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HeBDo BD, l’actualité de la BD – Les sorties de la semaine du 14 au 20 mai 2016

Cette semaine nous irons très loin sur des territoires connus ou (encore) inconnus mais tous propice à l’évasion et au développement de notre imaginaire. Que ce soit la Norvège de Munch mis en scène par Giorgia Marras, une petite nouvelle dans la sphère du neuvième art, ou le Congo que l’on peut parcourir avec Zidrou et Beuchot dans le bouleversant Un tout petit bout d’elles ou dans le non moins touchant Toussaint 66 99 de Kris et Lamanda, ou encore l’Australie pour partir dans un trek où l’amour n’est pas loin. Nous irons aussi aux States grâce à Robinson et Hinkle et leur revisite d’Airboy pour parcourir la côte Ouest ou Baltimore dans la surprenant Homicide de Philippe Squarzoni. Nous sillonnerons également le Prague du dix-septième siècle ou les tranchées de la guerre de 14-18. Bref un beau tour d’horizon et vous en avez encore d’autres à lire !

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NilsDans une campagne reculée loin de la ville, des hommes et des femmes engagent la conversation sur les récoltes à venir. Leur constat est sans appel. Pour une raison qu’ils ignorent les céréales ne poussent plus. Le processus de germination semble en effet stoppé sans qu’il soit possible d’en connaitre la cause et cela s’étend sur une grande partie du territoire connu. Pourtant les terres que les villageois exploitent sont plutôt riches en matière organique et devraient permettre de voir fleurir les champs de céréales ou autres légumineux. Devant le danger qui se fait prégnant de sombrer dans une famine qui n’offrirait pas de lucarne de sortie, le jeune Nils et son père décident de prendre la route pour aller vers l’Est et tenter de comprendre ce qui peut bien se passer chez eux. Ils traversent alors des étendues austères et désolées avant de trouver refuge dans les ruines d’une cité jadis prospère. Là ils rencontrent une femme qui traverse elle aussi le pays avec ses deux garçons et qui lui indique que, vers le Nord, à trois ou quatre jours de marche s’élève une forêt. Dans cet écrin préservé, ils pourront peut-être retrouver une flore pleine de vitalité. Après avoir marché de longues heures Nils et son père parviennent enfin à cette fameuse forêt et trouvent, caché derrière des pierres, une pousse d’arbre luminescente. Un symbole de vie puissant protégé dans un autel naturel. En observant encore mieux les lieux, le fils et son père tombent sur de petites créatures de lumière qui pourraient bien être des esprits de la nature…
Le succès d’une histoire se lit souvent dans ses premiers instants, lorsque le contexte se pose et que des interrogations sur les suites à venir émergent doucement. Dans Nils les deux auteurs cultivent l’art d’amener leur sujet. En partant d’un constat de désolation d’une nature inexplicablement muette, qui peine à se fortifier et à offrir l’étincellement de la vie, ils posent un mystère tenace sur ce qui peut bien se jouer dans leur univers en construction. Le voyage entreprit par Nils, jeune garçon débrouillard et son père, sage du village, révèlera l’étendue du désastre. La nature telle qu’elle a été connue jadis, n’est plus et la faute repose sur la disparition de l’énergie dont elle a besoin pour se régénérer. Sous forme de fable qui emprunte autant aux contes nordiques qu’à la fantasy, cette réflexion écologique fait indéniablement mouche. D’abord par la « plastique » d’un dessin enveloppant et somptueux mais aussi par l’idée même de cette fragilité de la nature qui doit interpeller chacun de nous. Les héros de cette série ce sont ces petits êtres de lumières, ces esprits de la nature qui disparaissent peu à peu au point de créer un monde terne et sans espoir. L’intrigue se renforce ensuite de la rencontre avec plusieurs protagonistes qui tirent l’intrigue et lui offrent un nouveau point d’accroche. Dans la maîtrise du tempo, dans le message délivré qui doit nous pousser aussi à nous questionner sur notre propre avenir, d’autant plus en des temps incertains, Nils se révèle comme un de ces petits êtres de lumière, fragile et pourtant ô combien essentiel…

Hamon et Carrion – Nils T1 : Les élémentaires – Soleil/Métamorphose – 2016 – 14,95 euros

HomicideEn 1988 le journaliste David Simon réalise une immersion au sein de la police de Baltimore. Il y côtoie alors des capitaines, sergents et inspecteurs qui travaillent jour et nuit à la section criminelle. De cette expérience il tire un livre-documentaire publié trois ans plus tard qui donnera lieu à une adaptation en série TV. C’est de la lecture de ce récit saisissant que Philippe Squarzoni puise la matière d’Homicide. L’auteur de Saison Brune reconnait que la lecture des pages de ce témoignage lui donnait, au fur et à mesure, des images très précises d’une composition graphique. Au point d’envisager de travailler sur un projet d’adaptation. Ce qui frappe dans le premier volet de cette série c’est la manière dont le dessinateur parvient à poser son ambiance, souvent pesante – le récit traite quand même d’affaires de meurtres dans une ville connue pour sa criminalité – tout en conservant suffisamment de détachement face aux événements. Cela il le doit au projet d’origine de David Simon. Car l’immersion du journaliste auprès des forces de police de Baltimore, n’a pas pour but, comme il est possible de le voir ailleurs, une mise en avant de soi. Le dessinateur donne donc à voir avant tout le travail des équipes, leurs rotations, leur constitution et leurs résultats, souvent jugés trop faibles aux yeux des politiques et de leur propre hiérarchie. Dans les locaux étroits qu’ils occupent et leur servent de bureaux la tension est palpable car chacun traîne avec lui son affect, sa perception d’une société toujours plus viciée, ses problèmes personnels et la crainte aussi d’une rétrogradation dans un service subalterne sans relief et sans adrénaline. La tension reste aussi palpable entre les équipes et les hommes en raison d’une mise en avant systématique des résultats et des échecs, qui aurait pu se voir comme des stimulii, mais qui produit l’effet inverse. La limite de l’exercice, si limite il y a, reste de savoir ce qui relève du factuel et ce qui ne reste que la perception du journaliste placé dans un environnement exceptionnel. En fonction de son humeur du moment, de sa propre analyse, consciente ou inconsciente d’une scène de crime, de sa compréhension des enjeux et de ce que les hommes de terrains, parfois pris en tenaille par toute la machinerie politicienne locale, lui donnent à voir, le journaliste peut ressentir les événements avec une certaine forme de conditionnement. Cela reste pourtant insignifiant placé dans la globalité des affaires traitées. Le lecteur retiendra plutôt la difficulté pour les hommes de terrain à prendre part à un combat qui reste perdu d’avance – d’autant plus lorsqu’on observe de près l’évolution des chiffres des meurtres et des agressions aux Etats-Unis. Le choix des cadrages tout comme le traitement des couleurs en pages quasi-monochromes sert forcément le projet, il permet en tout cas au lecteur une immersion plus aisée, d’autant plus si l’on considère que le récit reste essentiellement narratif avec peu de dialogues. Une série qui devrait faire son bonhomme de chemin !

Philippe Squarzoni – Homicide – Delcourt – 2016 – 16,50 euros

Toussaint 66 99Un homme débarque dans un petit village de Bretagne pour assister aux funérailles de sa mère mais, lorsqu’il parvient enfin dans la petite église paroissiale, il semble ne pas trop reconnaître les personnes qui composent une chambrée plutôt correcte de proches venus lui rendre un dernier adieu. D’ailleurs le curé lui-même parait étrange à lire ses homélies toute gorge déployée en scandant un superbe et émouvant « soit heureuse, Yvonne Maréchal ». Encore une erreur de ce vieux ratichon ? La mère de l’homme ne se nomme pas Yvonne Maréchal mais Simone Polignac ! Notre petit bougre, arrivé de surcroît en retard, ne peut en entendre plus. Il se lève et dégaine un calibre 22 en direction du représentant de Dieu en ce petit village breton. Méprise. Il s’agissait en fait d’une simple méprise car la défunte mère de notre homme un brin susceptible avait émis le souhait d’être incinérée avant que ses cendres ne soient dispersées sur ce beau continent africain sur lequel son fils a vécu de (trop) longues années pour y exercer le métier de mercenaire à la solde du plus offrant. Parvenus au Congo le fils se résout à accomplir les dernières volontés de sa mère. Dans une coccinelle d’un autre temps il sillonne les routes terreuses du Sénégal où il vient de débarquer pour se rendre 6000 km plus loin dans la belle ville de Pointe Noire, ultime étape de notre urne funéraire…
Toussaint 66 avait été édité une première fois en 2002 pour le compte des éditions Delcourt. L’éditeur breton Sixto lui offre une deuxième jeunesse au travers d’une édition complète comprenant outre sa petite ponctuation finale Toussaint 99 publié un an plus tard en 2003 dans Pavillon Rouge un magazine du groupe Delcourt destiné à mettre en avant des récits courts, et un épais dossier qui revient sur la création de ce récit. Petit bonus de choix, l’adaptation de L’Aventurier, la chanson de Jacques Dutronc, dans une historiette reprenant le héros Toussaint Polignac, est proposée dans cette « intégrale ». Si le récit n’est pas nouveau il permet de voir Kris aux manettes de l’un de ses premiers travaux de scénariste. Pour tout dire il fait le job avec déjà une belle assurance et un sens de la dérision plutôt sympathique. Son héros possède les traits caricaturaux à souhait du mercenaire africain, vite dépassé une fois de retour en métropole. Pourtant le scénariste ne s’arrête pas à ce simple trait mais place son héros face à ses troubles, dans une relation trop vite effacée avec sa mère. Ce roadtrip africain, dopé à l’humour et à une certaine forme de tendresse s’affiche comme bien plus qu’une (re)découverte, un véritable projet éditorial de qualité !

Lamanda & Kris – Toussaint 66 99 – Sixto – 2016 – 19 euros

Un tout petit bout d'ellesDans un mobil home qui leur sert de dortoirs des ouvriers chinois qui exploitent le bois en plein cœur du Congo prennent un repos bien mérité. Yué, l’un d’eux, se prépare à se rendre en ville où il doit rencontrer Antoinette une superbe jeune femme, mère d’une petite fille dynamique, qui fait battre son cœur. Les deux se rendent à une séance de diffusion en plein air d’un film un peu daté dont la dernière bobine a été perdue puis vont se régaler d’un bon petit plat de chez Miam-Miam, un établissement gastronomique bon marché. Plus tard dans la soirée Yué raccompagne Antoinette chez elle et lui fait l’amour. Des gestes délicats, des baisers échangés jusqu’à ce que l’homme n’ai l’envie de donner du plaisir à la jeune femme en approchant sa bouche de son sexe. La femme se recroqueville alors arguant que ça ne se fait pas, que le cunnilingus est une chose sale. En fait Antoinette se protège de la honte de son excision… Ce qui aurait pu éloigner le couple va pourtant les rapprocher…  
Zidrou et Beuchot clôturent avec Un tout petit bout d’elles, leur trilogie africaine débutée par le réjouissant Montreur d’Histoires. Dans ce dernier volet les deux auteurs construisent une histoire d’amour, comme il peut y en avoir des milliers, autour du thème tragique de l’excision, qui touche encore des millions de femmes à travers le monde. Le sujet l’emporterait presque sur les personnages s’il n’y avait le talent de Zidrou pour raconter les histoires. Ici, avec beaucoup de pudeur, il nous présente Yué, un ouvrier chinois missionné par une entreprise internationale pour travailler dans une concession de gestion du bois du Parc National de la Salonga, un parc classé à l’UNESCO qui couvre près de 4 millions d’hectares et abrite notamment le mythique bonobo, et Antoinette, une jeune femme, mère d’une petite fille, qui tente de boucler ses fins de mois de milles façons. Yué tombera amoureux de cette belle femme, et d’autant plus lorsqu’il prendra connaissance de la mutilation qu’elle a subit. Sans jamais tomber dans l’excès lacrymal, les deux auteurs posent leur sujet, détaillent chaque geste, chaque intention avec une infinie précision, sans surjouer, avec cette pudeur, cette retenue dans les sentiments à transmettre, et beaucoup de respect pour leurs personnages, mais aussi avec ce souci de précision dans le sujet traité. Et ce qui n’est pas dit dans le récit fait l’objet de précisions dans le dossier placé en fin d’album. Le texte n’est ici jamais envahissant mais toujours fort à propos et en phase avec son époque (lorsque le héros cherche à avoir des précisions sur l’excision, il le fait via Wikipédia). Un album simple et humain dans ses intentions qui décortique pour nous, sans jugement frontal, la tragédie de l’excision, mutilation du corps de la femme pratiquée par des femmes elles aussi mutilées…

Zidrou et Beuchot – Un tout petit bout d’elles – Le Lombard – 2016 – 17,95 euros

L'origine du mondeElle avait déjà posé sa touche dans un album assez singulier mais très pertinent dans son propos : Les sentiments du prince Charles. Dans cet album Liv Strömquist s’attachait à analyser le sens du mot amour à partir d’une petite phrase anodine mais au final très révélatrice du prince Charles qui répondait à la question « Êtes-vous amoureux ? » d’un journaliste par un « Oui… Quel que soit le sens du mot amour ». Son origine du monde n’a pas forcément à voir avec l’œuvre mythique de Courbet bien que, comme le peintre, la dessinatrice s’attache à démontrer que la représentation du sexe féminin reste encore étrangement tabou à notre époque. Si les intentions de Courbet dépassaient la simple représentation du sexe féminin, Liv Strömquist quant à elle a pris le parti de revenir un peu en arrière et d’explorer avec une rigueur remarquable et une documentation fournie pourquoi le sexe féminin à tant passionné la prose des plus grands auteurs, médecins et scientifiques masculins depuis la nuit des temps. Son album ne va donc pas ménager la part de pudeur qui peut être inscrite en nous depuis toujours. Après une introduction au cours de laquelle elle dresse le portrait « rectifié » de sept hommes qui se sont intéressé d’un peu trop près à ce que l’on appelle les organes féminins, la dessinatrice va poser son analyse sur le sujet en essayant de comprendre pourquoi la plupart des gens éprouvent bien des difficulté à parler du sexe féminin avec les mots justes. Plus que cela, elle constate un changement radical dans la perception du sexe féminin de l’histoire la plus ancienne où il était symbole de vie à notre époque où au contraire il est perçu comme quelque chose de « sale ». Pour cela la dessinatrice n’hésite pas à parler sans retenu et à vrai dire, le message se fait parfaitement audible. Elle démontre ainsi avec pas mal de verve la manière dont la société se révèle ultra-conditionnée par le genre masculin qui va toujours être le point de repère vers lequel nous tendons tous. Exemple, nous dirons : « Les garçons ont un zizi mais les filles n’en ont pas » plutôt que « Les filles ont une foufoune mais les garçons n’en ont pas ». D’exemple en exemple Liv Strömquist aborde les sujets du plaisir féminin, de l’onanisme, des règles et de tout ce qui tourne autour du sexe féminin pour mettre en évidence comment la gent masculine domine le monde et impose sa vision des choses, même lorsqu’il s’agit de la femme et de ses organes sexuels. Si l’album peut paraître bavard dans sa manière de se développer par grands pavés de textes, il reste d’une incroyable fraîcheur dans la manière dont le sujet est abordé. Donc forcément recommandé !

Liv Strömquist – L’origine du monde – Rackham – 2016 – 20 euros

MunchLa ville s’est déjà couverte du manteau froid de l’hiver, mais à Kristiana, la bourgeoisie locale ne peut se résigner à se « montrer » en extérieur, pour, dans un jeu de semblant et de positionnement social, affirmé qu’ils sont toujours là, et que rien ne peut les atteindre. Plus tard dans un bistro de la ville se regroupe des amis artistes qui composent le mouvement bohême local. Les conversations fusent sur le rapport à la sexualité, et notamment le plaisir et la liberté féminine dans une société sclérosée. A cette tablée-là une nouvelle tête émerge, celle d’un jeunot qui a juré de devenir peintre, allant contre tous les projets familiaux, ce jeune homme porte le nom d’Edvard Munch…
Des passerelles évidentes existent entre la peinture et la bande dessinée. Il n’y a qu’à regarder les projets récents qui fleurissent ici ou là pour nous le confirmer. Peut-être parce que le peintre fige l’instant et que dans cet instant se lisent des multitudes d’histoires à mettre en scène. Giorgia Marras est une jeune autrice italienne, je le précise car elle fait montre d’une grande maturité dans la matière traitée et dans un trait au crayon qui convient parfaitement au cadre dans lequel prend corps son récit. Pour ce premier roman graphique Giorgia Marras s’est véritablement immergée dans l’œuvre, la carrière et la vie de Munch, en reposant son récit sur une documentation solide dont elle présente quelques références en fin d’album, son Munch avant Munch, comme son nom l’indique, nous conte la vie du peintre avant (et pendant) ses premières expositions publiques. Par cela elle cherche à saisir les cadres, les multiples éléments d’une vie, pas forcément facile, qui ont pu expliquer les œuvres. Elle passe ainsi près du port d’Ekeberg, dans le fjord d’Oslo qui servira de cadre aux cinq versions du Cri, revient sur la tragédie de la mort de sa mère et de sa jeune sœur, sur le souhait exprimé de devenir peintre à tout juste 16 ans, sur sa relation avec Milly une française de 25 ans dont il dira dans ses carnets qu’il a connu grâce à elle « les brûlantes mésaventures de l’amour » des aventures comme il le dit qui l’ont presque rendu fou. Nous parlions de maturité dans le travail de la dessinatrice il s’exprime prodigieusement au travers de la galerie de portraits présentés qui expliquent le basculement du jeune homme dans la peinture puis dans ses différents courants, de l’impressionnisme, qui lui a permis de mener une introspection douloureuse vers l’expressionisme qui lui permis d’atteindre ce qu’il y a de plus intime en lui. Munch se nourrissait de chaque rencontre, et il était essentiel de les mettre en avant sans virer dans l’effet catalogue. Giogia Marras y parvient en mettant notamment en scène ici, outre la famille proche de Munch, Frits Thaulow, peintre naturaliste, Hans Jaeger, romancier de la bohême de Kristiana, Christian Krohg… des personnages qui ont, à leur manière, forgé le caractère et l’œuvre du peintre. S’ils sont intégrés au récit les hommes et femmes qui ont compté pour le peintre sont détaillés dans le dossier qui clôt l’album et reprend les éléments de la vie de Munch. Un travail tout à la fois soigné et solide au service d’un récit passionnant et maitrisé. Une belle découverte !

Giorgia Marras – Munch avant Munch – Steinkis – 2016 – 18 euros

AirboyNotre récit s’ouvre sur la vision d’un homme – le scénariste James Robinson – assis sur ses toilettes dialoguant au téléphone avec son éditeur qui tente de le persuader de plancher sur la remise au goût du jour d’un superhéros un brin oublié, Airboy. Un peu désuet pour ne pas dire tartignole, Airboy représente le parfait superhéros « à l’ancienne » créé et développé au sortir de la seconde guerre mondiale pour exacerber le patriotisme américain et justifier de l’entrée dans la guerre froide contre la puissance soviétique. Dans ce contexte chargé Airboy détone par sa naïveté et son désir profond de sauver au péril de sa vie la veuve et l’orphelin. Une naïveté qui fait de lui un personnage assez crédule, propre sur lui, entouré d’amis formidables dans un monde qui l’est un peu moins. Ce monde de l »un peu moins » c’est un peu aussi celui de James Robinson. De galères en galères nous le voyons tour à tour écumer les bars nocturnes, s’envoyer en l’air avec une femme démesurément poumonée, se préparer quelques lignes de coke, fuir au petit matin d’une chambre sordide la bite au vent, se faire sucer par un travelo dans une boite minable, et, parmi les autres choses, douter de lui et de son plan de carrière… Heureusement pour James et Greg, Airboy veille au grain et fait d’ailleurs son entrée en scène par un vibrant « Ce comportement doit cesser ». Début de la plongée dans un des multiples univers parallèles au notre…
Le comics ne se résume pas qu’en l’histoire de superhéros bodybuildés affublés de collants moulés bleus ou rouges, il peut aussi raconter l’histoire de ceux qui les écrivent. Dans Airboy James Robinson (Starman, Leave It to Chance) se met en scène avec son dessinateur Greg Hinkle (The Rattler) autour du superhéros (quand même) Airboy développé en série au milieu des années 40. S’il fait preuve d’un humour constant et d’un sens de l’autodérision, l’album de Robinson et Hinkle vaut pour les thématiques plus « sérieuses » qu’il aborde comme la mode des reboots qui cache en partie le manque de créativité des auteurs et des éditeurs dans le magma des sorties qui atterrissent sur les étals aux Etats-Unis et ailleurs. Le comics est devenu un secteur particulièrement suivi par les éditeurs français. Après Delcourt ou Glénat le groupe Steinkis, par l’intermédiaire de son label Jungle, s’engouffre dans la brèche. Airboy laisserait penser que le groupe développe sa stratégie autour d’œuvres issues de la mouvance alternative et c’est plutôt une bonne chose. Un album qui surfe sur la bonne vague !

James Robinson & Greg Hinkle – Airboy – Jungle comics – 2016 – 17 euros

Amour australUn homme entreprend un trek en plein cœur de l’Australie. Autant pour la beauté du paysage que pour se relever d’une peine d’amour récente et méditer sur son devenir. La reconstruction passe pour lui par une solitude forcée qui lui permettra aussi de se retrouver et de tester ses propres limites. Parti seul il compte bien le rester et évite ainsi les aires de campements les plus « courues » pour planter sa tante en périphérie des chemins balisés. Un matin, après une nuit réparatrice, l’homme reprend sa route et découvre des traces de pas dans la terre sablonneuse qui part du secteur où il a passé la nuit. Quelqu’un aurait donc, tout comme lui, déserté le campement pour venir s’établir à deux pas de son petit paradis d’un soir… Plus loin la beauté des paysages explose, mais la chaleur se fait aussi des plus vives et les mouches de sérieuses combattantes qui aiment à venir piquer une peau pas forcément préparée à ce surplus « d’affection ». Dans ce train-train du randonneur, émerge pourtant un visage, celui d’une jeune femme charmante, qui va l’obliger à rompre le mutisme qu’il s’était imposé…    
Sur le papier le pari était osé. Parvenir à capter l’attention du lecteur sur 244 pages avec une histoire de trek mené dans le désert australien. Même si l’amour s’insère dans le lourd paquetage de notre narrateur qui n’est autre que l’auteur lui-même on pouvait craindre le pire. Pourtant rien de tel ici. Si l’histoire d’amour entre notre auteur et une petite française toute fraîche s’impose au fil des pages elle met surtout en évidence ces entre-deux. Jan, notre héros, sort d’une histoire qui l’a profondément marqué. Une de celles dont on ne se remet pas si facilement, sauf à posséder une force de caractère bien supérieure à la moyenne. Pour Jan ce n’est pas le cas et le trekking qu’il s’impose, se veut aussi un moyen de faire le point sur sa vie, sur ses aspirations futures et sur les erreurs passées. Pour avancer et se reconstruire une carapace. Dans un tel contexte la rencontre avec Morgane n’était en rien programmée. Elle va pourtant remettre en cause pas mal de choses dont cette solitude que Jan voulait s’imposer. Pire, notre jeune homme va tomber amoureux, lui venu soigner un mal d’amour… Avec une justesse dans le traitement des sentiments et avec l’idée de se livrer entièrement, sans far, Jan Bauer impose un récit sensible non dénué d’humour qui fait mouche. Cerise sur le gâteau, l’auteur nous immerge dans le décor somptueux de cette histoire. Une agréable surprise.

Jan Bauer – Amour austral – Warum – 2016 – 20 euros

14 18Février 1916. Dans les tranchées boueuses quelque part aux abords de Verdun, les troupes d’Armand attendent les ordres de l’Etat-major. Les Allemands quant à eux savent ce qu’ils veulent et le déluge d’obus qui s’abat sur les tranchées alliées laisse supposer une attaque imminente. Pour répondre à cette stratégie agressive de l’ennemi des renforts de troupes sont envoyées dans le secteur d’Armand. Arsène les a vus. Ils sont nombreux et ils sont noirs. De quoi raviver un racisme primaire entretenu par une propagande colonialiste efficace avant-guerre. Le contact n’est donc pas évident pour Arsène qui se plait à se « frotter » à l’un des colosses d’ébène composant le corps des tirailleurs sénégalais. Un peu plus tard l’ordre de marche est donné et la troupe d’Armand se voit confier la mission de soutenir le fort de Douaumont qui se révèle hautement stratégique…
C’est peu après la deuxième moitié du dix-neuvième siècle qu’est créé le corps des Tirailleurs sénégalais. L’idée était de disposer, sur les territoires colonisés en Afrique, de forces capables de pallier les insuffisances de recrues originaires de métropole. Les régiments de tirailleurs étaient constitués pour la plupart d’esclaves affranchis ou rachetés à leur maître, mais aussi de volontaires. Leur chiffre gonfla progressivement et le rôle joué par les différentes unités s’avéra décisif lors de soulèvements, notamment au Maroc ou en Mauritanie au début du vingtième siècle. C’est pour renforcer certaines lignes dès le début de la Grande guerre que l’état-major français fait un appel (massif) aux troupes d’Afrique qui prirent ainsi part aux combats dès les premiers coups de feu. Corbeyran construit, comme il sait le faire, un scénario où chaque détail compte. Ici il insiste d’une part sur les tensions qui pouvaient naître entre soldats métropolitains et tirailleurs, dans une société où le colonialisme et le racisme étaient les deux mamelles d’une politique d’état tournée vers un impérialisme triomphant, et d’autre part sur les problèmes récurrents rencontrés sur les zones même de combat, où les tirailleurs étaient, pour une grande part, considérés comme de la simple chair à canon. Sur ce dernier point le « parcage » des troupes étrangères dans le fort de Douamont, que l’on peut voir dans ce cinquième opus, est tout à fait saisissant et plus que symbolique. Par le souci du détail, par la volonté de proposer non seulement une fiction dramatique à l’image de cette guerre, mais aussi un témoignage de ce que furent les événements marquants du conflit, la série 14 – 18 impose sa marque au point de se faire quasi pédagogique. Un must !

Corbeyran & Le Roux – 14-18 tome 5 : Le colosse d’Ebène – Delcourt – 2016 – 14,50 euros

le cas Alain LluchOn sait tous comment cela se passe dans les boîtes de marketing, une mauvaise idée ou l’absence d’idée et vos jours sont comptés. Pour Alain Lluch l’idée était bien là mais pour vanter un produit à base de viande, « las bouletasses », 100% boulettes de viande reconstituées, l’image du révolutionnaire cubain un peu bedonnant, ça ne fonctionne plus et le produit, dont on suppose la qualité irréprochable, si ce n’est qu’il ne contient pas de bœuf mais peut contenir des traces de canidés, rongeurs, poulet, dauphin, mégot, cheval, le tout suivi de trois points de suspensions qui en disent long sur le potentiel insoupçonné de saveurs émanant du produit, ne peut pas être remise en cause. Donc comme dans toute boîte soucieuse de maintenir le cap et d’engraisser ses actionnaires, il faut parfois accepter de lâcher du lest pour que la montgolfière reparte de plus belle vers les hauteurs d’un beau ciel bleu par une douce après-midi d’été, ou, plus terre-à-terre, il faut savoir dégraisser le mammouth. Et en termes de mammouth, notre bon Alain Lluch a de la matière à revendre. Il va donc pouvoir méditer et revoir sa copie. En rentrant chez lui comme chaque soir sa divine Gladys l’attend grands bras ouverts avec leur caniche enrubanné et bien docile. La nouvelle est dure à accepter et rebondir ne va pas être des plus évident dans un contexte économique tendu. Au kebab du coin pourtant, l’homme va s’envoyer un sandwich avec tomate, salade et oignons afin de faire passer la pilule, et là après avoir vomi ses tripes, l’idée lui vient, la viande un brin avariée qu’il vient de déguster et de régurgiter aussitôt serait parfaite dans les raviolis et autres bouletasses de sa boîte. Il demande alors au cuistot du kebab de lui indiquer où trouver cette matière première qui pourrait redorer son blason. Et là bingo, marges regonflées, ventes relancées, notre bon mammouth a vite refait surface et devient même l’idole du patron, qui lui offre coupes de champagne sur coupes de champagnes et, cerise sur le gâteau, de ravissante péripatéticienne pour lui faire la fête ! Mais de rails de coke en verres de Jack Daniels en passant par des déhanchés dont il n’a plus l’habitude, notre bon vieux mammouth plie une jambe avant de s’effondrer sur le sol de sa chambre d’hôtel. Le verdict est terrible : infarctus. Notre bon vieux Alain va-t-il passer l’hiver ?
Mr Kern et Antoine Pinson lâchent du lourd dans cette fable contemporaine à base de graisse dégoulinante, de malbouffe, de zoophilie et triolisme, de management moderne et efficace, de manipulation diverse et variée, de délires éclatés et de tout ce qui fonde notre bonne vieille société de consommation et surtout ses habitudes renouvelées. D’un point de vue formel, l’album fait son poids, avec une couverture tape-à-l’œil et un contenu bariolé où tout y passe ou presque. Avant de s’engager dans la lecture de ce mastodonte dessiné, il faut accepter de mettre ses repères un temps aux vestiaires et vouloir se faire bousculer le ciboulot. Si la ceinture est bien fixée, le délire de nos deux auteurs, d’ailleurs délire ou extrapolation d’un monde en devenir ?, fera mouche et vous renversera. Si ce n’est pas le cas, la lecture de cet opus aura au moins eu le mérite de vous introduire à un univers à part dans lequel nous espérons, vous ne sombrerez jamais…

Mr Kern et Antoine Pinson – Le cas Alain Lluch – Les Requins Marteaux – 2016 – 25 euros   

Terminus 1Julius joue avec le feu. Piqué en de multiples endroits sur le corps par des guêpes d’or alors qu’il voyageait sur la planète Scorbale, le jeune homme a vu son système nerveux subir des modifications profondes dont la plus manifeste est de lui offrir des dons de télépathie. Ce don pourrait pourtant être sa perte. Car dans les parties de cartes qu’il enchaîne pour tenter de rafler l’argent qui lui permettra de survivre, il peut lire dans les pensées de ses compagnons de jeu et miser gros au bon moment. Sauf que parfois le subterfuge est découvert et que dans le milieu du tripot, ça passe plutôt mal. Le voilà donc un de ses soirs qui se renouvellent un peu trop en train de prendre la fuite poursuivi qu’il est par des partenaires un brin floués. Il trouve refuge dans un immeuble habité et force la porte d’un des appartements. Sans le savoir il vient d’échouer dans l’antre d’une ancienne amie, ex-pirate, qui va lui proposer de s’embarquer avec elle dans une chasse au trésor. Le trésor n’étant pas fait d’or mais d’un métal encore plus rare et encore plus courtisé, le palladium que l’on trouve notamment dans les carcasses de vieux vaisseaux spatiaux échoués sur la planète Walden…
Lorsqu’Ankama s’est engagé dans le projet tentaculaire d’adapter l’intégralité des récits de Stefan Wul, romancier un peu oublié qui a connu son heure de gloire dans la deuxième moitié des années 50, nous étions un peu sceptique non pas sur la qualité des albums à venir, mais plutôt sur l’accroche au public. Car l’auteur de Niourk n’est pas à proprement parlé passé à la postérité. Dans les années 50 la science-fiction est peut-être encore plus marginalisée qu’aujourd’hui et la reconnaissance de l’auteur est bien plus tardive et émane de cercles de spécialistes et d’amateurs de SF française. Pourtant à y regarder de plus près l’univers construit pas Stefan Wul est hyper-moderne, notamment dans son intérêt écologique affiché. Terminus 1 n’est pas le roman de Wul le plus abouti de sa carrière. Ecrit en 1959, il se fait assez prévisible dans ses intentions et souffre indéniablement de la comparaison avec ses autres écrits. Si l’on considère ce postulat de départ le travail de Serge Le Tendre et Jean-Michel Ponzio va plutôt dans le bon sens et rend un vrai hommage au maître de la SF. La description de l’univers, le jeu des personnages, leurs mystères attachés se révèlent de vrais moteurs et laissent augurer un deuxième volet plutôt riche en révélations dans un récit d’aventures qui prendra son véritable nom. Le dessin photographique de Ponzio, s’il perd un peu de la poésie du texte par son réalisme, offre par contre ce surcoût d’immersion dans l’univers futuriste posé par Wul. Un diptyque qui devrait prendre une bonne place dans la série en cours !

Le Tendre & Ponzio – Terminus 1 tome 1 : L’homme à la valise – Ankama – 2016 – 13,90 euros

Le Kabbaliste de PragueDans le Prague du début du XVIIème siècle un homme du nom de David Gans prend la parole pour nous conter son histoire, celle qui l’a vu côtoyer le grand rabbin Maharal, et sa petite-fille Eva, par qui le feu devait arriver par l’entremise du Golem. Mais le narrateur revient d’abord au fil de sa propre histoire, celle qui l’a vu devenir le témoin ou le garant de la parole de deux de ses amis qui se promirent un jour d’unir leur fille et leur fils lorsqu’ils seraient en âge de se marier, sauf que les deux enfants n’étaient pas encore ni nés, ni conçus. Ne sachant si cette promesse des deux hommes était juste et bonne, l’homme la garde pour lui, passant son chemin avec les certitudes qui sont les siennes. Quelques mois plus tard pourtant le souhait de ces deux amis devait se vérifier avec les naissances d’Eva et d’Isaïe…
Le scénariste Makyo nous avait déjà livré une adaptation d’un roman de Marek Halter avec Le Vent des Khazars diptyque achevé il y a tout juste trois ans. Il nous revient avec une autre adaptation du romancier à succès dans une lecture fine du Kabbaliste de Prague. Le travail réalisé par le scénariste dans ce premier volet reste plutôt séduisant dans les choix opérés et dans cette volonté de rendre lisible ce roman érudit de Marek Halter. Le contexte de l’Europe du début du XVIIème siècle pas forcément propice à l’épanouissement du peuple juif, reste dépeint avec une grande précision. L’embrasement religieux mais aussi les formidables avancées des sciences restent les témoins d’une Histoire au sein de laquelle Makyo nous dresse le portrait du rabbin Maharal et de sa petite-fille, vus par la lorgnette de David Gans, narrateur de ce récit. Makyo rappelle à juste titre dès la troisième planche que le verbe, sa force de suggestion et de représentation sont les moteurs du récit et il faudra s’en souvenir dans les déroulés à venir. Le dessin très fin de Luca Raimondo permet l’immersion nécessaire au plaisir de lecture. Le dessinateur sait restituer les bons tempos notamment dans les passages portés vers la méditation et l’apaisement où beaucoup de choses se jouent. Un premier volet séduisant qui laisse augurer les tremblements à venir…

Makyo et Raimondo – Le Kabbaliste de Prague T1 – Glénat – 2016 – 14,50 euros

Zizi chauve-sourisSouvenons-nous, le premier volet de Zizi Chauve-souris faisait se rencontrer une petite fille plutôt dynamique à la verve redoutable et une chauve-souris parlante qui décidait de prendre pension dans la chevelure plutôt trapue de sa nouvelle copine. Eh bien si vous voulez tout savoir le retour des aventures des deux amis était attendu depuis la fin de la lecture de la dernière planche du premier tome. Avec toujours autant de pertinence ou d’impertinence la jeune fille poursuit ses aventures et son apprentissage au contact des plus grands. Et les adultes, c’est pas forcément rigolo. Dans ce nouvel opus Zizi, qui par les nuits de pleine lune se transforme en grande fille, va goûter aux joies de la boîte de nuit. Et dans ce qui devait n’être qu’un apprentissage de plus pour sa future vie d’adolescente épanouie, va se transformer en découverte surprenante puisqu’elle fera la rencontre fortuite de sa propre mère en train de danser avec son nouveau petit copain. Et les nouveaux petits copains de sa mère, Zizi les charcute comme il faut. Sur le principe de strips de une ou quatre cases, Lewis Trondheim et Guillaume Bianco tissent le portrait d’une fillette de son temps, curieuse, espiègle, vive de caractère, un brin impertinente, prête à relever de nouveaux défis. Drôles chaque mini-scène délivre son lot d’émotion et ça fonctionne. Bien sûr on en redemande !

Bianco & Trondheim – Zizi chauce-souris T2 – Dupuis – 2016 – 14,50 euros


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