L’époque dans laquelle nous vivons ne révèle tout son sens qu’à travers ce que nous faisons d’elle. Désillusionnés, Micol et Rachid se perdent dans un quotidien qui pourrait paraître anecdotique si ce n’est mortifère. Les illusions perdues ne retrouveront pas le chemin des esprits égarés, et même l’amour pourrait, cette fois-ci, ne pas ressouder les morceaux…
Dans une Italie contemporaine plongée en plein doute deux destins se croisent, se mêlent, s’en vraiment se retenir ou s’attacher. Elle c’est Micol, jeune femme aux cheveux roux qui, derrière un casque de moto qui se veut voile de façade, cache les échecs de sa jeune existence. Lui c’est Rachid, un jeune homme qui arbore un maillot de foot de la Squadra et essaye tant bien que mal de finir ses fins de mois en acceptant de dealer ou de prendre part à des activités pas forcément licites. Au travers du regard de ces deux égarés, la décrépitude de notre société s’affiche criarde. L’avenir n’affiche pas les perspectives réjouissantes entrevues à d’autres périodes de l’histoire. Pour Micol et Rachid nés durant la crise de la fin du XIXème siècle le présent n’est que souffrance perpétuelle, une de celle qui pourrait finir de désillusionner les plus fervents adorateurs de l’espoir à venir.
Pour gagner sa vie Micol livre des pizzas. Rachid, lui, travaille dans le bâtiment sur des chantiers dont les entrepreneurs ne déclarent pas son activité. La fuite s’affiche comme une des possibilités car même si l’ailleurs ne semble pas forcément meilleur il garde en lui ce doute d’où naissent les éventuels renouveaux.
Avec ce récit qui pourrait paraître hermétique au premier abord, Vasco Bondi et Andea Bruno posent leur regard sur une jeunesse sacrifiée. Les dialogues se veulent rares, parfois volontairement simples pour cacher le sens des sentiments et des humeurs du moment. Le dessin, lui, agit comme un détonateur à tout ce magma retenu depuis trop longtemps. Traits jetés avec vigueur sur le papier dans des mélanges de couleurs – dont le rouge prédomine – qui offrent une vision trouble, brouillée de ce qui se joue, comme si ce qui était affiché à nos yeux scrutateurs devait ne pas se révéler dans la pureté d’un moment, comme si la forme importait peu face au sens. A l’image de ce funambule tout droit sorti d’un film de James Marsh, qui affiche tout à la fois sa liberté et son enfermement, nos anti-héros sont libres de leur destin et pourtant liés à certaines réalités. Dans Comme les traits que laissent les avions il est question de fuite, de départ ou de non-retour. Le dit n’affiche que sa façade à une réflexion qui se nourrit de chaque instant et de toutes ses micro-expériences destructurantes, déboulonnantes, voire aliénantes. Chacun dans sa sphère se doit pourtant de croire aux possibles qui assurent, tant bien que mal, l’illusion qui fait avancer chacun d’entre nous… Pour combien de temps encore ?
Vasco Bondi & Andrea Bruno – Comme les traits que laissent les avions – Rackham – 2013 – 22 euros