Un peu partout en France un tueur en série fait son office, méthodique, redoutable. Il sera pris en chasse par un inspecteur désenchanté. Le pitch de départ ne peut pas revendiquer la palme de l’originalité, pourtant le récit pose son ambiance par des pages de respiration venue de l’outre-pacifique, par son obsession tortueuse, sa capacité à créer le malaise. Sans sombrer dans la sinistrose graphique, Sylvain Escallon, pour un premier récit, prouve sa capacité à dominer les contraintes pour livrer un album qui a hautement gagné sa sélection dans Le Grand Prix des lecteurs 2014 !
Article publié la première fois le 17 novembre 2013
Les faits divers égrènent parfois les quotidiens pas toujours flamboyants. Ils viennent ajouter leur lot de noirceur dans une société qui ne fait que peu de cadeaux à ceux qui vivent à la limite, ces personnes « ordinaires » qui deviennent, dans les rouages de l’économie de marché, de simples pions interchangeables et assurément pas destinés à venir titiller les lumières réservées à un public plus huppé, plus « in » et aussi bien plus réduit. Exemple de cette sinistrose ambiante Piquier, licencié et laissé à l’abandon. Personne n’a pu le prendre en charge lorsqu’il en avait le plus besoin. Ce schéma sociétal chacun de nous le connait. Des hommes et des femmes viennent soudainement augmenter les chiffres des laissés pour compte sans que l’on ne puisse rien y faire. A la rigueur cela pourrait nous rassurer : la faucheuse sociale emporte avec elle celui qui, juste à côté de nous, semblait encore il y a peu pouvoir passer l’hiver. Mais il n’en est rien. Et cela diffère pour un laps de temps le moment fatidique où nous serons nous-même emportés. Piquier a connu une vie sociale presque normale jusqu’au moment de la grande bascule. Pour sa plongée dans les abysses de la dépression il a décidé qu’il ne partirait pas seul. Alors il tue comme d’autres se noient dans l’alcool, dans la spirale suicidaire ou la négation identitaire. Ses victimes semblent ne pas posséder de liens entre elles ce qui complique d’autant la tâche de l’inspecteur Kowalski qui le traque à gauche et à droite au grès de ses déplacements. Piquier tue sans logique ou avec sa propre logique. Il respecte par contre un rituel morbide, celui de couper un doigt à ses victimes. Sorte de trophée précieusement conservé. Kowalski tâtonne. Il trouve néanmoins des indices qui vont former une piste devenue sérieuse qui le ramène à Piquier dont il ignore encore l’identité. Lorsqu’il se rapproche enfin du tueur, l’inspecteur découvre à son grand désarroi que celui-ci est mort il y a tout juste un an… Pourtant il en est persuadé… Les zombies n’existent pas !
En adaptant le roman d’Emanuel Dadoun publié chez Sarbacane il y a trois ans maintenant, Sylvain Escallon nous livre un récit sombre qui puise dans l’ambiance des meilleurs polars ou thrillers. Ses personnages et notamment l’inspecteur Kowalski semblent un brin désenchantés. La vie de flic lui a-t-elle ôté toute envie et toute passion pour la vie, pour le plaisir de l’instant ? Sûrement. Etre flic n’est pas foncièrement épanouissant surtout dans cette société qui perd ses repères au point d’accoucher de monstres insaisissables. Sylvain Escallon surprend par sa maturité graphique (il n’a que 23 ans), son aisance dans le découpage, dans la manière d’amener son récit en préservant les zones d’ombres, en offrant aussi et surtout cette ambiance glauque accentuée par un noir et blanc fort à propos. Un récit à découvrir tout autant que son auteur !
Sylvain Escallon – Les zombies n’existent pas – Sarbacane – 2013 – 22 euros
Interview de Sylvain Escallon réalisé en juin 2014
Peux-tu présenter ton parcours avant ce premier album ?
J’ai passé un bac Littéraire en 2008, étudié deux ans à L’IPESAA de Montpellier et enchaîné directement sur ce projet d’adaptation. J’ai travaillé en parallèle sur des affiches et diverses illustrations et je dessine depuis l’âge de tenir un crayon.
Quelles sont tes influences en BD ou ailleurs ?
Il y en a un paquet. En BD les premières lectures sont, dans le désordre, Comes, Bilal, Boucq, Tardi, Schuiten, Breccia, Munoz, Frank Miller puis plus récemment des auteurs comme Manu Larcenet, Chauzy, Brüno. Les travaux de Sempé ou Claude Ponti et des peintres de l’époque comme Friedrich, Mucha ou Hopper sont aussi des sources d’ « inspiration graphique ».
Quand et pourquoi as-tu eu l’idée d’adapter le roman Lazarus d’Emanuel Dadoun ?
A la fin de mes études, les éditions Sarbacane m’ont proposé la lecture de ce roman dans l’optique de l’adapter en Bd, l’idée et l’histoire m’ont plu, j’ai donc accepté. Après un long travail, deux ans plus tard, l’album est sorti en librairie.
Peux-tu nous en tracer la trame en quelques mots ?
En quelques mots, il s’agit de la longue poursuite d’un mystérieux serial killer par un flic dépressif, qui, pour trouver l’issue de l’enquête va être amené au beau milieu de l’incroyable.
Peux-tu nous dire comment tu as concrètement abordé ton travail, étape par étape ?
J’ai d’abord lu le roman, deux ou trois fois. J’ai entamé les recherches graphiques, puis une relecture pour extraire la trame essentielle, le squelette de l’histoire. J’ai récupéré le système narratif alterné du roman puis composé des séquences adaptées au format BD, en respectant au mieux la tension générale du roman. Ensuite, d’après ces séquences écrites, j’essaie des découpages puis termine mon story-board, tout ça sur des cahiers. Après, j’approfondis un peu le dessin global puis vient le moment de finaliser mes planches…
L’adaptation en BD d’une œuvre littéraire n’est pas la plus simple. Il faut tout à la fois être respectueux des intentions de l’auteur tout en apportant sa touche à cette nouvelle œuvre en construction. Quelles ont été pour toi les plus grandes difficultés que tu as rencontrées dans ton travail ?
La narration alternée utilisée dans le roman était assez difficile à reprendre en BD. Jongler à ce point entre les différentes scènes et personnages fut amusant mais éprouvant. Il était dur aussi de devoir faire certains choix ou raccourcis sur certains passages, même si ce n’était pas dans mon optique de retranscrire chaque détail du roman dans la BD.
Les Zombies n’existent pas est un roman noir, très noir que tu as décliné justement en noir et blanc, sous un ciel souvent pluvieux, en présentant des personnages principaux et secondaires souvent désenchantés. N’y avait-il pas le risque de sombrer dans une sinistrose graphique ?
Effectivement, l’histoire se déroule dans un décor bien sombre, et avec une telle trame, difficile de s’en défaire… Pour ne pas dériver dans la « sinistrose graphique », il valait donc mieux ne pas faire l’impasse sur les rares moments de répit que vivent les personnages. Au final, c’est le peut-être risque de tout auteur du genre de s’égarer dans cette abondance de morosité, au point de devenir une caractéristique même du roman noir.
La partie qui se joue au Mexique laisse se développer un climat chamanique et mystérieux. Es-tu familiarisé avec ces pratiques ? et pour toi cette partie est-elle le « contrepoids » ou « une voie » nécessaire de ce qui se joue au fil du récit ?
J’apprécie l’aspect mystérieux et secret des pratiques chamaniques, qui contrastent avec l’idée qu’on peut se faire d’un Mexique chaleureux, où tout se passerait à l’extérieur et à cœur ouvert. Le fait d’amener la trame jusque là-bas met fin à l’aspect rationnel de l’enquête du policier et ouvre une porte derrière laquelle beaucoup de choses deviennent possibles.
Serial killer, violent, mystérieux, cruel, tortueux, machiavélique, minéral, morbide, sanglant, vicieux, noir et effrayant. Tels sont les mots qui se juxtaposent sur le quatrième de couverture. Résument-ils pour toi Les zombies n’existent pas ou ne sont-ils pas réducteur ?
Ils résument bien les actes : on est dans un polar bien saignant, mais ils peuvent être réducteurs dans le sens ou on découvre que c’est une passion affective qui régit ces actes. Ces mots font moins place à l’aspect intérieur et « dérive dans l’inconnu » des personnages.
Que retiens-tu de ton travail sur ce projet ?
Une grosse expérience et un travail de longue haleine dont je tire pas mal de leçons (narratives et graphiques) ainsi qu’un réel plaisir à chaque étape. Et plein de petites choses qui resurgissent sans que je m’y attende sur mes nouveaux projets.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Je suis sur un deuxième projet en N&B d’adaptation BD, encore chez Sarbacane, qui devrait paraître l’an prochain. J’ai commencé l’élaboration d’un scénario BD (pour plus tard) et je travaille également sur beaucoup de projets d’illustrations.