Bâtir le ciel remporte sans conteste le prix du titre qui laisse entrevoir le plus de belles promesses, et de mystères. On y suit la trajectoire d’une jeune femme qui va tenter de s’élever dans tous les sens du terme…

Des voyageurs et des curieux viennent de loin pour l’observer. L’île a construit sa réputation de sa hauteur, magnifiée sans cesse par des constructeurs, architectes, bâtisseurs, sculpteurs qui ne cessent de la magnifiée. Pour les jeunes qui vivent à ses pieds, dans son ombre portée, une seule option se dessine pour échapper à la vie mortifère qui se profile : fuir Salve, la ville sans âme, et ainsi gagner les pentes escarpées de l’île qui s’échappent dans des lignes verticales à donner le vertige. Entre les deux choix de vie la jeune femme du récit n’hésite jamais car elle rêve d’exister enfin en apportant sa pierre à l’édifice. Un matin elle part dans sa direction sans jamais se retourner. Une fois arrivée à destination elle gravira es étapes initiatiques les unes après les autres et se verra ouvrir les portes d’une destinée qu’elle se rêvait d’épouser. Au sein du groupe des Bâtisseurs, elle sera sculptrice, suprême reconnaissance pour la petite fille qu’elle fut jadis. Elle prendra sa tâche à cœur, s’autorisant des initiatives pour embellir sans cesse son environnement composé de cette pierre de Balte terne et sans perspective : « En faisant venir des lapis-lazuli, des écailles de tortues et des dents d’éléphants, j’habille et transforme ces lieux qu’ils ne savent pas habiter : lumières des vitraux, mosaïques bleues, coloris ocre et jaunes, pigmentation des statues, tout est bon pour travestir la Balte, pierre fade prison blanche qu’ils continuent pourtant de vénérer. » Au fil des jours, des mois, des ans la jeune femme, obnubilée par son travail, fonçant tête baissée dans ses projets et ses envies, gagnée par une passion dévorante pour sa fonction ici haut, s’éveillera de nouveau. Elle se questionnera sur le sens donné à tout ce qui la portait jusqu’alors dans une remise en question, qui est autant une remise en question d’un ciel bâti qui s’effondre par lambeaux entiers : « Poser la question du Bas n’a aucun sens sur l’île. Aimantés par le Ciel, nous ne le considérons même pas. Et pourtant, malgré notre mépris affiché du Bas, il m’arrive de me demander si nous ne nous mentons pas »…

Bâtir le ciel. Perspective d’une vie, d’une envie pour la jeune femme du récit composé par Sarah Serre. Portée par une écriture qui laisse aux mots le poids de tous leurs sens, propres et figurés, l’histoire qui nous est contée, peut se lire comme une fable initiatique sur le désir de grandir, de s’affranchir d’un passé trop lourd et sans relief, et se plonger dans de nouveaux desseins qui, pourtant, pourraient se faire trop vite aliénants. Dans cette croyance aveugle pour une perspective sans limite, qui ne laisse que peu l’occasion de regarder les sinuosités du chemin qui nous y a porté, chacun pourrait peut-être oublier ce qui fait sens. S’oublier tout court. Un premier récit dont la beauté formelle se trouve intimement liée à la métaphore développée par son autrice, propre à stimuler et interroger la lecture et l’imaginaire qui s’y construit.

Sarah Serre – Bâtir le ciel – Le mot et le reste