Très actif depuis la reconnaissance obtenue à Angoulême en 2009 (Prix Révélation pour son album Le goût du chlore), Bastien Vivès possède la chance rare de pouvoir développer des projets personnels sans limite éditoriale réelle. Là il égratigne la sacro sainte famille… avec un humour noir souvent dévastateur…
La famille, s’imposait il y a peu encore comme le cadre structurant de l’enfance. On pouvait compter sur le soutien moral et chaleureux d’une mère aimante et sur la protection et l’exemple d’un père modèle de droiture. Et puis notre époque a adapté tout cela. Les modèles ont explosés, à tord ou à raison, et seuls les sociologues pourront nous dire l’impact réel des bouleversements de la société et de ses crises successives sur le modèle familial. Bastien Vivès lui va plus loin, quoique… il extrapole sur des rapports déroutants entre les membres d’une famille pas si banale que ça au sein de laquelle les tensions sont parfois palpables, les questionnements certains et les réponses faites parfois totalement à côté de la plaque. Quelquefois le problème majeur réside dans la non écoute de l’autre, de ses problèmes ou de ses joies éphémères, tantôt dans un total désintérêt du moment présent, parfois encore dans un ras-le-bol général difficilement explicable.
Mais qu’importe, le dessinateur, qui se fait on ne peut plus minimaliste sur ces scénettes – le premier dessin de chaque histoire est reproduit à l’identique (ou quasi) tout au long de l’histoire – base tout sur les dialogues parfois sacrément pimentés. Le récit d’ouverture à lui tout seul pose le cadre de ce livre de poche plutôt épais (190 pages). Nous y découvrons un père et son fils âgé de six/sept ans devisant sur ce qu’est une turlutte… le père, pas dérouté du tout par la question (pas comme dans cette pub sur le lait où l’enfant demande à son père comment on fait les bébés), lui explique le principe de cette pratique sexuelle, avec un luxe de détails, lui parle des pipes que lui prodigue sa femme, donc la mère du petit. Pas refroidi du tout, le père ira jusqu’à proposer à son fils une cigarette puis, plus tard, d’aller boire un demi dehors… Là un père et sa fille discutent sur l’éventualité d’envisager une réduction mammaire qui permettrait à la jeune fille de se sentir mieux dans son corps car sa poitrine la gêne au quotidien (tiens, tiens cela rappelle Les melons de la colère, album explosif du jeune dessinateur réalisé pour la collection BD cul des Marteaux Requins). Le père envoie paître sa fille de façon tout à fait cinglante sans esquisser le moindre geste ou la moindre attention.
Les histoires se succèdent ainsi et l’auteur s’y projette même dans une formidable mise à nue de ses pensées ou peurs de la famille. L’ouvrage n’est pas sans intérêt même si le principe pourra fâcher certains. Au final reste la vision d’un auteur qui fait du dessin le support d’expressivité de ses sentiments, de ces idées, de sa façon de voir la société et le monde qui l’entoure. Sceptiques s’abstenir, curieux foncez !
Bastien Vivès – La famille – Delcourt/Shampooing – 2012 – 9,95 euros