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La BD du jour : Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel

L’alcool possède cette faculté de rendre plus cool c’est en tout cas ce que pense le jeune Jonathan A avant de devenir totalement addict au pernicieux breuvage. Avec Alcoolique le scénariste Jonathan Ames livre un récit choc, d’une sincérité et d’une densité rare, qui prouve la capacité du neuvième art à explorer les sujets les plus sensibles avec suffisamment de force et de détachement. Un détachement qui se lit dans l’humour constant et l’autodérision qui traverse cette œuvre…

Alcoolique

Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel – Monsieur Toussaint Louverture (2015)

Qu’est-ce qui distingue l’homme de couverture à la calvitie prononcée qui porte plutôt bien le costume de son ombre portée à la cambrure sèche qui fricote avec cette bouteille qui pourrait contenir un bon whisky ? Tout… ou presque rien. Tout parce que la lucidité qui le sépare de sa face cachée pourrait paraître abyssale alors qu’il s’agit pourtant du même homme. Un homme somme toute ordinaire, avec ses problèmes, ses égarements et ses espérances. Un homme qui, pourtant, sans se l’admettre vraiment, s’est créé avec le temps une addiction prononcée à l’alcool. Une de ces addictions qui le coupe progressivement de ce brin de lucidité nécessaire pour apprécier les situations et les contextes qui le lient à ses proches, ses amis, ses collègues, et toutes les personnes qu’il côtoie au quotidien. La dépendance emporte avec elle les certitudes, la confiance en soi et altère inexorablement les facultés cognitives de l’homme qui sombrera toujours plus vers une aliénation glissante et pernicieuse avec cette autre face de lui, celle qui présente un homme plutôt avenant, fierté de sa grand-tante Sadie, celle qui le présente comme l’écrivain au succès modeste mais réel qui parvient à capter l’attention et l’approbe de ceux qui l’approche. Raconter sans far son histoire revient pour Jonathan A à débuter une nouvelle introspection. Tout en se livrant, il tente de saisir le pourquoi de ses travers, même si l’exercice a déjà été accompli et qu’il n’a pas forcément accouché de résultats probants. Rien car il est si facile de basculer vers le côté sombre, celui qui fait réveiller l’homme dans une voiture aux côtés d’une mamie naine qui n’a qu’un objectif à l’esprit, forcer le jeune homme à l’honorer, elle qui n’a pas connu l’amour depuis des lustres. Les petits riens du quotidien, ceux qui pourraient passer pour des habitudes, des réconforts anodins conduisent inexorablement dans ce monde parallèle duquel il est si difficile de s’extraire. Lucidité/égarement, les deux extrêmes semblent indissociables à celui qui a plongé un jour, car la barrière qui les sépare reste finalement bien ténue. La vie serait-elle un éternel recommencement ?
La réussite du projet initié par Jonathan Ames réside sans conteste dans cette manière de mettre en scène son héros. Un héros qui pourrait très bien être lui, mais pas tout à fait. L’œuvre est une fiction où presque tout est vrai s’amuse-t-il à dire à ceux qui le questionne sur son personnage. Et nous serions tentés de le croire tant la démonstration de sincérité se veut troublante et empathique. Jonathan A, c’est le nom de son héros, va nous raconter sa longue descente dans les affres de la dépendance. Sans tenter d’excuser ses propres actes et leur portée réelle, mais en contextualisant la vie qui est la sienne, une vie marquée par des difficultés à construire ses histoires d’amour, à se positionner face à ses désirs, à apprécier les situations, à maintenir une essentielle estime de soi, à conserver et renforcer les liens avec les proches, ceux-là même capables de rétablir l’équilibre salvateur et d’attiser la flamme qui se doit de briller en chacun de nous.
S’il fallait retenir une scène symbolique de ce roman graphique parfaitement construit, ce serait celle qui présente Jonathan fuyant les flics qui viennent de le découvrir dans la voiture aux côtés de la vieille édentée. Jonathan entame une course épique sans savoir où il se trouve, sans savoir vers où aller. Au bout d’un moment pourtant il se souvient qu’il est à Asbury Park ce qui lui donne l’idée, pour tenter d’échapper aux agents qui le pourchassent, de trouver refuge sous un ponton où il pourra se recouvrir de sable pour se cacher de leur regard… comme du sien, car Jonathan, dans les moments de lucidité qui suivent ses errements, prend tout de même conscience des situations extrêmes qu’il vient de traverser sans pour autant qu’elles le renforcent dans sa conviction d’y mettre fin.
Superbement écrit, sans pathos ni apitoiement intempestif, sans enjoliver la réalité ou la nuancer, Jonathan Ames livre un récit force qui dénote d’une capacité exceptionnelle à maitriser la construction dramatique. Le dessin de Dean Haspiel parvient quant à lui à relever le défi qu’impose le récit, à savoir crédibiliser l’histoire de ce héros décadent en offrant aux protagonistes présentés dans cette histoire une palette d’expression d’une richesse rare.
Sur la forme l’album est une pure merveille. Couverture rigide mi-carton brut, mi-toilé avec personnage incrusté en relief sur le carton. Soin extrême apporté à l’objet livre par le choix du papier, de la mise en forme, de la typographie. Bref l’éditeur, qui se lance dans le roman graphique en cette rentrée 2015, le fait de plutôt belle manière. Une des lectures essentielles de cette rentrée ! 

Jonathan Ames et Dean Haspiel – Alcoolique – Monsieur Toussaint Louverture – 2015 – 22 euros


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