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La BD du jour : Hans Fallada, vie et mort du buveur de Jakob Hinrichs

On doit à Hans Fallada, avec Seul dans Berlin, l’une des œuvres majeures de la littérature allemande de l’après seconde guerre mondiale, un roman dans lequel il met en scène un couple engagé dans une résistance ô combien risquée au régime nazi. Si l’homme est passé à la postérité, on connait peut-être moins sa vie privée, marquée par de tragiques événements, dès son plus jeune âge, qui l’a vu fréquenter régulièrement asiles et cellules de prison. Jakob Hinrichs nous livre une biographie romancée qui aurait pu être une adaptation littéraire du Buveur, autre roman majeur de la biographie de l’homme de Berlin.

Fallada home
Hans Fallada couv

Hans Fallada, vie et mort du Buveur de Jakob Hinrichs – Denoël Graphic (2015)

Erwin Sommer fait face à son banquier. Le prêt qu’il est venu solliciter et qui s’annonce vital pour la poursuite de son activité de gros a du plomb dans l’aile. A vrai dire les affaires ne sont plus aussi florissantes que dans un proche passé et le contrat qui le liait à la prison locale vient d’être rompu annonçant de mauvais jours à passer. L’échec des affaires d’Erwin Sommer va de pair avec les relations de plus en plus tendues qu’il entretien avec sa femme. Au lieu de tenter de faire face, de raccommoder les bouts de chaussettes, notre homme va se tourner vers l’alcool, une option en signe d’abandon, de rejet de soi qui va le propulser dans cette société de la nuit où il est si difficile de s’extraire une fois happé dans ses griffes…
Jakob Hinrichs nous surprend très agréablement avec ce récit librement adapté de l’œuvre de Hans Fallada. A vrai dire le projet initial proposé par son éditeur se résumait en l’adaptation simple du Buveur, l’une des œuvres majeures de la bibliographie de l’auteur allemand. Mais autant Le Buveur possède une force intrinsèque réelle, autant la mettre en perspective en accentuant sur la transformation rapide de son héros en véritable ivrogne, posait problème à Jakob Hinrichs dans le déroulé narratif de son projet. Le dessinateur a alors entrepris de revisiter la charte de départ en se plongeant dans la lecture du roman, et en le reliant à la biographie de son auteur. Erwin Sommer, le personnage central du Buveur et Hans Fallada se voient ainsi liés dans cette relecture très personnelle. Pour mener à bien son projet Jakob Hinrichs s’est plongé dans la biographie de Fallada, a visité les lieux où il a vécu, lu des correspondances de l’auteur, en d’autres mots s’est plongé dans l’univers Fallada pour comprendre et retranscrire la dépendance de l’homme à l’alcool et à la morphine. Au final cela donne une autre dimension au projet. Comme le dit le dessinateur : J’ai eu à cœur de créer quelque chose de neuf, de raconter une histoire nouvelle à partir d’une matière ancienne. Cette nouvelle matière il la traite avec un patchwork foisonnant et délirant de couleurs. Des mélanges qui donnent tout à la fois un côté expérimental et expressif à son projet. Car dans le jeu des couleurs, du trait épais, du décloisonnement des planches présentées en pleines ou double-pages, le dessinateur nous immerge dans la lente aliénation de son/ses héros. Ceci est particulièrement frappant sur cette double-page dans laquelle Erwin Sommer ouvre son frigidaire à la recherche d’alcool. Le lecteur, en découvrant ce passage, se voit lui-aussi ouvrir ce frigo dégorgeant de victuailles dans lequel il tente d’apercevoir les traces de quelques substances psychoactives. Les va-et-vient entre le Fallada incarcéré et Sommer, pantomime déstructuré par l’alcool, portent le lecteur dans une autre dimension, entre lucidité et dépravation. Ce faisant il nous immisce dans cette Allemagne de bas-fonds, là où pulule tout un pan de déshérités d’une société en manque de repères qui n’hésitera à suivre l’impensable. Au final on ne peut que saluer la construction subtile de ce récit qui donne à voir l’auteur du Buveur et son héros (son double) dans les affres d’une déchéance sans retour.

Jakob Hinrichs – Hans Fallada, vie et mort du buveur – Denoël Graphic – 2015 – 23,90 euros


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