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Focus “Récits de voyage et pays lointains » : L’Afrique plurielle (1ère partie)

Bienvenue en Afrique ! Sitôt passés les derniers remous méditerranéens qui nous mènent sur le sol Algérien nous débarquons sur un sol chargé d’histoire. Une histoire parfois douloureuse, témoignage d’un temps révolu où les hommes s’arrogeaient le droit de porter la civilisation au-delà de ses frontières, gommant les particularismes et faisant fi du riche patrimoine local. C’est ce patrimoine et le passé de sa famille italienne venue de Sicile quelques décennies plus tôt qu’est venu retrouver Joël Alessandra. Un voyage chargé d’une émotion à peine contenue, mais particulièrement sincère. Puis nous partirons pour cette Afrique noire qui, du large du Sénégal, en passant par le Congo, le Bénin et les bordures du lac Tanganyika offre une pluralité de cultures et de contextes, des paysages sauvages et préservés à parcourir avec respect…

Algerie
Petit-fils d'Algérie

Petit-fils d’Algérie de Joël Alessandra – Casterman (2015)

Un ciel bleu qui donne du relief à la Bonne-mère. C’est de Marseille que cette histoire partira. Elle naviguera ensuite vers l’Algérie, la terre où les ancêtres de l’auteur ont immigré pour fuir la misère d’une Italie en crise. Des questions qui se posent et qui cherchent des réponses depuis un certain temps déjà, une envie de se mêler à un peuple, de s’immiscer dans une culture pour faire voler en éclats les clichés et tenter de percer les secrets d’une histoire douloureuse, celle qui, en 1962, allait diviser deux pays et contraindre les français d’Algérie, ces pieds-noirs « qui gueulaient fort », à la fuite forcée. Joël Alessandra est l’un d’eux qui n’a pourtant jamais connu le pays d’adoption. Venu à Constantine pour un voyage initié par l’institut français, l’auteur part sur les pas laissés par sa famille quelques décennies plus tôt…
C’est une histoire de Méditerranée qui oscille entre le port de Marseille, la Sicile et Constantine. Une histoire qui se tisse par les migrations forcées ou choisies, par cette envie de relever le défi de la vie, de croire qu’il est encore possible de sortir d’une misère qui fauche les plus résignés et espérer construire ailleurs ce que l’on ne peut construire chez soi. Car sur ces terres qui bordent la Mer, la vie n’a pas toujours été tendre et l’histoire est là pour le rappeler, la mémoire aussi qui s’effiloche au fil du temps et qu’il faut pourtant tenter de préserver. C’est de cela que nous parle Joël Alessandra dans un roman graphique poignant et intime dans lequel il livre des pans entiers de son passé familial, de ces ancêtres, simples maçons italiens fuyant la Sicile devenus pourtant, quelques années plus tard, des constructeurs demandés dans tout la région de l’ancienne Numidie. A l’origine de ce retour aux sources, une invitation faite à Joël Alessandra par l’Institut français de Constantine. L’auteur, qui cherchait depuis quelques temps un mobile pour initier le voyage, acceptera l’invitation dans une période pourtant sensible (quelques jours plus tôt est assassiné Hervé Gourdel, un ressortissant français, guide de profession). C’est donc entouré de gardes du corps que l’auteur sillonne l’agglomération à la recherche des traces du passé des Alessandra et des questions qu’il se pose depuis toujours : Sa famille, naturalisée française et ayant acquis au fil des ans une notoriété et un confort de vie a-t-elle exploité le peuple algérien ? Etaient-ils violents et racistes ? Aidé dans ses pérégrinations par Lockmane, un poète érudit qui maîtrise l’histoire de la ville il retrouvera les indices qu’il était venu chercher. Au-delà, c’est avant tout l’ambiance de la ville, les effluves qui s’y échappent, le grouillement de son souk, le sourire de ses habitants, qui, pourtant souvent dans le besoin, n’hésitent pas à tendre la main, à partager. Loin des clichés réducteurs, du carnet de voyage classique, le récit construit par Joël Alessandra laisse se développer l’histoire d’un peuple, avec ses soubresauts incessants, ses drames encore palpables et cette pluralité qui s’affichent comme autant de richesses et de couleurs. Sur la forme l’auteur mêle photographies d’époque venues de ses archives personnelles, plans, carnets de voyage, récits historiques nichés dans la trame principale, pleines pages somptueuses qui rendent hommage à la ville et à son peuple et bien d’autres choses encore. De cette matière foisonnante Joël Alessandra tire un témoignage sincère et respectueux qui invite indéniablement au voyage. A dévorer de la première à la dernière planche !

Joël Alessandra – Petit-fils d’Algérie – Casterman – 2015 – 19 euros

Prison d'Ebene

Prison d’Ebène de Sylvain Combrouze – La Boite à bulles (2015)

La traite négrière occidentale s’est mise en place au milieu du quinzième siècle lorsque des navigateurs portugais enlèvent, sur les côtes occidentales de l’Afrique, des hommes noirs pour en faire des esclaves. Une fois initié, ce trafic d’hommes et de femmes ne fera que s’accroître, justifié qui plus est par la découverte des nouvelles terres du continent Américain. Afin de trouver une main d’œuvre docile, travailleuse et supportant les températures chaudes des îles du Golfe du Mexique les royaumes européens renforcent le commerce des esclaves tout au long du seizième, dix-septième et dix-huitième siècle. L’ile de Gorée fut un des points de passage d’esclaves issus de cette traite négrière occidentale. Pas aussi important que pu l’être St-Louis du Sénégal, mais assez symbolique pour susciter l’intérêt des historiens, des chercheurs et de Sylvain Combrouze qui en fait l’un des lieux développé dans son récit.
En plein dix-huitième siècle un sorcier vaudou négocie avec un capitaine acteur de la traite des noirs le rachat d’un cheptel d’âmes. En échange des esclaves, l’homme mystérieux offre un coffre à main dans lequel brille une bougie au prix semble-t-il inestimable. Un prix suffisant pour être accepté par le capitaine qui se voit gravé par le sorcier un signe cabalistique des plus étranges… De nos jours à Nantes, un jeune homme qui dort dans la rue près d’une boutique fermée est réveillé de force par un artisan qui tente d’accéder à son échoppe. Le jeune homme déambule alors dans les quartiers de la ville, sans but et sans espoir lorsqu’il tombe sur un vieil homme victime d’un malaise alors qu’il monte les marches d’un escalier. Il lui viendra en aide et se verra récompenser en retour par l’homme, un certain Ernest Maleck, a priori riche propriétaire immobilier…
Quel(s) lien(s) peut/peuvent réunir les deux récits construits par Sylvain Combrouze à deux époques et dans deux lieux différents ? Tout le mystère qu’offre le déroulé narratif échafaudé avec la rigueur qu’impose le choix judicieux du récit muet trouve là un terrain fertile à son expression. On croise en effet au fil des planches de troubles pratiques vaudous, des signes mystérieux gravés dans les chairs, la traite d’esclaves venus d’Afrique, un vieil homme sans âge à la générosité rare, un autre, noir et bien plus jeune, qui semble jouir de deux vies bien distinctes, la flamme de la vie, qui transite à travers les âges et ce jeune homme un brin déboussolé et désillusionné qui pourrait, si ce n’est réunir le tout, révéler malgré lui la lumière sur ce qui se trame. La réussite de ce projet tient indéniablement dans son dessin qui, avec simplicité et lisibilité, parvient à révéler la tension qui se joue dans chaque scène. Le traitement distinct en bichromie pour les parties modernes et en noir et blanc pour les scènes se déroulant sur le large des côtes sénégalaises, apporte aussi un rythme graphique sur lequel joue l’auteur. Sylvain Combrouze démontre aussi, au travers de ce récit, une capacité à faire croître le suspense et à épaissir les zones d’ombre. Cela participe à doper l’atmosphère de ce qui se joue sous nos yeux et dont on devient un peu le spectateur curieux. Du bon boulot pour un premier projet qui donne envie d’en découvrir plus sur cet auteur.

Sylvain Combrouze – Prison d’Ebène – La Boite à bulles – 2015 – 17 euros


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