Voici une autre sélection BD du MaXoE Festival avec de très beaux albums dans la catégorie BD Européenne !
Difficile d’isoler tel ou tel album de bande dessinée, tant la production est riche et de qualité. Pour ce nouvel exercice, le choix s’est porté vers des récits forts en émotions qui, de l’enfance à l’âge adulte accompagnent chacun dans sa construction (ou déconstruction). Un choix que nous assumons et qui aurait pu accueillir tout un tas d’autres références !
Des montagnes enneigées sur lesquelles crapahutent quelques hommes armés. D’anciennes infrastructures géantes, des villes désertées, en partie en ruines laissent planer le doute sur ce qu’il a pu advenir. Dans Inexistences, Christophe Bec, livre un récit très personnel dans lequel il donne à voir sa vision d’un futur. Le nôtre ? Un autre ? S’il dépeint un monde à l’agonie, que l’on pourrait voir comme une projection de notre vingt-et-unième siècle à la dérive, les indices s’arrêtent pourtant là.
Christophe Bec – Inexistences – Soleil
Il ne se passe pas souvent grand-chose à Belle River, petite bourgade nichée près de Lakeshore, dans le comté d’Essex. Sauf peut-être une fois l’an, lorsque des éphémères, insectes volants fragiles à la durée de vie brève, viennent mourir et tapissent le sol et les trottoirs en différents points de la ville. Par une chaude soirée d’été trois adolescents sillonnent Belle River avec l’idée d’aller acheter des glaces à la superette du coin. Lorsqu’ils parviennent à proximité du parking de l’officine ils découvrent que l’accès y est conditionné à la traversée d’un parterre d’éphémères morts particulièrement repoussant. L’un des trois gamins n’a pas d’argent sur lui et se voit proposé par les deux autres de traverser le parking pour acheter les glaces, ce qui payera sa contribution… Mais tout ne se passera pas comme prévu…
Jeff Lemire – Les éphémères – Futuropolis
La Quête onirique de Kadath l’inconnue de Lovecraft a été adaptée deux fois en bande dessinée avant que Florentino Florez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon ne se décident à y apporter leur propre vision. On y découvre un héros récurrent, Randolph Carter, qui tente par tous les moyens de rejoindre la cité merveilleuse du soleil couchant qu’il a aperçu trois fois en rêve avant de se réveiller. Pour parvenir à ses fins le jeune homme fera fi des dangers, déambulant sans fin dans un monde peuplé de créatures étranges et particulièrement voraces…
Pour éviter de créer une rupture trop forte entre le monde du réel et celui des rêves les auteurs ont opté par un clin d’œil astucieux au Little Nemo in Slumberland qui adoucit les transitions. Une adaptation qui s’imposera vite comme indispensable.
Florentino Florez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon – Kadath, l’inconnue – Black River
Futur lointain. La galaxie abrite 670 milliards d’hommes et de femmes répartis sur une multitude de planètes, chacune avec des rites et des croyances propres entretenus depuis des temps immémoriaux. Il y a tout juste 200 ans, quatre divinités sont apparues, composant un quadriumvirat d’une puissance inégalée qui a asservi les peuples en gommant les anciens cultes, devenus impies. Si des guerres ont éclaté, ici ou là, il semble aujourd’hui que la puissance du « Grand Quatuor » ne soit pas, ou peu, remise en cause. Et pourtant… il est parfois difficile de tout contrôler.
Sylvain Runberg et Grun nous livrent un récit SF jubilatoire qui conjugue les grands espaces propices à la révélation d’un riche univers, l’humour au travers d’un trio de héros typés et complémentaires, ainsi qu’un thème de fond, celui des religions, appréhendé sous différents angles d’approches, de la résurgence des cultes et de l’adoration, à l’imposition sanglante d’un polythéisme étatisé. Flamboyant et détaillé, le dessin de Grun se fait remarquable sur un récit développé tambour battant.
Sylvain Runberg et Grun – Space Relic Hunters – Daniel Maghen
Dans un futur proche un dispositif du type metavers permet à ceux qui le souhaitent de déambuler une vingtaine d’années plus tard. Simple jeu pour certains, Chloé utilise cette simulation pour découvrir ce que réservent les années à venir pour le lieu où elle réside. Une nuit alors qu’elle s’immerge dans le metavers Chloé rencontre un gars un brin décalé, en short moulant et marcel rouge. Il s’appelle Tim, et les deux destinées vont bientôt se trouver liées par un amour naissant, que les différences qui distinguent chacun d’eux ne parviendront pas à rendre totalement impossible…
Le trop rare Sacha Goerg livre ici un récit inscrit dans l’air du temps, qui développe une réflexion sur le devenir proche de nos sociétés occidentales face aux crises climatiques. Il y livre aussi, entre autres et pour ne pas être exhaustif, sa vision des IA, des tensions sociales, qui ouvrent des failles insurmontables pour le vivre-ensemble. Ce faisant Sacha Goerg dépasse la simple histoire de flirt pour nous inviter à (re)penser notre monde et la trajectoire que nous lui donnons…
Sacha Goerg – L’Archipel – Gallimard BD
L’apocalypse vient tout juste de survenir, laissant le monde dans un no man’s land sinistre et effrayant duquel émerge pourtant encore quelques têtes. La violence s’est très vite imposée comme le nouveau mode de (sur)vie, sur des terres arides et infertiles, laissant les survivants face à des contingences qui se résument souvent à peu de choses : trouver à manger. Et si possible débusquer un lieu où dormir sans le risque de tomber sur de mauvaises fréquentations. Dans ce cadre sans espoirs certains décident de partir plus tôt que les autres, pendus à la croisée des chemins, sur des grues, des arbres, ou des poutres de grange. Comment parler de futur quand le présent occupe toutes les pensées, chassant peu à peu le passé et ses souvenirs d’un autre temps ? Laissant les images de mort gangréner, tel un cancer, le présent décharné ? Comment croire encore à un avenir lorsque tout ou presque a disparu ? Dans un roman poignant, qui donne la chair de poule à chaque page, composé avec une poésie et une dramaturgie sans égales, Cormarc McCarthy sculpte la trajectoire d’un père et de son fils. Adapter ce texte, fait de nuances si fragiles, à peine esquissées, et si ténues entre un père et son fils, tout en dépeignant un monde désolé fait de ruines et d’absence de perspective – les cendres officiant à recouvrir tout jusqu’à absorber les couleurs -, relevait de l’exercice de style non sans risque. Manu Larcenet s’y livre (à plus d’un titre) dans une adaptation qui fera date.
Manu Larcenet – La Route – Dargaud
Après deux volets (Opération Copperhead et Le detection club) de sa trilogie anglaise, Jean Harambat nous revient avec, cerise sur le gâteau, un Shakespeare en toile de fond. Une histoire de pièce perdue, jamais publiée du maitre anglais, qui fera l’objet d’une recherche épique dans l’arrière-pays british. Le tout en rendant hommage à un autre dramaturge de la même époque, espagnol lui, Cervantes. Comme à l’accoutumée, le peps narratif qui caractérise les travaux d’Harambat, un humour de chaque instant, qui se permet, aussi, de réflexions notamment sur la place des femmes dans le théâtre et le Londres du dix-huitième siècle. Savoureux !
Jean Harambat – La pièce manquante – Dargaud
Steve Cuzor nous avez scotché au sol avec le très fort Cinq branches de coton noir, succès public et critique, avec Yves Sente au scénario, dans lequel il revisitait un moment particulier de le seconde guerre mondiale. Avec Le combat d’Henry Fleming il remonte le temps pour s’intéresser cette fois à la guerre de Sécession, tout aussi tragique. Cette fois seul aux commandes, il prend appui sur une œuvre phare de la littérature américaine : The Red Badge of Courage de Stephen Crane, paru en 1895, et traduite en français seize ans plus tard sous le titre La Conquête du courage : épisode de la guerre de Sécession (Mercure de France). Au travers du parcours d’un héros ordinaire confronté aux ravages d’une guerre dont les qualificatifs ne suffisent pas à dimensionner toute l’horreur, le trait de Cuzor, sert le récit. Dans une charge humaine et sensible sur la guerre et les ravages directs et indirects qu’elle provoque.
Steve Cuzor – Le combat d’Henry Fleming – Dupuis
Il s’était d’abord attaqué à deux œuvres fondatrices du roman horrifique, Dracula et Frankenstein. Georges Bess nous revient cette fois en posant ses caryons sur le roman phare de Victor Hugo, Notre Dame de Paris. Dans un noir et blanc qu’il maîtrise à merveille, il sait, mettre en lumière toutes les aspérités du texte, ces moments où l’expressivité des mots de Hugo égratigne le pouvoir, la justice ou la peine de mort, qu’il développera par ailleurs, et où le dessin de Bess pousse et renforce les intentions du texte. Il le fait en conservant cette touche qui le singularise, aux portes de fantastique et du gothique, faisant de Notre-Dame, monument condamné à disparaître, un personnage à part entière. Somptueux et indispensable.
Georges Bess – Notre-Dame de Paris – Glénat
La légende dit que lorsque les nuages apparaissent au-dessus de la montagne que l’on nomme Dent du chat, c’est que les ogres préparent un nouveau festin et que celui-ci se compose d’ingrédients très particuliers. La jeune Blanchette vit avec d’autres enfants à portée de vue de ce massif naturel. Un jour elle se fait capturer par un dénommé Grince-Matin, marchand encapuchonné, qui vend les enfants aux plus offrants, et notamment les ogres. Blanchette va-t-elle parvenir à déjouer le sombre destin qui lui semble réservé ? Dans un conte pour ado-adulte qui se teinte de passages parfois durs, Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae parviennent à leurs fins, faire vivre se petit monde en pleine agitation gastronomique qu’est celui des ogres. Le dessin riche de détail explose de couleurs dans une ambiance refermée sur un monde que Blanchette devra apprendre à domestiquer…
Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae – La cuisine des ogres – Rue de Sèvres