Nous vous proposons une rencontre passionnante avec le comédien espagnol Antonio De La Torre, invité d’honneur de cette 19 ème édition.
C’est un homme chaleureux, enthousiaste et souriant que nous avons pu rencontrer dans la salle du Carré du cinéma Le Navire afin de lui poser quelques questions. Antonio De La Torre est venu échanger avec le public du festival sur sa carrière et ses derniers films. Il compte près de 60 films dans sa carrière et des expériences avec des réalisateurs de prestige (Pedro Almodovar, Alex De La Iglesia, Steven Soderbergh, Alberto Rodriguez, Raùl Arévalo, Iciar Bollain…).
Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé dans le monde du cinéma ?
Antonio De La Torre : C’est difficile à résumer, comme pour beaucoup de gens c’était un rêve d’enfant. Je suis originaire de Malaga en Andalousie. J’ai pris des cours de comédie et d’interprétation à Madrid, mes premiers rôles en tant qu’acteur étaient des petits rôles, j’ai fait beaucoup de films où je ne disais qu’une ou deux phrases. En Espagne c’est très difficile de percer dans le monde du cinéma, aujourd’hui il n’y a que 8% de personnes qui arrivent à en vivre, c’est terrible. Et en particulier pour les femmes mais ça c’est un autre sujet. Quand j’ai eu 30 ans, je me suis dit que je n’arriverais jamais à vivre de ma passion et j’ai donc commencé à faire du journalisme pour une chaine de télé Andalouse. Le déclic est venu en 2005 quand le réalisateur Daniel Sanchez Arévalo m’a offert un rôle dans son film Azul et Daniel m’a dit une chose très jolie : « Je crois que personne n’a écrit un rôle à la hauteur de ton talent. Et bien moi, je vais le faire. » Grâce à ce film, j’ai reçu le Goya du meilleur acteur dans un second rôle et à partir de ce jour ma vie a changé, Almodovar m’a engagé pour jouer le mari de Penelope Cruz dans Volver. Et à partir de là, le succès , le glamour et on m’invite à Valence (Drôme) pour le Festival ! (Rires)
Comment expliquez-vous le fait qu’on vous propose très souvent des rôles sombres ?
Je vais citer Térence (poète latin) : « Je suis humain et par conséquent rien d’humain ne m’est étranger », ce qui veut dire pour moi que tout le monde a vécu dans sa vie des moments de rage ou de colère lui permettant de devenir acteur en réinterprétant ces exemples. Quand je rencontre des gens qui me disent que je suis acteur et donc que je sais mentir, ça m’énerve un peu car en fait on est vraiment dans la vérité quand on joue. On est comme un enfant dans notre chambre, jouant dans notre univers et lorsque que notre mère vient nous chercher pour manger, on sort de cet univers là pour repasser dans la réalité. On a l’impression que c’est un univers réel mais on a conscience que nous sommes dans un cadre particulier et que tout à coup nous allons sortir de cette réalité.
Est-il vrai que vous êtes l’un des acteurs espagnols les plus nommés ?
Oui , entre 40 et 50 ans j’ai reçu 11 nominations mais j’ai conscience que c’est parce qu’en Espagne il y a majoritairement des rôles importants pour les hommes. Il faudrait que les femmes puissent avoir plus de place dans notre cinéma.
Quand on regarde votre filmographie, on remarque que vous avez souvent travaillé avec les mêmes réalisateurs…
Oui c’est vrai. On dit souvent que la chose la plus difficile pour un réalisateur c’est le deuxième film, eh bien pour un acteur c’est pareil ! Quand j’ai tourné avec Alex de la Iglesia (dans Balada Triste) j’étais persuadé de ne pas retravailler avec lui. J’ai eu peur de décevoir mais au fil du temps je me suis servi de cette crainte et j’ai appris de cette peur de l’échec.
Qu’est-ce vous ça vous fait d’être l’invité d’honneur de ce festival ?
J’ai dit à mon agent « Ils vont vite comprendre qui je suis en fait et ils vont me virer » (Rires). Evidemment je suis très content d’être là, dans un pays où le cinéma est très important, où il y a vraiment une politique d’Etat pour protéger le cinéma. En France, le cinéma est une industrie dans le bon sens du terme contrairement à l’Espagne. Ce que je déplore c’est qu’il y a 500 millions d’hispanophones dans le monde et qu’on pourrait faire quelque chose d’énorme. Les fonds d’aide en France sont bien plus élevés qu’en Espagne.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet Che Guerilla de Steven Soderbergh ?
C’est tout simple, l’équipe du film est venue tourner en Espagne autour de Madrid, ils recherchaient des hommes et mon agent trouvait que c’était une opportunité. C’est quelque chose qui se fait souvent, les grosses productions américaines viennent en Europe et là en l’occurrence en Espagne, pour des questions de climat par exemple. Le bon côté des choses c’est que ça permet de donner du travail aux gens, à condition que le code du travail soit respecté bien-sûr. Car cela ne doit pas se faire au détriment des droits du travail.
Pouvez-vous nous parler de vos prochains films ?
Je viens de tourner dans le prochain film de Rodrigo Sorogoyen (réalisateur de Que Dios no perdone), El Reino (Le Royaume) qui va être un film très politique. Et j’ai fait un autre film avec une personne que j’admire beaucoup, José Mujica [membre d’une guérilla urbaine dans les années 60-70 et devenu président de l’Uruguay de 2010 à 2015] « Mémoire du cachot ». C’est un film qui mêle comédie et drame sur les 13 ou 14 années où José Mujica a été enfermé et mis à l’isolement par la dictature militaire et qui raconte justement comment ne pas devenir fou dans cet isolement complet…
Quels sont les réalisateurs que vous aimez, que ce soit en Espagne ou en France par exemple ?
Claude Chabrol, Louis Malle, le réalisateur du Grand Bleu Luc Besson et la musique d’Eric Serra qui est magnifique. Manuel Martin Cuenca [El Autor dont vous pouvez lire notre critique ici] qui est pour moi l’un des meilleurs directeurs d’acteurs en Espagne, m’a demandé d’aller voir Un cœur en Hiver (de Claude Sautet) avec Daniel Auteuil.
Qu’est ce vous pensez de l’arrivée massive des séries sur nos écrans ?
On est envahi par les séries mais en même temps ça fait changer les choses, et sans être un expert je trouve qu’il y en a des biens supérieures à certains films. Si l’acteur est bon et qu’il joue bien son rôle, qu’il est sincère et émouvant, peu importe le format, que ce soit une série ou un film.
Merci au cinéma Le Navire de Valence et à l’association Chispa d’avoir permis cette rencontre.