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Focus Polar : Quand il se mêle au fantastique et à la SF…

Le polar est toujours parvenu à se renouveler en tant que genre. En littérature comme en Bande-dessinée il parvient encore aujourd’hui à nous surprendre. Et quoi de mieux pour nous scotcher dans notre fauteuil ou visser nos fesses dans notre lit, livre ou album en mains, que de mâtiner nos bons vieux récits d’une touche de fantastique ou de SF ? Nous vous proposons donc avec mon ami Tof, spécialiste comics qui est tombé sous les charmes de la belle Joséphine de Fatale, d’ouvrir notre focus dédié au polar, thriller, récits sombres et psychologiques, par une petite sélection d’albums récents dans le domaine, un moyen de s’évader et pourquoi pas de devenir addict à ce genre en perpétuel renouveau !

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Adam Clarks

Adam Clarks de Lapone & Hautière – Glénat / Treize Étrange (2014)

Adam Clarks arpente les soirées à la mode dans un parfait costume taillé pour sa carrure. Et pour tout dire il plait indubitablement aux dames qui aiment sa compagnie. Car l’homme semble cultivé, intelligent et un peu en dehors du « moule », ce qui le différencie de ses semblables. Cette distinction, il la tient pourtant de l’une de ses faiblesses. Car le jeune homme distingué, une fois sa couverture de chroniqueur mondain tombée, s’adonne bel et bien à une passion dévorante qui pourrait bien le perdre : le vol d’objets de grand luxe. D’ailleurs c’est bel et bien la présentation au gratin de Majestik City de l’un des plus gros rubis (100 carats excusez du peu) qui le pousse à se rendre à cette nouvelle sauterie très jet-set où chacun semble vouloir s’exposer pour dire « j’y étais ». Alors qu’il se retrouve dans les bras d’une pulpeuse princesse qui s’amuse de ses faiblesses, il découvre bien malgré lui qu’il devient par la même occasion la clé de voûte d’un étrange combat mené entre la CIA et le KGB. Adam Clarks ne pouvait pas plus mal tomber. Il va pourtant tenter de renverser les rôles pour manipuler les uns et les autres et arriver non seulement à se défaire de l’emprise qui limite son action mais aussi parvenir à ses fins, faire main basse sur le fameux rubis…

La réussite d’Adam Clarks tient dans la conjugaison d’ingrédients qui le démarque du magma de titres de la production actuelle. Fort d’un format plutôt large qui laisse aux vestiaires le traditionnel 240 x 320 mm pour le très audacieux 289 x 368 mm, l’album joue sur l’espace pour distiller des planches monumentales dans un découpage hyper-rythmé. Le choix du dessin qui se veut dans la veine du Style atome avec son brin de modernisme salutaire joue sur les couleurs, les températures, les cadrages audacieux qui posent sur cette intrigue un climat qui aurait pu rester sombre s’il n’était nappé de scintillements constants offerts notamment par le contexte de cette histoire improbable et par la verve du verbe distillé par Régis Hautière. Le récit, dopé par un humour permanent rend ainsi un hommage raffiné aux récits d’espionnage de la période dite de la guerre froide tout en dressant un portrait de son héros, qui navigue entre un Arsène Lupin un brin désinvolte à la dextérité redoutable et un Lord Brett Sinclair tombeur de dames, taillé dans le vif. Le choix de suivre l’intrique via un narrateur typé « présentateur des années 50 » permet de vivre les différentes péripéties qui se succèdent ici avec un certain détachement tout en s’immergeant plus facilement dans son cadre. Nous sommes avec cet album dans une ambiance rétro-futuriste délicieusement addictive. C’est rond, classe sans être hors-cadre ou kitch et vif tout en sachant se poser. Le grand Adam Clarks, voleur émérite, se fera berner comme un jeunot tout en sachant jouer les agents doubles à la perfection. Lapone/Hautière nous immergent dans un univers où la verticalité l’emporte. Majestik City explose par son jeu de lumière, par la richesse de son architecture et par la faune urbaine qui s’y déplace. Le ciel se trouve nimbé d’éclairages divers alimentés par des voitures volantes, des zeppellins et les fenêtres des gratte-ciels qui parcourent l’espace. Au final les deux auteurs livrent un album qui tranche et apporte indéniablement une bouffée d’oxygène dans le récit de genre. C’est proche de la perfection et donc hautement recommandé !

Hautière & Lapone – Adam Clarks – Glénat – 2014 – 19,50 euros

 

Lucifer Sam

Lucifer Sam de Nizzoli et La Neve – Glénat (2014)

La vie aurait pu se faire douce et parfumée pour Syd, le fils de la célèbre romancière Liz Frazier. Réveillé par sa mère le jour de ses 18 ans dans une chambre qui ressemblerait à s’y méprendre à un large studio d’étudiant friquet et propret, il apprend que son cadeau d’anniversaire flirte bel et bien avec l’eldorado qu’il n’osait s’imaginer : un voyage à Paris dans l’une des places fortes de la culture européenne. Sa mère le dépose presqu’aussitôt à l’aéroport où la journée se poursuit de la plus charmante des manières puisque une jeune femme plutôt pulpeuse qui s’avère être un top-model de renom s’approche de la romancière pour lui demander une dédicace de son dernier livre. Une fois à bord la jeune femme qui se rend elle aussi à Paris demande à échanger sa place avec un passager pour pouvoir voyager aux côtés de Syd… Le rêve se poursuit. Oui mais voilà, comme dans tout rêve, la chute est souvent brutale ou nuance définitivement les belles et cotonneuses promesses. Pour Syd la chute se matérialise par étapes successives qui sonnent comme autant de déceptions. Il apprend tout d’abord que l’éditrice de sa mère, qui doit l’héberger dans Paris durant son séjour, prend en réalité ses quartiers d’été aux beaux jours et qu’elle réside en ce moment en banlieue éloignée, loin du mythe parisien espéré par Syd. Peu après son arrivée dans la vaste demeure de l’éditrice Syd assiste à une scène qui le terrorise un peu. Dans le jardin en contrebas un chat se fait courser par une meute de Dobermans déchaînés. Mais ce n’est rien comparé à la suite des évènements qui ne vont pas aller pour le rassurer, d’autant plus si l’on considère les difficultés qu’il éprouve à prendre contact avec sa mère…

Avec Lucifer Sam Marco Nizzoli et Michelangelo La Neve signent un thriller plutôt efficace marqué par une montée en puissance de l’angoisse matérialisée par la perte progressive des repères du jeune héros, victime malgré lui d’une secte satanique. Enlevé, soumis à un isolement total, devant s’alimenter de la pire des manières envisageables, le jeune homme sombre progressivement dans une aliénation. Parviendra-t-il à s’échapper des griffes de ses ravisseurs et pourra-t-il enfin recoller les morceaux pour comprendre les raisons de son enlèvement ? Une série qui laisse entrevoir dès son ouverture de belles perspectives…

Marco Nizzoli et Michelangelo La Neve – Lucifer Sam – Glénat – 2014 – 13,90 euros

 

Un homme de goût

Un homme de goût de El Diablo et Cha – Ankama (2014)

La couverture ne laisse place à aucun doute. Un homme attablé, couverts en or en mains vient de dévorer une belle pièce de viande. Devant lui la bouteille de vin rouge qui accompagnait le festin paraît vide depuis longtemps. Une salière et une poivrière, accompagnées d’une saucière dans laquelle beigne encore un jus pourpre épais finissent de dresser le décor de cette scène gastronomique. Le titre placé au-dessus de ce dessin s’affiche dans une police classieuse : Un homme de goût, suivi de trois petites étoiles qui sonnent comme autant de macarons. Une scène raffinée qui pourrait paraître banale à tout un chacun si ce n’était un détail pour le moins troublant. Une montre d’homme reste attachée à l’os qui trône encore dans l’assiette de notre mystérieux épicurien. Un détail qui pourrait très bien ne pas en être un…

Jamie Colgate est une flic pas spécialement facile. Zélée s’il en est, elle reproche à ses collègues masculins des largesses évidentes dans la manière de mener les enquêtes se rapportant à une série de crime plutôt sordides commis depuis une vingtaine d’années. Tout commença un soir lorsqu’un Texan millionnaire quitte la table de jeu d’un casino de Las Vegas. Accompagnés de ses deux gardes du corps et d’une pute locale il se rend à son hôtel. Personne ne les reverra ni morts, ni vivants… D’autres histoires du même acabit émaillent le parcours de cet étrange tueur. Etranges car les corps ne sont jamais retrouvés ou, lorsqu’ils le sont, ce qui restent d’eux dépasse de loin ce que le commun des mortels peut imaginer en terme d’horreur. Jamie Colgate rassemble donc les détails de cette affaire, constitue des dossiers à charge, tente de cerner la personnalité de ce meurtrier sanguinaire. Au point de mettre un jour la main sur lui et de le séquestrer pour le faire avouer l’ensemble de ses méfaits…

Avec un homme de goût nous retrouvons le duo de choc de Pizza Roadtrip, El Diablo et Cha, publié également chez Ankama. Ici les deux auteurs livrent un récit plutôt déjanté dans lequel un homme à la force surhumaine sème la mort sur son passage. Un homme pas ordinaire pour une traque elle aussi pas forcément ordinaire. Le talent de El Diablo et de Cha réside dans cette façon de mener le récit en jouant sur les flashbacks composés dans un style rétro qui offre des coupes franche dans la trame principale. Ils savent aussi mettre en lumière des héros par forcément sexy. Des personnages qui auraient droits par ailleurs à des seconds rôles et qui pourtant s’immiscent ici sur les devants des planches. Nous ne déflorerons pas plus le récit pour vous laisser le découvrir avec ses multiples surprises. Ce que nous pouvons ajouter de plus, c’est que le deuxième tome risque d’être bien plus pêchu que le premier, plus glauque et décalé peut-être quoi que déjà El Diablo et Cha ont déjà donné sur ce registre…

El Diablo et Cha – Un homme de goût – Ankama – 2014 – 13,90 euros

 

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Deepwater prison T2 de Bec & Raffaele – Soleil (2014)

Souvenons-nous. Dans le premier tome de Deepwater prison (voir la chronique ci-dessous) une déléguée du gouvernement, Elaine Rosenberg, chargée d’écologie, était mandatée pour faire la lumière sur l’explosion d’une plateforme pétrolière localisée en pleine mer. La catastrophe écologique semblait devoir causer des dommages à une échelle encore peu vue jusqu’alors. Pour lever le voile sur ce drame et chercher les coupables d’éventuelles négligences en matière de sécurité, la jeune femme pulpeuse établissait ses quartiers dans une prison placée à 900 mètres en dessous du niveau de la mer. Dans cet espace confiné se retrouvent enfermés les criminels supposés être les plus dangereux de la nation américaine. A l’orée de ce second opus, une poignée de ces criminels fomente un plan d’évasion astucieux qui jouerait sur la présence de la belle représentante du gouvernement. Le plan repose sur une connaissance parfaite de l’architecture de la base sous-marine, et notamment de ses réseaux de ventilation dans lesquels un homme agile et connaisseur des plans pourrait se nicher et déambuler jusqu’à aboutir dans les appartements de la gouvernance. Le but avoué étant de prendre en otage Elaine Rosenberg. Pour cela les téméraires prisonniers comptent sur le « sacrifice » de l’un d’eux, addict aux Donuts à la framboise, pour qu’il se laisse « caresser » l’anus afin d’obtenir les plans de secteur de la prison. Dans le même temps Elaine Rosenberg tente de poursuivre son enquête alors même qu’elle se trouve entreprise par le directeur de la prison. La Prometheus Oil elle, tente son possible pour dissimuler les preuves qui pourrait faire tomber son directoire…

Avec ce second opus Christophe Bec poursuit dans la montée en puissance de son récit. La tentative d’évasion d’un lot de prisonniers se met doucement en place tandis que l’enquête menée par la belle Elaine qui semblait dans une impasse pourrait bien rebondir d’une étrange manière. Les pions qui alimentent le suspense se posent donc progressivement comme un joueur d’échecs tisse son réseau d’attaque avant de porter l’estocade. Le scénariste parvient même à densifier le background des personnages pour nous les rendre plus lisibles et épaissir la trame de son récit. La tension générée par le huis clos sous les mers opère à merveille au point que l’on attend la suite avec une impatiente réelle. D’autant plus que l’on se demande vraiment quel rôle vont jouer les méchantes bêbêtes en forme d’anguilles géantes avides de chair fraiche qui déambulent goulûment autour de la prison et qui pourrait constituer un piège de plus dans l’évasion supposée des prisonnier et le retour à la surface d’Elaine Rosenberg… Le dessin de Raffaele quant à lui, toujours aussi précis et réaliste, participe à l’immersion dans le récit, c’est efficace, cinématographique tout en sachant préserver les effets. De la belle cuisine !

Bec & Raffaele – Deepwater prison T2 – Soleil – 2014 – 13,95 euros

 

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Metropolis T1 de Lehman et De Caneva – Delcourt (2014)

Placé à la terrasse d’un café, un matin très tôt, un homme commande une bouteille de champagne. A côté de lui une femme plutôt pulpeuse tente sans succès de s’inviter à la dégustation du grand cru. Lui c’est l’inspecteur Faune, le citoyen numéro 1. Pour vaincre les troubles de la mémoire et les sautes d’humeur qui le parcourent, l’homme consigne dans un carnet ses pensées et observations sur la ville.  Tout a basculé le 13 mai 1934 lorsqu’un homme des hauteurs d’un immeuble surplombant la Tour de la Réconcilation, censée gommer les anciens antagonismes  franco-allemand et posant les bases d’une nouvelle cité baptisée Metropolis, provoque une terrible explosion tuant des dizaines de passants. L’auteur de l’attentat, un certain Robert Ernst continue son œuvre sordide en tirant sur les survivants tentant de fuir les flammes qui s’élèvent du brasier ainsi causé par la déflagration. La Tour de la Réconciliation, symbole d’une entente entre les deux puissances européennes,  vient de tomber. Mais le point culminant de cet attentat se lit dans les profondeurs de la ville. La plaie béante causée par l’explosion de la Tour révèle en effet les fondations de ce monument-force. Et dans ces fondations, les secours retrouvent les corps de trois femmes momifiées. Le Directoire de Metropolis confie alors la double enquête au commissaire Lohmann atteint de schizophrénie passagère, qui se transforme au plus fort de l’action en un certain M. Pour Faune, le citoyen numéro 1 et le docteur F qui soigne les deux hommes, l’enquête sera synonyme de survie de la cité… Avec l’aide du service d’urbanisme de Metropolis Faune et Lohmann vont suivre les souterrains de la Tour pour relever des indices. Les deux hommes en viendront à se questionner sur la personnalité et l’histoire de son concepteur un certain Reinhold Hanish… La ville qui se transforme survivra-t-elle aux horreurs qui se révèlent et à ce tueur mystérieux qui se cache en son sein ?

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Metropolis T2 de Lehman et De Caneva – Delcourt (2014)

L’Interland, apparaît comme un monde préservé des folies du début de siècle (le XXème). Les peuples allemand et français s’y trouvent ainsi unis sous l’égide d’une gouvernance commune, pour vivre dans une harmonie souhaité et souhaitable pour tous. Pourtant, à bien y regarder, ce phalanstère à grande échelle semble étouffer des pulsions et des rancœurs contenus par les deux peuples qui se sont pourtant rapprochés sous une même bannière au début des années 1910. De cette (ré)union s’est progressivement élevée une ville tentaculaire dont le paysage urbain allait faire cohabiter, sans soucis apparent de cohésion ou de rectitude, une architecture composées de petits immeubles haussmanniens et de gros ensembles de type new-yorkais qui noircissent le ciel de la cité. Parfois le mélange des deux appelle à la singularité d’un nouveau style triomphant. Une métropole qui se teinte de la mode, de l’esprit, du design des années folles comme pour mieux représenter sa touche de déraison. En son sein le scénariste Serge Lehman y regroupe des personnages hétéroclites, savants, artistes, hommes politiques… dont certains ont réellement existé. De fait ce qui sépare notre monde et celui de Metropolis semble bien étroit. Metropolis ne recouvrant pas de distorsions majeures par rapport à celui que nous connaissons, l’uchronie peut de fait s’exprimer pleinement et le scénariste n’hésite pas à jouer sur le genre pour développer un monde familier qu’il retravaille, retaille, densifie, mystifie pour le rendre tout à la fois utopiste et inquiétant. L’harmonie recherchée et la lutte contre les déviances mentales, « corrigées » par un certain Sigmund Freud, qui contribue à remettre sur le droit chemin le commissaire et l’inspecteur chargés de l’enquête sur la tragédie qui vient de frapper la ville au niveau de la Tour de la Réconciliation et sur la découverte faites dans ses entrailles mêmes, là où personne ne s’était aventuré auparavant, permettent de conserver tout un lot de fantasmes attachés à la cité. A l’instar du film Metropolis dont s’inspire Lehman (jusqu’à revisiter l’affiche du film zoomée sur la première planche du premier tome de la série), la cité se transforme et des mutations qui s’opèrent, invisibles de tous sauf de Faune, le citoyen numéro 1, se joue tout le devenir des hommes : « Une force inconnue transforme Metropolis. Je ne parle pas du plan d’urbanisme qui se poursuit depuis 1912. Le phénomène est d’un autre ordre. Il s’apparente à une suite de métamorphoses (…) et personne n’a rien remarqué » consigne-t-il dans un carnet qui lui sert de thérapie. Faune est Metropolis et Metropolis est Faune. Un mariage subtil et terrifiant de beauté et d’horreur, une horreur matérialisée par les inquiétudes qui naissent des perturbations que subit la ville et de l’apparente incapacité des hommes à changer un cycle irréversible. Pour mener l’enquête le Directoire forme un duo de « choc » autour (donc) de l’inspecteur Faune et du commissaire Lohmann atteint de schizophrénie chronique. Le destin de Metropolis repose donc sur deux de ses plus grands malades placés dans les mains d’un psychiatre de génie… Lehman livre avec Metropolis un récit riche et documenté construit autour du fameux film éponyme de Fritz Lang. Il prend le temps de construire le cadre, de bâtir les plans de la ville, ses immeubles, ses parcs et ses statues, il prend aussi le temps de s’attacher aux caractères et aux lourds passés de ses héros, meurtris pour différentes raisons. Le  récit laisse ainsi l’impression d’une grande homogénéité, d’une rare maitrise narrative. De la succession de moments intimes et calmes, des tensions psychologiques qui se révèlent des personnages et du contexte de l’enquête s’affirme un récit subtil qui nous réserve bien  des surprises. Le dessin de Stéphane De Caneva se fond dans le scénario au point de soulever et d’appuyer sur chacun de ses mouvements. Un grand moment de lecture …

Lehman/De Caneva – Metropolis Tome 1 et 2 – Delcourt – 2014 – 15,95 euros l’un

 

Et aussi… (chroniques récentes parues sur la thématique)

fatale_1_la_mort_aux_trousses_couverture(1)Fatale T1 : La Mort Aux Trousses
Sean Phillips n’est pas un débutant, Ed Brubaker non plus. C’est même leur couple qui a déjà fait ses preuves. Tout ceux qui connaissent Criminal et Incognito savent de quoi je parle. La chronique de ce jour s’intéresse à une nouvelle série que nous proposent les deux compères.
 
L’histoire commence alors que Nicolas Lash, journaliste de son état, enterre son parrain, Dominic Raines, plus connu sous le  nom de Hank Raines. Une mystérieuse Jo s’invite à l’enterrement. Elle lui parle de son parrain comme si elle l’avait connu et pourtant elle paraît bien jeune… La nuit suivante, Nicolas fait le tour du manoir de Hank, histoire d’y faire le tri post-mortem. Il y trouve un manuscrit de son parrain. Celui-ci était écrivain de polars à succès et il semblerait que le manuscrit trouvé n’ait jamais été publié. Au même moment, deux hommes font irruption dans le manoir, armés jusqu’aux dents et visiblement à la recherche de quelque chose. La mystérieuse Jo est aussi sur place. Elle se débarrasse des deux hommes avant d’embarquer notre ami dans une course-poursuite qui se finit par un grave accident qui coûte sa jambe à notre journaliste. Comme vous pouvez le constater, les premières planches nous bousculent et nous plongent dans une intrigue très alambiquée. Qui sont ces hommes, qui est cette fameuse Jo et que faisait réellement Hank Raines ?
 
Le récit nous emmène alors sur les traces du passé. Passé sombre s’il en est. On y retrouve deux flics qui prennent quelques libertés avec la procédure, on y retrouve Hank, alors journaliste d’investigation qui a les deux policiers dans le colimateur et on y retrouve aussi la fameuse Jo au même âge qu’aujourd’hui … Oui les forces occultes sont impliquées : une secte est accusée de massacres en masse et l’histoire se déroule sur fond de pactes passés avec des êtres peu recommandables. 
 
Le duo a encore frappé. On est happé par la complexité de l’histoire et par la noirceur des événements. Les destins sont tragiques et ils nous touchent d’autant plus qu’on s’attache rapidement aux personnages. Signalons aussi la qualité du texte et la force du trait qui servent merveilleusement bien cette ambiance si particulière. Le rythme ne faiblit jamais ce qui en fait une BD à lire en une traite !
 
Un must-have !
 
Scénario :  Ed Brubaker – Dessins : Sean Philips – Fatale T1, La Mort Aux Trousses – Delcourt – Contrebande – 127 pages – octobre 2012 – prix 14,95 €
 
 
fatale_2_la_main_du_diable_couvertureFatale T2, Ma Main Du Diable
Joséphine s’est isolée à Los Angeles. On est dans les années 70, elle a trouvé refuge dans une maison, à l’abri des autres. Enfin, je devrais plutôt dire que ce sont les autres qui sont à l’abri. Son pouvoir, c’est que les hommes ne peuvent lui résister et rapidement ils sombrent dans des actes violents. Elle vit donc reclus pur oublier le passé et ne plus faire de dégâts. Mais un beau jour, Miles et Suzy débarquent chez elle. Suzy est blessée, assez gravement. Ils se sont échappés du repaire d’une secte locale : l’église de la méthode. On connait bien cette église, elle est déjà à l’origine des ennuis de Joséphine dans le tome 1. Ainsi le destin a décidé de croiser encore les routes…  
 
Même si l’effet de surprise ne joue plus, on retrouve le ton qui nous avait tant plu. Ce mélange de polar et de fantastique est toujours aussi savoureux. La narration se base toujours sur les recherches de Nicolas Lash pour qui le souvenir de Joséphine est une douleur. Ces recherches nous donnent l’occasion de replonger dans le passé pour y voir notre héroïne se débattre dans les années 70. Miles est un personnage que l’on a beaucoup apprécié. Direct, franc, sans arrières-pensées, il est la bouffée d’air frais dans ce monde fait de torture, de rite sataniques et de débauche. Joséphine prend un peu plus d’épaisseur de son côté. Elle commence à se révéler, à accepter son état. 
 
Le scénario ne nous fait pas de cadeaux, il nous ballote comme une feuille dans le vent. Les mécaniques du suspense sont diablement bien huilées. Et puis tout cela est merveilleusement mis en scène par un dessin sombre à souhait, révélant la part d’ombre de chacun. 
 
Scénario :  Ed Brubaker – Dessins : Sean Philips – Fatale T2, Ma Main Du Diable – Delcourt – Contrebande – 144 pages – juin 2013 – prix 15,95 €
 
 
fatale_03_a_l_ouest_de_l_enfer_couvertureFatale T3, A l’Ouest de l’Enfer
Nous en sommes déjà au troisième opus de la série. Pour mémoire, vous pouvez consulter nos rubriques des tome 1 et tome 2. On retrouve Joséphine mais cette fois Ed Brubaker nous propose de retourner dans le passé, histoire de voir un peu les origines de la belle fatale. Nous voilà en 1286, alors que la chasse aux sorcières est un sport reconnu d’utilité publique. Mathilda, une jeune fille, en est victime mais ses tortionnaires se rendent vite compte qu’elle ne peut pas être tuée. Tout cela se finit dans un brasier gigantesque. Il y a aussi Bonnie qui a vécu au Far West, en 1883, et qui est poursuivie par des hommes mystérieux, tout comme Joséphine. Etrangement, le point commun, ce sont des écritures mystérieuses, mystiques … Joséphine décide d’explorer un peu ce passé et cela la mène en Roumanie, pendant la seconde guerre mondiale. 
 
Les auteurs ont décidé de brouiller un peu les pistes mais on sait qu’ils aiment ça. Il faut bien dire qu’au début, l’ouvrage nous a un peu perturbés. Cela manquait de liant, de fil conducteur. Mais petit à petit, on voit où ils veulent nous emmener. Finalement cet album se présente comme les pièces d’un puzzle permettant de mieux comprendre encore le destin de Joséphine. Et puis on retrouve la noirceur habituelle de la série, toujours aussi sombre, toujours aussi flippant. On continue ainsi de suivre les pérégrinations de la belle avec délectation, surtout quand celle-ci prend des risques inconsidérés. L’enfer fait toujours aussi peur et cette peur est servie par un dessin noir à souhait. La série continue et ne faiblit pas.  
 
Scénario : Ed Brubaker – Dessins :  Sean Phillips – Fatale T3, A l’Ouest de l’Enfer – Delcourt – Contrebande – 128 pages – mai 2014 – prix 14,95 €

 

DPPlateforme Constellation, année 2027. L’une des plus grandes pompeuses pétrolière en haute-mer que la terre est connue fond sous un brasier ininterrompu, libérant des tonnes d’un pétrole qui teintera bientôt les côtes du Golfe du Mexique d’un sombre brun collant. Des espèces fragiles ou naïves, c’est selon, seront prises dans le pièges et verront des dizaines de leurs membres à jamais capturés. Rien ne peut freiner l’avidité de l’homme. Des flammes de plusieurs dizaines de mètres de haut s’élèvent en colonnes rangées dans le ciel déjà trouble. Un hélicoptère approche de cette « œuvre » d’art moderne. A son bord une certaine Présidente Rosenberg, chargée de la Commission sur l’énergie et l’Environnement, vient prendre connaissance de l’ampleur des dégâts et à vrai dire elle ne va pas être déçue. Mais contre l’une des plus grandes multinationales mondiales, la Prometheus-Oil, les gouvernements ne peuvent plus grand-chose, sauf être spectateur de ce qui se joue devant eux. La pulpeuse Rosenberg mènera son enquête. Pour cela elle acceptera de descendre dans les fonds marins là où s’élèvent l’un des secrets cachés de l’Amérique, la Deepwater prison. Une prison sous les eaux dans laquelle se trouvent enfermés les pires criminels que la nation de l’oncle Sam ait pu engendrer. Des tueurs sanguinaires, des détraqués patibulaires, parfois des erreurs, des hommes qui ont seulement osé dire non, et même des lecteurs de séries BD addictives datant d’une quinzaine d’années, c’est dire le florilège de beaux bestiaux, dispersés dans des cellules de 11 m² à peine, réunis dans ce huis clos hautement dangereux et anxyogène… Lors du voyage en bathyscaphe qui mènera la belle blonde au cœur de la meute de Deepwater, les passagers du submersible aperçoivent au travers du hublot un monstre marin inconnu sorte de grande murène aux dents acérées… Le danger guette à chaque clapotis de vagues… et ce n’est que le commencement…

Les premières planches de cette nouvelle série initiée par Christophe Bec laissent le cadre se poser. Le texte s’efface pour que le dessin puisse exprimer sa force et décrire la catastrophe qui touche bien plus le gouvernement américain que l’industriel de la Prometheus-Oil, visiblement peu affecté par les troubles à venir sur le système écologique local. Puis s’enchainent les faits qui se déroulent avec cette idée de pouvoir tirer ensuite sur les fils posés et densifier le récit. Nous connaissons maintenant l’attirance de Christophe Bec pour ce type de récits catastrophes où les évènements s’enchainent sans que les hommes et les femmes qui les vivent puissent les maitriser véritablement. Des surprises cachées, des révélations à venir. Le tout avec force d’un dessin véritablement expressif et réaliste de Raffaele qui arrive au sommet d’une maitrise de ses effets. Le duo fonctionne à merveille. La pression monte, les personnages s’étoffent. Bref une nouvelle addiction se programme avec Deepwater prison…

Bec/Raffaele – Deepwater prison T 1 – Soleil – 2014 – 13, 90 euros

 

Les vesiges de l'AubePour des milliers de citoyens américains la vie s’est arrêtée directement ou indirectement un matin de septembre 2001. C’est le cas pour Barry Donovan, jeune lieutenant de la police new-yorkaise qui aura perdu ce jour-là sa femme et sa fille. Deux ans plus tard l’homme se trouve habité par les fantômes de ses proches. Il vivote en se plongeant dans des enquêtes toutes plus crapuleuses les unes que les autres. En ce matin d’automne 2003, dans une des tours de la City qui s’élève au-dessus de l’Hudson, un homme tente d’arracher sa vie au tueur venu l’éliminer. Il est riche, travaille dans la finance et peut monopoliser très vite 100 000 dollars. Cette somme pourrait paraître énorme pour pas mal de petites frappes, mais l’homme au chapeau venu lui ôter la vie n’est pas de ceux-là, il se fait même mystérieux en lâchant une phrase hautement énigmatique : « Tu ne diffères pas de tes prédécesseurs mon grand… ». Et pour cause, l’homme fait partie des victimes d’exécutions perpétrées par un tueur que l’on pourrait croire en série si ses méthodes ne s’apparentaient pas à celles d’un professionnel…

Werner Von Lowinsky s’émerveille chaque jour de ce qu’il découvre du monde. La littérature, le cinéma et, tout récemment, internet, cet outil formidable qui permet de communiquer avec les hommes. D’autant plus méritoire qu’il a, si on peut le dire de cette façon, traversé les âges. L’homme est né à New York un jour de 1812 soit près de 200 ans plus tôt. Né d’une riche famille dont le père possédait une usine d’armement le jeune Werner pour une raison encore cachée est devenu vampire. Aujourd’hui il suit de près le jeune Barry Donovan qui lui apporte cette touche d’humanité qui lui faisait défaut depuis longtemps. Les deux hommes se rencontreront grâce à leur passion commune du cinéma…

Rencontre improbable entre un flic à la dérive et un vampire qui essaye de retrouver une âme. Les vestiges de l’aube se construit sur une trame qui captive d’entrée. Pour ses personnages profonds qui tentent de (re)donner du sens à une vie devenue bien terne, sans saveur, pour ce qu’il laisse de mystères s’épaissir au fil de la trame, pour cette envie de prendre une pause dans une ville qui se vit à 100 à l’heure. Le duo Barry Donovan/ Werner Von Lowinsky fonctionne à merveille et réserve encore des surprises dans un second tome à venir. Comment le jeune lieutenant prendra-t-il les révélation de son nouvel ami qui veut lui révéler sa véritable nature ? Adapté du roman de David S. Khara, connu pour avoir avant cela écrit ce qui deviendra un véritable best-seller, Le Projet Bleiberg, Les vestiges de l’ombre version BD fonctionne car il renouvelle peut-être un genre, celui des projets vampires qui fleurissent ici ou là à qui mieux mieux. Ici mêlé à une trame polar, le récit doit aussi énormément au travail graphique de Frédéric Peynet qui construit un New York tout à la fois identifiable et foncièrement singulier. Le choix des cadrages, la maîtrise de la verticalité, qui caractérise la City, et la perspective n’échappent pas au dessinateur. Une belle surprise !

Le Tendre/Peynet/Khara – Les vestiges de l’Aube – Dargaud – 2014 – 13, 99 euros

 

Docteur RadarLes destins se tissent parfois dans les gares, ces lieux de transit qui agglomèrent toute une foule de voyageurs réguliers ou occasionnels. Parfois glauques, parfois rythmées par une effervescence de tous les instants, elles deviennent des lieux où l’information gravite, tout comme le menu fretin prêt à quelques rapineries ou autres activités licencieuses. Dans le Paris de la fin du XIXème et du début du XXème siècle elles offraient déjà de belles perspectives architecturales propres à émerveiller les impressionnistes de tous poils et les industriels ravis de voir s’affirmer cette ère nouvelle de l’industrie.

En ces années 20 un passager pas forcément ordinaire s’embarque à destination de Berlin. Gontran Saint-Clair, c’est son nom, est chercheur de son état, et pas le moindre. Il projette en effet d’envoyer un avion dans la stratosphère, à quelques dizaines de kilomètres du sol. Projet fou s’il en est à une époque où l’on commence à peine à domestiquer la force motrice terrestre ! Mais le brave chercheur verra son destin vite abrégé par de mystérieux casse-cous venus l’empoisonner discrètement dans sa cabine. Tout cela pourrait revêtir le voile du fait divers ordinaire, si ce n’était pas le début de tout un lot d’assassinats aux victimes possédant d’étranges similitudes. Toutes les victimes étaient des chercheurs sur le point de voir leurs projets aboutir. Des projets ayant trait à la conquête de l’espace. C’est ainsi que l’on découvre peu après le professeur Vernon pendu dans sa cave ou le docteur Vaillant repêché dans l’Elbe le visage pas très beau à voir… Aussi au départ, ce qui aurait pu relever de la pure coïncidence pourrait très vite devenir bien plus inquiétant. La police locale complétement dépassée ne semble pas en mesure de mettre à mal les plans de notre tueur fou. C’est dans ce contexte qu’entre en scène un personnage bien plus versé dans ce genre d’enquête où les méninges et le sang-froid sont mis à rude épreuve. Il s’agit d’un ancien as de l’aviation, un des premiers, Ferdinand Straub détective privé plutôt efficace. C’est ainsi que se dessineront les contours du mystérieux tueur et commanditaire, un certain Docteur Radar…

Noël Simsolo et Frédéric Bézian n’en sont pas à leur coup d’essai. Les deux hommes avaient livrés un album resté plutôt confidentiel il y a une dizaine d’années maintenant « Ne touchez à rien ». Ils reviennent autour d’un projet de polar tiré d’un feuilleton radiophonique produit dans les années 90 par Radio France. Docteur Radar pourrait devenir, même si Bézian reste volontairement évasif sur le sujet (voir notre interview), une des séries phares des années à venir. Un potentiel sans limite tant au niveau du contenu narratif que de sa représentation graphique. Une représentation graphique dans laquelle le dessinateur toulousain peut encore et toujours renouveler son style, au du moins le tirer vers des recherches esthétiques nouvelles. Ici c’est le mouvement qui est mis à l’honneur, tout comme le travail sur la gestuelle des corps, qui sont présentés indifféremment distordus, difformes, triturés dans des poses qui suggèrent toute une panoplie d’émotions, de la douleur, en passant par l’étonnement, l’anxiété, la peur… Le suspense lui est omniprésent, le décalage aussi tant au niveau de la représentation visuelle qui joue sur des faux-semblants que sur le ton donné à ce récit épique. Le découpage pensé par Bézian joue sur les symétries, accompagne le regard du lecteur qu’il vient conforter dans une pensée ou une émotion. Un album de haute facture ! A noter qu’une version luxe limitée à 999 exemplaires est proposée par l’éditeur au prix attractif de 49 euros dans un format élargi et avec l’ajout d’un cahier graphique qui justifie à lui seul l’achat de cette édition.

Simsolo/Bézian – Docteur Radar – Glénat – 2014 – 19,50 euros

 


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