Cayenne n’a rien d’une destination touristique pour ces bagnards ostracisés loin de leurs attaches. Dans un univers marqué par une violence récurrente Patrick Comasson deviendra Paco les mains rouges, un détenu dont le sort aurait très bien pu vite être joué et qui va pourtant esquivés les premiers pièges tendus. Très bel album, tout aussi passionnant que bien réalisé.
Les années trente renfermaient peut-être plus de violence que cette insouciance héritée des années folles. Patrick Comasson, n’est pas un ange même si son visage pourrait le laisser penser. Pourtant il n’a pas non plus le profil de l’emploi. Ancien instituteur, il échappe de peu à la guillotine, qui raccourci encore pas mal de malheureux, pour voir sa peine commuée en perpétuité à Cayenne… La Guyane, ce territoire français implanté en Amérique du Sud, possédait une importance stratégique évidente. Il permettait aussi d’exiler ceux qui représentaient un danger pour la métropole. Patrick Comasson débarque donc à Saint-Laurent-du-Maroni dans un univers où il possède toutes les chances d’alimenter les statistiques officielles sur le taux plutôt lourd de mortalité carcérale. Placés dans un environnement hostile, dans lequel pullulent la malaria et autres maladies exotiques, les bagnards sont astreints, lorsqu’ils n’arrivent pas à entrer au service d’un notable de la ville, à des travaux forcés des plus éreintants. L’espérance de vie, dit-on, ne dépasse guère les cinq années. Pour un homme condamné à perpétuité, les perspectives sont donc bien sombres. Lors de la traversée il est rapidement briefé sur ce qui l’attend sur la terre ferme dans la relation avec les autres détenus. Lui qui arbore une évidente bonne bougne, sera forcément au mieux défié, provoqué, tabassé si la mort ne vient pas le chercher. C’est peut-être pour cette raison qu’il se fait tatouer dans le dos la faucheuse prise dans une course folle. Loin des siens à qui il demande de couper le cordon, arrivera-t-il à échapper à son destin ?
Avec un scénario qui s’attache à présenter le destin d’un homme placé dans un contexte qui le dépasse, Fabien Vehlmann dépeint l’univers des bagnes de Guyane avec riches détails au travers d’un récit romancé particulièrement bien mené. Patrick Camasson représente l’homme pris dans un tourbillon qui le dépasse. Son visage d’ange lui promet à l’évidence de devenir tête de turc des autres pensionnaires, à moins qu’il ne soit préservé pour devenir l’homme de compagnie d’un caïd. Programme pas foncièrement réjouissant. Mais l’homme possède un atout incontestable, son intelligence qui le sauvera de situations parfois fâcheuses. Au travers de son regard la vie au bagne impose sa violence intrinsèque : tension permanente entre bagnards, violence de l’autorité carcérale, espoir d’évasion réduite à néant en raison d’un environnement local plutôt difficile, et cette double peine – les condamnés libérés devaient rester en Guyane un nombre d’années identiques à celui de leur peine avant de prétendre au retour en métropole – qui finissait par achever ceux qui avaient déjoués jusque-là tous les obstacles. Si le tableau est sombre, le récit se voit traversé par quelques lumières qui lui évitent de virer dans une lourdeur qui l’aurait desservi. En quelques traits Eric Sagot arrive à dire beaucoup. Il se fond dans son sujet avec suffisamment d’expressivité pour faire du récit un témoignage saisissant sur Cayenne et ses bagnes mortifères. Une très belle découverte !
Vehlmann/Sagot – Paco les mains rouges – Dargaud – 2013 – 14,99 euros