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La BD du jour : Le Voyageur de Koren Shadmi (Ici Même)

Un autostoppeur lève le pousse et traverse les États-Unis. Les rencontres qu’il fait au cours de son périple permettent de dresser un panorama amer de notre société et de ses possibles développements. Récit enveloppé d’un fantastique sombre, Le Voyageur nous scotche dès la première planche…

Sur une route de campagne dans une zone vallonnée des États-Unis, un homme fait du stop. Une pluie dense s’abat sur lui lorsqu’une voiture passe à sa hauteur et s’arrête. À l’intérieur un autre homme, borsalino vissé sur la tête, lui précise qu’il se rend à Shenectady dans l’état de New-York à quelques encablures de sa capitale Albany. L’autostoppeur lui indique sobrement que la destination lui convient et monte dans le véhicule. L’homme au chapeau engage alors la conversation qui se porte très vite sur un sujet sensible, celui de la religion. Notre autostoppeur avoue ne plus croire en dieu depuis des temps immémoriaux ce qui peut paraître surprenant vu son jeune âge. Mais peu importe puisque notre homme au chapeau, en représentant de la sainte parole, se propose de l’aider à rentrer dans le droit chemin. Et quoi de mieux que d’acheter une des bibles luxueuses qu’il vend au cours de ses déplacements ? Notre autostoppeur n’a pas d’argent sur lui et le sac lourd qu’il transporte ne contient, il le dit lui-même, « rien qui ait de la valeur pour vous, ou pour quiconque ». L’incroyance et ce qu’il interprète comme de l’arrogance chez son passager fait sortir de ses gonds l’homme au chapeau qui pense de plus en plus être en présence du diable en personne…

Koren Shadmi cultive un intérêt manifeste pour l’étrange. Dans Abaddon (Ici Même) il dressait un huis clos des plus anxiogènes autour d’un homme coincé dans un appartement qu’il venait visiter dans le but de louer une chambre. Dans Le voyageur son héros sillonne les Etats-Unis, sans but apparent ni destination précise, sans enthousiasme ni passion. Sans délivrer trop de son passé il évoque un futur que les personnes qu’il croise n’envisagent et ne souhaitent pas. Ceux qui partagent de rares moments avec lui arrivent difficilement à entrevoir ce qui le motive. Impénétrable, au discours resserré, l’homme s’exprime avec pas mal de sous-entendus et un ton décalé qui font douter de sa santé mentale et jettent dans l’instant des nuées d’interrogations. Le Voyageur possède en lui un terrible secret, celui de l’immortalité, un secret inaudible pour le commun des mortels, hommes et femmes qui déifient l’immédiateté en entretenant ce qui reste d’humanité dans une stérile torpeur. La société qui en découle s’est depuis longtemps résignée. Elle place à son sommet et pour de brefs instants encore les plus forts et les plus riches qui bientôt emporteront avec eux les secrets des dernières horreurs qu’ils ont commises.

Le Voyageur, lui, traverse les époques. Et les paysages qu’il parcourt changent irrémédiablement pour se faire toujours plus arides, désertiques et dépeuplés, sans vie et sans âme. Koren Shadmi construit son récit en chapitres qui sont autant de rencontres faites avec des hommes et des femmes de passage. Ensemble ils mettent en évidence les travers d’une société qui a cessé depuis longtemps de s’illusionner au point de vouer un culte à sa plus sombre expression. Si chaque histoire possède une base chromatique propre qui densifie la portée du message, le trait se fait quant à lui expressif et riche, en soutenant un texte qui, sans se faire spécialement bavard, donne aux mots une valeur symbolique qui stimule en permanence l’imaginaire du lecteur. Koren Shadmi, au travers de son voyageur, s’impose comme l’un des auteurs majeurs de graphic novels, servi par une édition française des plus exigeantes.   

Koren Shadmi – Le Voyageur – Ici même


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