Parfois, en cherchant une BD dans nos étagères il nous arrive de mettre la main sur un récit que l’on avait un peu oublié mais qui nous avait procuré pas mal de plaisir à sa lecture. Parfois encore on retrouve par accident, chez un soldeur, sur un marché ou ailleurs, un récit rare ou méconnu d’un auteur que l’on apprécie et la curiosité nous pousse à l’acheter. Le coin des vieilles feuilles, votre nouveau rendez-vous du lundi mettra en avant ce type de récit. Avec pas mal de surprises à la clé !
Il est des récits marquants sur la guerre d’Espagne, qui peuvent se rapprocher d’autres témoignages sur d’autres conflits situés ailleurs et à des époques différentes. La dramaturgie qui naît de la présentation de faits réels documentés, la vision d’un auteur pour en retranscrire l’horreur et les conséquences immédiates, à moyen et long termes suffisent à nous faire prendre conscience de ce que fut l’époque dans laquelle les événements se sont déroulés. La guerre d’Espagne possède un côté tragique incontestable dû à la division en deux de sa population et au nombre de victimes civiles sans commune mesure avec aucune autre guerre civile dans l’histoire contemporaine occidentale.
Le drame vient aussi, et surtout, de cette atteinte à un gouvernement élu, celui de Manuel Azaña, sans qu’il opposât un soutien de rigueur des autres gouvernements européens élus, France et Angleterre en tête. Pire, l’Allemagne d’un certain Hitler et l’Italie de Mussolini devaient porter main forte à celui qui devait répandre le sang, tout comme l’église oubliait étrangement que soutenir la violence et les assassinats n’était pas très chrétien ni même très humain. Le conflit se développa donc sur les ruines d’un espoir qui ne pouvait défier le temps, car trop dérangeant. Un espoir de transformation en profondeur d’une Espagne ankylosée dans des principes, des pratiques et l’idée d’un asservissement des plus faibles au bon vouloir de grands propriétaires terriens. Le conflit dura trois ans. Sur plusieurs fronts luttèrent des Républicains soutenus par des hommes et des femmes, ni soldats, ni mercenaires venus des quatre coins du globe. Cela ne fut pas suffisant pour enrailler la machine de guerre du caudillo.
Si la Catalogne, les Asturies et d’autres foyers de résistances luttèrent jusqu’au début du printemps 1939, Madrid fut symboliquement l’une des places fortes de la résistance aux rebelles. Une de celles sur laquelle les yeux de la planète tout entière furent rivés. Symbole d’un pays, d’un message fort construit et nourrit au travers du No pasaran gravé sur des banderoles accrochées dans ses rues, d’une espérance avivée par l’arrivée de soldats des brigades internationales, et par le sens du sacrifice d’un peuple qui ne céda jamais au chant des sirènes d’un général surpris de la résistance offerte par des hommes armés de bric et de broc.
Carlos Gimenez ne vécu pas la guerre d’Espagne. Né en 1941, deux après la fin des conflits, son œuvre reste pourtant marquée par le déchirement et les souffrances qu’ils devaient engendrer. D’abord car, comme pour toute une génération, le dessinateur a grandi dans l’Espagne franquiste, celle qui devait le priver de libertés élémentaires. Ensuite en raison de ce désir profond de raconter les souffrances du peuple là où d’autres insistaient sur les opérations et mouvements militaires : « je voulais raconter la guerre de la même façon que j’avais raconté l’après-guerre, vécue par le peuple, sans dates précises ou nom de généraux. Je voulais raconter la guerre du point de vue de ceux qui l’ont subie, ceux qui recevaient les bombes et ont connu la terreur, la faim, l’angoisse et la misère. Je voulais raconter la guerre en minuscules – si tant est que l’on puisse écrire le mot Guerre en minuscules -, la guerre du quotidien, celle des coulisses, celle de ceux dont on ne parle pas dans les journaux, ni dans les manuels d’histoire » (interview de Carlos Gimenez dans le dossier de fin d’album). Il place ainsi sa caméra dans le foyer d’une famille comme une autre et offre Madrid au regard d’enfants qui découvrent le côté sombre que peut réserver la vie dans ses moments les plus abjects. Se faisant le dessinateur désacralise ce conflit, lui ôte ce volet romantique qui lui est parfois accordé, pour n’en garder que la réalité de ceux qui l’ont vécu de l’intérieur au travers de la peur des bombes, de la faim, des privations et de l’absence de perspectives. Un ouvrage majeur de la guerre d’Espagne, tous médiums confondus.
Carlos Gimenez – Les Temps mauvais – Fluide glacial – 2013