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La BD du jour : Trashed de Backderf

Ramasser des poubelles à longueur de journée. Pas vraiment sexy, ni même épanouissant. Placé au dos du mur par sa mère qui n’en peut plus de voir son rejeton se lever à des heures avancées de la journée sans avoir ni rangé sa chambre, ni sorti les poubelles du foyer, J. B n’a pourtant pas le choix. Les souvenirs collectés lors des tournées par Derf Backderf, qui a exercé le valeureux métier d’éboueur, donnent de la matière à cet album atypique. D’autant plus essentiel qu’il aborde un sujet dont la majeure partie de la population américaine se fout ouvertement…

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Trashed de Derf Backderf – çà et là (2015)

Lorsque sa mère l’invite à chercher un job pour qu’il ne reste plus à ne rien faire dans sa chambre d’ado noyée sous un bordel incalculable, J. B, 21 ans ne s’attendait sûrement pas à finir sur le marchepied d’un camion poubelle. Mais les temps sont ce qu’ils sont et pour un premier job, qui servira peut-être à payer de futures études horriblement chères, l’argent glané possède toute sa saveur. Il le fera à la sueur de son front car le métier, il l’apprendra très vite, n’est pas de tout repos. Et ce pour deux raisons essentielles. La première en est le peu de considération portée aux agents d’entretien de la petite bourgade où réside J. B. Pour preuve les gamins du secteur qui s’amusent à balancer des pommes pourries sur les éboueurs de passage, ou encore ces citoyens pas vraiment éco qui jettent tout et n’importe quoi sans se soucier de qui ramassera et comment (les sacs, quoique solides, s’éventrent ou se décomposent dans l’environnement où ils sont placés). La deuxième réside dans les conditions mêmes de l’exercice du travail qui ne sont pas vraiment folichonnes. Qui peut ainsi rêver de passer sa journée en plein été à soulever des containers aux contenus douteux sur lesquels s’agglomèrent un lot incalculable de mouches ? De se voir fouetter le visage par des trombes d’eau au printemps ou encore de soulever des blocs de glace de jus de poubelles gelés en hiver ? J. B nous amènera de lieux de collecte en décharges sur les routes qui ont été les siennes une année durant…
A l’instar de Smoke, film portrait réalisé par Wayne Wang au milieu des années 90, Trashed explore les méandres d’un patelin du fin fond de l’Ohio en offrant, au travers du destin de J.B, une galerie de destins hauts en couleurs savoureux et décalés. La boutique de cigares trouve son pendant dans ce camion compacteur nommée Betty qui amasse les déchets infâmes de la petite bourgade. Et tout le récit va tourner autour de cet espace mobile qui offre une série d’histoires, d’historiettes, d’anecdotes, d’épisodes de vie qui, tout en édifiant les portraits de J.B, de Mike son collègue de marchepied, de Bone, leur chauffeur un brin barré, de Marv le petit vieux zarbi de la fourrière, de Magee, l’adjoint de l’adjoint au responsable du cimetière et futur éboueur en bottes de cow-boy et de tout un lot de personnages hétéroclites parmi la fine fleur du secteur, homophobes et racistes de tous poils inclus, vont dévoiler les côtés les plus sombres de l’American way of life. Le défi de départ pouvait paraître culotté de la part de Derf Backderf qui avait enchanté le public et la critique sur son précédent récit Mon ami Dahmer. Ici, encore une fois, il se met en scène avec néanmoins un parti pris de réaliser une fiction à partir de faits qu’il a vécu alors qu’il travaillait en tant qu’éboueur pour financer ses études de fac à venir. Sur la forme il organise le récit de manière chronologique en quatre chapitres correspondants au quatre saisons, précédés d’un prologue qui pose le contexte historique et d’un épilogue en forme d’alerte. Si l’humour se fait omniprésent tout du long il n’occulte en rien les volets tragiques qui surgissent au fil du récit et notamment les travers de la société de consommation de masse, la vie morne des banlieues et le portrait tragique de cette frange de la population qui ne peut entrevoir les perspectives de jours meilleurs. Cela se voit notamment au travers de ces maisons abandonnées, les banques ayant fait expulser leurs occupants endettés, ou par les boutiques du centre-ville de la bourgade qui ferment les unes après les autres : « Pfff. Quelle déprime que le drugstore ait fermé. C’est vraiment triste de le voir comme ça. C’est comme si toute mon enfance avait été mise au rebut. On dirait un peu que toute la ville est mise à la poubelle, boutique après boutique, maison après maison… » nous dit J. B. et de poursuivre par le troublant : « J’ai lu que des économistes se basent sur les ordures comme indicateur économique. Plus il y en a sur le trottoir, plus l’économie est saine ! » qui sonne comme un semblant d’analyse sociale qui par extrapolation pourrait se poursuivre par un slogan choc : « montre-moi ta poubelle, je te dirais qui tu es ». Au-delà du marasme qui se profile Trashed donne à voir des hommes (et quelques femmes) qui vivotent à la limite mais offrent pourtant des singularités intéressantes. Surprenant donc essentiel.

Derf Backderf – Trashed – çà et là – 2015 – 22 euros


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