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La vision de la guerre en BD 9ème volet : Les combats loin de chez nous… (2ème partie)

Après avoir évoqué dans la première partie de ce dossier l’occupation française dans le Sahara durant le premier quart du XXème siècle avec le diptyque de Hugues Labiano, Au quatre coins du monde, nous poursuivons par deux albums exigeants qui explorent la nature de l’homme poussé dans ses derniers retranchements. Dans Paroles de la guerre d’Algérie, Jean-Pierre Guéno a demandé à douze dessinateurs de « plancher » sur la thématique de la torture pour faire resurgir les mots et les maux. En exposant sans far la cruauté des hommes il rend un hommage poignant aux nombreuses victimes collatérales d’un conflit psychologique ô combien dramatique. Clarke scénariste explore lui aussi l’âme humaine au travers de la guerre de Crimée. Mais si le conflit opposant la coalition franco-anglo-ottomane au puissant Empire russe n’est évoqué qu’en surface c’est pour mieux nous pousser à sonder la folie des hommes. Deux récits essentiels…

 

 

Une vaste maison soutenue par de larges arcades avance fièrement vers le port qu’elle domine. Demeure d’un riche marchand ou d’un prélat de la ville ? Qu’importe ! Elle s’impose comme trace de l’histoire. Tout en bas près des bittes d’amarrage règne un calme qui paraît de toute évidence suspect. La rue d’habitude si chargée de vie n’offre plus l’écho du cri des enfants, le bruit des pas forcés sur les galets serrés ou les clameurs des marchands ou pêcheurs qui s’alpaguent à qui mieux-mieux pour attirer les femmes passant devant leurs étals. Une brouette abandonnée sur la droite de l’image confirme nos préoccupations. Le mutisme s’empare des lieux et nous questionne. Quel maléfice a envahi la ville jusque dans ses ruelles sombres ou ses venelles reculées ? Personne ne se montre aux fenêtres ou aux balcons. Personne pour témoigner ou nous livrer l’explication de cette angoissante situation. Les deux bateaux que l’on aperçoit ont depuis longtemps baissés leurs voiles. Le temps semble figé et avec lui l’âme des habitants qui peuplent la ville. Et pourtant tout n’est pas immobilité. Le mouvement nait de la mort au travers de ces larges sillons de fumée noire qui embrasent le ciel depuis les quartiers surplombants le port en arrière-plan. Le message annonciateur du pire nous apparait maintenant criard. La ville assassinée n’est que l’ombre d’elle-même. Vidée de sa vie, de son sang, elle devient ce pantin désarticulé avec lequel ses propres enfants jouent jusque tard dans la nuit.

Ville algérienne d’après-guerre. Ville traversée par la folie des hommes, celle d’une armée sans guide prête à répandre la peur pour contrôler le légitime désir d’un peuple à disposer de lui-même ; celle de rebelles qui terrorisent les siens pour éviter qu’ils ne pactisent avec l’ennemi, cet occupant trop peu respectueux des coutumes, des mœurs et de l’histoire d’un pays tombé dans un Empire colonial qui s’effrite. Alors, dans cet entre-deux, les hommes et les femmes du peuple, ceux qui n’ont rien ou peu demandé se trouvent happés dans une spirale de violence qui ne sert que les desseins de l’immédiateté et appauvri l’espoir d’un eurythmique avenir entre les peuples. Rien n’y fera.

Jean-Pierre Guéno a rassemblé des textes d’archives, celles notamment de Science-Po, qui témoignent de la violence d’une guerre sans nom. Civils meurtris dans leur chair qui transmettent leur douleur par des mots par trop insoutenables, militaires affligés et ne voulant pas être associés aux atrocités perpétrées au nom de la conservation de l’empire colonial français. Ces lettres forment la colonne vertébrale à partir de laquelle douze dessinateurs ont composé leurs scenarii. Parler de l’un ou de l’autre serait déstructurer son propos. Cet album forme un tout. Il n’est pas la composante de témoignages assemblés mais bel et bien un témoignage entier, sincère et fidèle des évènements trop longtemps cachés dans les mémoires ou oubliés pour essayer de réapprendre à vivre. Un ouvrage choc, qui mérite une lecture attentive pour transmettre et construire les armes d’une opposition à la dénaturation d’un monde qui se liquéfie mais que chacun de nous peu encore parvenir à changer.

Collectif sous la direction de Jean-Pierre Guéno – Paroles de la guerre d’Algérie – Soleil – 2012 – 19, 99 euros.

 

Peu d’entre nous connaissent aujourd’hui la guerre de Crimée, ce conflit qui opposa, de 1853 à 1856, le grand Empire russe à une coalition constituée du Royaume-Uni, de l’Empire français et de l’Empire ottoman. A la base de ce conflit, les idées expansionnistes russes qui devaient menacer le contrôle de la Méditerranée. Car se sont bien les détroits du Bosphore et des Dardanelles qui auraient pu basculer et de fait compromettre par ricochets le commerce franco-anglais vers les Indes. Les Anglais aidés des Français de Napoléon III décident donc de préparer une attaque ciblée sur Sebastopol afin de couper court aux desseins de Nicolas Ier. Le récit des Amazones se place en 1854. La guerre a donc débuté depuis quelques mois et la tension devient palpable. A Balaklava, port contrôlé par les anglais, débarque un jeune officier britannique dont la mission sera de patrouiller sur un périmètre d’environ deux cents kilomètres carrés au sud de Sebastopol… Il s’agit d’assurer le futur débarquement de nos troupes…Si l’on veut que le siège de la ville réussisse, la région doit être nettoyée de toute faction ennemie… La mission au dire de l’Etat-major ne semble pas insurmontable car les terres à couvrir sont simplement occupées par des paysans peu armés. Le jeune officier va toutefois prendre sa tâche à cœur faisant montre d’une rigueur et d’une exigence peu commune envers ses troupes. Il va pourtant se heurter à quelque chose qu’il n’avait pas envisagé : la présence d’amazones Koumanes dans la région. Des guerrières émérites possédant un sang-froid exceptionnel et un sens du combat sans égal. L’officier anglais sera capturé. Il essaiera de survivre à cet enfermement en gardant sa rudesse et son flegme…

Clarke nous surprend encore avec ce récit a priori sans réel volume. Le scénario simple, cache en effet bien plus qu’il ne laisse paraitre. Car beaucoup se joue dans les non-dits, les silences pesants, les regards et les situations parfois complexes issues d’incompréhensions mutuelles, de luttes de pouvoir, de trahisons… Le jeune officier anglais, clef du récit se verra plongé dans une lente mais certaine aliénation construite et accrue par la perte de ses repères. Prisonnier des redoutables Koumanes il enfantera l’adjointe des amazones pour survivre et essayer de faire basculer la donne. Mais le chemin vers la surface pourrait être bien plus ardu qu’il n’y parait. Le dessin de Borecki va à l’essentiel sans surcharge ni virtuosité mais avec un talent certain de suggestion et à vrai dire on n’en demandait pas plus. Jouant sur les rythmes, Les Amazones offrent une surprenante virée non pas vers un conflit des hommes mais bel est bien vers leur folie. A noté pour l’anecdote que la guerre de Crimée fut mise en bande dessinée par le précurseur Gustave Doré en 1854, comme si une boucle se refermait avec ce diptyque dont les volumes paraissent de façon concomitante.  

Clarke/Borecki – Les Amazones T1 & 2 – Treize Etrange – 2012 – 13, 90 euros l’un.


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