykes ou Canada Jack, comment une émulation naissait entre les auteurs et comment elle pouvait faire croire en une hypothétique postérité. Au lieu de cela force est de constater que la confrérie n’a pas vu le vent tourner et que, bien qu’en plein essor, elle a peut-être déraisonnée en construisant par exemple ses archives dans le grand nord canadien en un lieu quasi-inaccessible. Seth nous livre son témoignage sans emphase, tel qu’il ressent les choses. Il devient narrateur de son récit. Un récit sans dialogue comme pour afficher de manière forte que les paroles – la vie – semblent pures chimères. Un album qui pourrait manquer de rythme s’il ne servait justement pas son propos mais qui devient ici sa force, dans une confrérie dont on devine la force de la patine du temps et de la mémoire comme dernière rempart contre l’oubli.

L’avis de Tof :

Seth nous emmène sur les traces de cette guilde de dessinateurs d’un autre temps. Un temps où la BD prenait ses marques et un temps où les dessinateurs n’hésitaient pas à jeter un regard acide sur leur propre société. Il faut bien avouer que l’exercice est difficile : décrire cette société de dessinateurs canadiens n’est pas forcément un récit facile à assumer. Et cela se sent sur les 30 premières pages. L’auteur rame pour nous accrocher, les énumérations sont lourdingues surtout que ce monde ne nous est pas forcément connu. Et puis, petit à petit, le récit prend de l’épaisseur, Seth laisse transparaître une forme de désillusion et d’amertume, sentiments tout à fait contagieux. On vit avec émotion la visite des archives du groupe, on ressent la peine des dessinateurs déchus, on vieillit avec ce bâtiment qui semble être laissé, progressivement, à l’abandon. Sûrement que le dessin, 9 cases invariables par page, nous immerge encore un peu plus dans cette période. On adhère ou on déteste mais dans tous les cas, il sert à merveille le récit qui, lui aussi, adopte une forme un peu désuète de narration. Au final, voilà un ouvrage hors normes, n’allez pas y chercher des aventures palpitantes ou même une histoire tout en profondeur. Il s’agit tout simplement de l’hommage sans concessions d’un homme pour ses pairs. A méditer …

Seth – La Confrérie des Cartoonists du Grand Nord – Delcourt – 2012 – 22,95 euros

  

Dans le premier volet de L’étoffe des légendes un jeune garçon était happé dans l’obscur par l’horrible Croquemitaine. Quelques-uns de ses jouets – Max, l’ours en peluche, Harmony, Percy le cochon peureux, Bouffon, Quakers le canard à roulettes et une princesse indienne – décidaient alors de se risquer dans le sombre royaume parallèle au nôtre, dans lequel leur maitre venait d’être enlevé, afin de le ramener. Après avoir déjoué plusieurs pièges posés çà et là, dont celui de la ville à la Marelle, notre petite équipe décide de s’enfoncer encore plus profondément dans l’Obscur afin de fuir les armées du Croquemitaine. Arrivés au Col des Golems, à l’emplacement d’un zoo désaffecté, nos héros sont acculés par des ennemis bien décidés – parfois contraints… – à mettre à terre cette provocante chevauchée sur leur territoire. Mais parfois ce qui parait simple en surface peut se révéler bien plus compliqué à réaliser surtout si l’imaginaire d’un enfant vient interférer dans les affaires courantes.

Avec ce conte particulièrement sombre qui se déroule durant la seconde guerre mondiale Raicht, Smith et Wilson III nous amènent dans un monde parallèle qui aurait pu devenir une échappatoire s’il avait été autre que l’Obscur, cette contrée qui se construit dans l’imaginaire d’un enfant pris dans la tourmente d’un contexte historique qui le dépasse et dont il encaisse de plein fouet les traumatismes. Enlevé par le Croquemitaine, parviendra-t-il à être sauvé de cet ailleurs qu’il construit en rêves ? Ses jouets y croient, eux qui, d’ordinaire bien sages, deviennent de vrais guerriers une fois entrés dans l’Obscur. L’imaginaire du garçon, ses peurs, ses angoisses alimentent ce monde inconnu à conquérir. Privé de lumière, il s’affiche comme invincible mais la lueur d’espoir allumée par les jouets pourrait bien changer la donne et permettre au réel de reconquérir ses droits en évinçant les pires craintes qui se forgent dans l’esprit de l’enfant…

Raicht/Smith/Wilson III – L’Etoffe des légendes – Soleil – 2012 – 19,99 euros

 

De sombres secrets s’insèrent parfois dans nos enfances fragiles, au point de transformer profondément des avenirs qui auraient pu s’afficher moins tourmentés. Ces choses inavouables qui forgent au fer blanc les esprits des êtres encore frêles que nous sommes ne peuvent que difficilement s’exposer au grand jour, sauf à briser le calme plat des longues nuits d’hiver d’éructations les plus diverses. Celui qui parviendra à saisir les mots ainsi crachés dans des cauchemars récurrents qui parsèment ces agitations nocturnes comprendra peut-être que le passé n’a pas toujours été aussi paisible que le doux bourdonnement des blés d’été. Il pourra alors essayer d’écouter le message, de compatir ou d’apporter un nouveau sens à nos vies depuis trop longtemps bouleversées.

La crise économique avait bien œuvré à détruire tout attachement moral, si bien que dans un monde sans repère, sans valeur et sans espoir de voir les choses changer, l’idée que l’avenir ne pouvait être différent s’imposa à tous, poussant les hommes à commettre des actes innommables : Pour épargner les enfants de la grande famine, les pères et les mères décidèrent de les tuer. La phrase tombe, cinglante, dans une page aérée ou la respiration des mots n’a pourtant que peu l’espoir d’en nuancer le sens. Dans Les Enfants pâles Loo Hui Phang et Philippe Dupuy tissent le destin d’une vingtaine d’enfants qui décident de fuir la ville pour échapper à ce destin tracé et irrémédiable. A leur tête Jonas, sûrement le plus âgé de tous, celui qui pouvait le mieux s’imposer comme guide car connaissant le chemin qui mène à la forêt. Nous suivrons les enfants dans leurs déambulations, leur errance vers un but (la forêt) qui semble, au fil des pages, ne jamais pouvoir être atteint. Des dissensions amèneront le groupe à se scinder, puis les premiers drames surgiront comme pour graver dans le bois que l’espoir n’est peut-être qu’illusoire. Les enfants privés de nourriture et d’eau s’affaibliront au point que certains rejoindront des cieux assurément moins cruels. Et une question nous traverse alors au milieu de notre lecture : Les plus forts parviendront-ils à rejoindre l’île nichée au cœur de la forêt, cette félicité tant promise ?

Loo Hui Phang et Philippe Dupuy nous plongent dans un récit qui aborde en substance les thèmes de l’abandon, du sacrifice, de l’espérance, de l’innocence, des notions qui parfois s’entrechoquent mais qui parviennent ici à trouver une cohésion. Rien ne sera plus comme avant, la mort rédemptrice se vit comme une délivrance, la vie continue quant à elle à vouloir marquer les corps et les esprits devenus fuyants, volatiles, perdus dans des ailleurs peut-être plus cléments. Un conte pour adultes dans lequel textes et dessins se répondent pour nous offrir un tout indissociable, l’un succédant à l’autre, enrichissant le tout ainsi dépeint et qui brosse une histoire où émoi, trouble, poésie teintée d’onirisme viennent secouer nos esprits dans un prodigieux chamboulement de sens. Renversant !

Loo Hui Phang/Philippe Dupuy – Les enfants pâles – Futuropolis – 2012 – 35 euros

  

Le premier volet de Notre-Dame de Paris illustré par Benjamin Lacombe avait déjà été un choc. Pas que nous doutions de sa capacité à nous surprendre, ou de sa propension à s’accaparer l’œuvre monumentale de Victor Hugo – car il s’agit bien d’une œuvre fondatrice, une œuvre crachée dans la douleur (obligation de tenir les délais imposés par son éditeur retors) et dans une nécessité pécuniaire qui pourrait nous sembler dérisoire – mais plutôt qu’un si jeune illustrateur, qui a quand même navigué, et dans des eaux pas toujours calmes, puisse capter toutes les couches, toutes les finesses, toute la portée d’une œuvre qui nous interroge encore et qui s’impose comme un des piliers de notre patrimoine littéraire.

Nous connaissons tous de près ou de loin les grandes phases de Notre-Dame de Paris, œuvre icône du romantisme français, fait de rebondissements successifs, de poésie, de drames, autour d’Esmeralda, femme fatale qui retourne les cœurs et symbolise cette liberté et cette beauté arrivée à son paroxysme, Frollo, l’archidiacre tiraillé entre sa dévotion pour Dieu et sa passion trouble qui se dote de haine pour Esmeralda, et Quasimodo, le bossu à la force colossale abandonné par sa famille, qui a trouvé refuge auprès de Frollo et aime lui-aussi en secret la belle égyptienne.

Avec la réédition illustrée par Benjamin Lacombe, nous prenons le temps de redécouvrir l’œuvre, de contempler cette cathédrale labyrinthique qui recèle bien des dangers et bien des mystères. Nous revisitons le Paris médiéval à l’architecture tant décriée par Hugo fait de dangers omniprésents dans lesquels la Esmeralda arrive pourtant à se mouvoir avec une facilité déconcertante. Et surtout nous piétinons d’impatience afin d’arriver aux illustrations placées çà et là dans ce second volume, un peu comme nous attendions enfant les dessins d’Hetzel qui parcourraient les œuvres de Jules Verne. C’est peut-être cela la clef de la lecture de Benjamin Lacombe, savoir prendre tout à la fois suffisamment de distance par rapport à son sujet, qu’il n’illustre pas à proprement parlé mais qu’il révèle, rehausse, et tout à la fois s’inscrire au cœur de l’œuvre au point d’en proposer sa vision d’auteur, d’artiste. Cette balance entre les deux, Benjamin Lacombe la maitrise comme un funambule réussirait à rejoindre depuis une tour de Notre-Dame, l’autre tour qui lui fait face sur un câble précaire. Autant dire que le défi de taille aura été accompli et plutôt de belle manière !

Hugo/Lacombe – Notre-Dame de Paris T2 – Soleil – 2012 – 34,95 euros


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