Nouveau rendez-vous de la rentrée, La case du Mardi propose de parcourir une œuvre à partir d’une case ou d’une planche qui résume un des points essentiels développés dans un récit. Un moyen de découvrir une œuvre différemment en s’attachant parfois à des détails qui en disent beaucoup…
Soirée d’un faune. Certains d’entre vous feront peut-être le rapprochement avec L’après-midi d’un faune, poème de Stéphane Mallarmé publié en 1876, et ils auront raison. Dans ce texte l’auteur de Brise marine y présente le monologue d’un faune qui, entre rêve et réalité, évoque les nymphes et la nature qui l’entoure, riche et luxuriante. Ce poème possède son histoire à la fois heureuse et malheureuse. Ecrit en 1865, Mallarmé avait placé beaucoup d’espoir dans ce texte qu’il pensait voir représenté au Théâtre-Français. Le refus qu’il essuya ne brisa pas ses espoirs et il faudra donc attendre une dizaine d’année pour voir le texte édité dans une luxueuse édition chez Alphonse Derenne, avec des illustrations d’Edouard Manet. En 1892 le poème se voit offert une mise en musique par le jeune Claude Debussy. Cette œuvre posera les jalons d’une avant-garde musicale et offrira une reconnaissance au musicien à travers toute l’Europe.
Le poème de Mallarmé eu moins de succès de son vivant et il en produira une dernière version en 1887. Ce qu’il faut retenir surtout de L’après-midi d’un faune c’est qu’il lia de façon charnelle plusieurs approches artistiques. Le poème d’une part, les illustrations de Manet dont le frontispice que nous reproduisons plus bas, la musique de Debussy composée entre 1892-1894 d’autre part et sa mise en ballet en 1912 par Vaslav Nijinski. Retrouver Soirée d’un faune en bande dessinée n’est donc qu’une énième réappropriation du texte et un hommage contemporain et sincère à l’œuvre initiale dans une relecture audacieuse.
La case du mardi propose en général une planche ou extrait de planche d’un récit dessiné. Nous ne le ferons pas ici pour une raison simple, Soirée d’un faune de Ruppert & Mulot ne comporte qu’une simple page, sans case, présentant plusieurs scènes inspirées par le texte de Mallarmé. Je vous invite donc à regarder l’en-tête de cet article qui reprend un extrait d’une des scènes du projet. Et pour tout dire ce projet détone en plus d’un point. La simple page est en fait un poster de 132 cm sur 100 cm plié sous la forme d’une carte routière. On y retrouve en dépliant les volets tout un tas de moments pris sur le vif, de personnages singuliers dans des positions et des tenues improbables. Dans le désordre et sans être exhaustif : des danseuses en tutu, une partouze géante, une ambulance chargeant une danseuse, des jeunes hommes et femmes bourrés qui demandent un dernier verre ou une canette de bière, une femme qui doigte un homme pantalon baissé, des cyclistes en pagaille, un orchestre de cordes, des filles vêtues d’une unique culotte, donc, par déduction, sans paletot, des escrimeurs adroits ou pas, des scènes BDSM, des couche-tôt dormant sur de simples chaises, une poubelle pour le recyclage du verre, un hélicoptère (bien sûr), une adepte de l’escalade sur mur intérieur, différents décors de théâtre et bien d’autres encore.
Ruppert & Mulot dépeignent dans ce décorum grandeur nature le moment qui suit l’après-midi du faune, dont l’imaginaire entre réalité et fiction, se nourrit de ses danseurs et danseuses réunit pour un unique spectacle déstructuré. Les plus perspicaces dénombreront 110 danseurs ou danseuses, à l’instar des 110 mesures de l’œuvre symphonique de Debussy et des 110 alexandrins du poème de Mallarmé. Un exercice de style détonnant qui démontre que la bande dessinée peut toujours renouveler ses cadres narratifs et se lier, mais nous le savions déjà, à d’autres approches artistiques.
Florent Ruppert et Jérôme Mulot – Soirée d’un faune – L’Association – 2018
Je vous laisse pour finir un extrait du poème de Mallarmé pour vous inciter à le lire avant ou après avoir trouvé votre route sur la carte routière du faune…
Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l’essaim éternel du désir.
À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte
Une fête s’exalte en la feuillée éteinte :
Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant ses talons ingénus,
Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme.
Je tiens la reine !
Stéphane Mallarmé – L’Après-midi d’un faune – 1876