Deux femmes qui s’aiment vont tenter de contenir les ardeurs d’un seigneur bien décidé à assouvir ses pulsions les plus lubriques. Avec un talent indéniable, Isabel Greenberg revisite les contes populaires qu’elle détourne pour servir la cause féminine. On adhère sans mal !
Deux châtelains attablés autour du feu d’une cheminée devisent autour des femmes tout en buvant un nectar alcoolisé qui pourrait bien perdre l’un des deux. Le premier est persuadé de la bassesse des femmes, manipulatrices, catins, ennuyeuses tout juste bonnes à la reproduction. D’ailleurs, affirme-t-il, il n’a jamais rencontré de femme qui réponde à tous les critères qui lui feraient changer d’avis et en tout cas la généralité de son propos. Après avoir décrit celle qui serait idéale à ses yeux le premier homme achève sa tirade par un fameux : De mon vivant, je ne rencontrerai jamais une fille comme ça. Pourtant l’autre homme affirme connaitre une femme qui répond en tous points au portrait dressé. Cette femme n’est autre que sa propre muse. Cherry de son prénom, une femme si fidèle et si pudique qu’elle ne s’est pas encore offerte à lui et, encore plus, ne pourra s’offrir à un étranger. Un pari est proposé par le second homme. Si le premier arrive à séduire sa femme dans les 100 jours qui suivent, il pourra la garder. S’il perd il devra céder son château. Sûr de son succès à venir, le premier homme se dirige, le soir venu, vers les appartements de la belle Cherry sans savoir que, si celle-ci n’a encore jamais partagé le lit de son mari, c’est avant tout car elle aime Héro sa fidèle servante. Dès lors pour résister aux avances de l’homme, Héro racontera, à la demande de Cherry, une histoire chaque soir mais parviendront-elles à repousser les avances du prétendant tout au long des cent nuits ?
Lorsqu’ils construisirent le monde connu, les dieux n’avaient pas entrevu la possibilité que l’amour vienne animer la soif de vivre de ses sujets. Cet amour pouvait s’avérer si puissant qu’il serait à même de causer leur perte. Et c’est ce qui arriva en bien des points de la planète, parcourue à gauche et à droite par des histoires d’amour édifiantes et incompréhensibles pour les dieux. En préambule à ses Cent nuits de Héro, Isabel Greenberg explique en quelques mots de quoi sera fait son récit : Dans ce livre, nous allons découvrir les histoires de bon nombre d’amoureux. Il y en a deux autour desquels toutes les autres histoires tourneront, comme les lunes en orbite autour d’une planète. Les deux amoureux, ce sont Cherry et Héro dont la pureté de la relation cachée sera mise à mal en raison d’un pari nauséeux scellé entre l’époux de Cherry et un autre seigneur. La revisite du conte des mille et une nuits façon féministe par Isabel Greenberg fait indéniablement mouche. Les contes déclamés chaque soir par Héro mettent ainsi en scène une galerie de portraits de femmes fortes qui affirment leur combat pour leur reconnaissance. Un peu une inversion des choses avec les contes classiques européens très machistes. Sur la forme la narration fait se percuter les contes déclamés qui se croisent, se mêlent en un astucieux assemblage. La dessinatrice le fait en plaçant le lecteur en témoin, dans un style d’écriture contemporaine parfois en décalage avec le ton des contes plus solennels. Le trait d’Isabel Greenberg reste quant à lui toujours aussi séduisant, avec une vraie identité graphique et un mix de couleurs qui enveloppent la page. Si les pavés narratifs guident le récit ils ne nuisent pas au rythme et apportent suffisamment d’indices pour plonger le lecteur dans une aventure au long cours. Un album de début d’année marquant à plus d’un titre.
Greenberg – Les Cents nuits de Héro – Casterman