Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !
Le nom de Richard Thompson ne parle pas forcément à tous au-delà des Etats-Unis. Il faut dire que la carrière de ce dessinateur subtil s’est surtout développée dans l’illustration avec des collaborations régulières au Washington Post, Au New Yorker, à l’US News & World et quelques autres encore. Son talent est pourtant vite reconnu au point que la National Cartoonists Society lui consacre deux prix majeurs en 1996, celui de la Meilleure illustration publiée dans un magazine et un livre et celui de la Meilleure illustration publiée dans un journal. En 2004 il lance un comic strip qui traversera les frontières, Cul-de-sac, dont un recueil voit le jour aux Etats-Unis en 2008 et arrive en France deux ans plus tard.
Il y dépeint la vie d’une famille standard américaine nichée dans une banlieue coincée entre un périphérique polluant et la ville. L’histoire est racontée par Alice Otterloop une petite fille de quatre ans qui possède pas mal de répartie et un talent pour l’observation des mœurs des adultes qu’elle rencontre tous les jours. Avec Cul-de-sac Richard Thompson mettait en lumière la vie d’une famille moyenne américaine, avec un humour fin et un regard sur la société très pertinent. Si l’édition française publiée chez Delcourt au format « à la française » permettait de découvrir l’auteur, il faut saluer l’effort éditorial des éditions Urban Comics qui proposent en 2016 et 2017 deux intégrales de plus de 350 pages au format original « à l’italienne » qui nous permet une immersion immédiate dans le récit de la petite Alice et de sa famille. Richard Thompson aura influencé pas mal d’auteurs outre-Atlantique par ce mariage subtil d’un trait épuré et lisible et l’exigence d’un dessin qui parle au plus grand nombre. L’auteur, atteint de la maladie de Parkinson stoppe sa carrière prématurément avant de nous quitter à l’été 2016. Avec Tout l’art de Richard Thompson Urban comics rend un émouvant hommage à celui qui était considéré comme l’égal d’un Bill Watterson, en tout cas son digne héritier.
L’ouvrage monographique plutôt épais revient sur l’ensemble de la carrière du dessinateur avec la part belle laissée à l’illustration qui permet au lecteur français de découvrir l’immense talent de cet auteur. Divisé en chapitres qui reprennent les intérêts divers de l’auteur (Illustration, caricatures, comics trip avec Cul-de-sac), le livre se rapproche au plus près de Richard Thompson en proposant des séries d’interviews qui révèlent sa manière de travailler, d’envisager son art et en offrant des textes magnifiques de Richard Thompson himself comme celui sur l’utilisation des plumes (Ma nouvelle plume favorite). On retient de toute cette matière un auteur qui n’était pas friand des mises en avant, modeste dans sa manière de vivre, il excellait dans la mise en forme des univers qu’il dépeignait avec tendresse, une certaine forme de nostalgie, un humour constant et un œil avisé, subtil et jamais moqueur. Un artiste trop tôt disparu…
Collectif – Tout l’art de Richard Thompson – Urban Comics – 2018
Rappelons-nous. Dans les deux premiers volets de Dept H une jeune femme du nom de Mia se proposait de mener l’enquête sur la mort mystérieuse de son père, le professeur Hardy, assassiné dans une station sous-marine qu’il avait monté de toutes pièces avec un groupe de scientifiques. Dans un contexte anxiogène au possible, les réminiscences d’un passé pas si lointain venaient bousculer la jeune femme. D’autant plus que les preuves du meurtre sont évidentes et que cela signifie, par ricochets, que le coupable se trouve parmi les habitants de la station, tous proches du professeur et de Mia. La station sabotée par l’un d’eux prend l’eau de toutes part et oblige Mia et l’ensemble du personnel de la station a trouver refuge ailleurs. Un ailleurs qui ne peut être la surface car, au-dessus des eaux, la vie sur Terre est devenue chaotique en raison de la propagation partout sur le globe d’un virus mortel qui cueille plus d’un million de personnes par jour. Une hécatombe qui ne semble pas près de s’arrêter.
Mia se remémore, comme elle le fait depuis son arrivée dans la station, le passé qui la lie à chacun des protagonistes qui l’entourent. Un passé qui livre peu à peu ses clefs et vient percuter un présent qui se fait de plus en plus lourd à porter. Dans ce volet de la série, le troisième sur les quatre prévus, nous en savons un peu plus sur Lily, la petite fille devenue amoureuse du Professeur, avec qui, pour ces raisons, Mia se détachera. Nous découvrons un peu plus du passé et du rôle de Jérôme, le directeur des recherches, qui va dans un geste ultime sauver la petite équipée et peut-être l’humanité par ses travaux sur le vaccin au terrible virus qui sévit sur Terre. Nous continuons aussi à découvrir le passé de Mia et ses relations compliquées avec un père trop souvent absent et le rôle de Roger, l’ami le plus proche du professeur. Nous découvrons aussi que les profondeurs sous-marines cachent des mastodontes des mers particulièrement voraces rendant la vie dans les eaux pas forcément plus envieuse que sur la terre ferme…
Ce récit épais de plus de 600 planches (auxquels s’ajoutent des bonus en fin de chaque volet) parvient à tenir le lecteur en haleine par le mélange subtil d’éléments du passé de Mia et un présent à rebondissement dans lequel il devient difficile de défaire les nœuds. L’angoisse palpable tout du long est maintenue par les transitions aux différents chapitres qui offrent des pauses par des pleines ou double-planches plus calmes ou qui penchent vers l’onirisme. La mise en couleurs subtile joue un rôle crucial dans l’ambiance de ce récit des profondeurs dont la fin, à tous les niveaux, nous réserve bien des surprises !
Matt et Sharlène Kindt – Dept H tome 3 – Futuropolis – 2018
Elma a été élevée par un ours qui est pour elle comme son papa. Elle en a appris le langage, le mode de vie et les manies. Alors qu’elle entre dans sa septième année, un loup s’approche un soir du feu autour duquel la fillette dort avec son père adoptif pour rappeler à son ami le devoir qui lui incombe de ramener Elma vers un lieu lointain où elle doit se rendre. Un voyage épique que l’ours se résout à effectuer mais dont il cache la vraie nature à Elma…
Dans ce récit dédié à la jeunesse de tout juste 40 pages, Ingrid Chabbert au scénario livre une copie séduisante autour du destin d’une jeune fille qui possède les clefs pour sauver le monde des eaux. Car Elma n’est pas une enfant ordinaire. Elle est la fille de Frigga la mage du royaume qui l’a confiée, comme le veut la tradition, à la forêt durant sept années. Sept années d’apprentissage qui pourraient permettre à Elma d’accomplir le rôle qui lui est dévolu. Sur le chemin qui doit mener son père ours et elle-même au-delà des montagnes, Elma va se trouver confrontée à pas mal de dangers et surtout à un véritable déluge qui commence à s’abattre sur les terres comme le laissait supposer la vieille histoire qui traverse le royaume.
Au dessin Léa Mazé qui a déjà livré un second album séduisant lors de cette rentrée littéraire de septembre 2018 (voir notre présentation ici) reste sur un même niveau d’exigence. Ici le cadre enchanteur de la forêt est renforcé par des couleurs plutôt vives qui vont, au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire perdre de leur éclat jusqu’à l’arrivée des premières pluies. La douceur qui se dégage de la relation père/fille et l’inquiétude qui gagne l’ours qui connait la fin inéluctable font mouche et nous donnent incontestablement l’envie de connaitre le dénouement de cette belle histoire !
Ingrid Chabbert et Léa Mazé – Elma une vie d’ours – Dargaud – 2018