Adapter Moorcock pourrait relever de l’étude clinique. Il faut suffisamment de déraison pour vouloir se plonger dans un univers foisonnant, complexe et à la portée symbolique forte. Quatre frenchies ont pourtant proposés leur version de Melniboné et pour tout dire, c’est plutôt une belle réussite !

Dans un monde sombre et sans pitié dans lequel la ruse compte au moins autant que la force et la capacité à mener les hommes vers une mort ou une victoire certaine, le fondement du pouvoir reposent sur une équation à établir aussi simple que complexe dans laquelle le pouvoir, la puissance et la reconnaissance par les peuples avides de terres nouvelles à coloniser – assurant des subsides confortables – restent des éléments forces incontournables. A ce petit jeu-là Melniboné a conquis ses lettres de noblesse faisant du royaume une puissance incontestable et incontestée. Mais dans la dynastie des monarques conquérants Elric ne possède par le palmarès le plus ronflant. Pas que le monarque souffre d’un manque d’ambition, mais l’albinos, malade, a laissé depuis les débuts de son règne le goût du sang à d’autres pour se pencher vers une voie plus sage qui rompt avec les anciens temps. Yyrkoon, le cousin d’Elric ne reconnait pas dans ce règne la marque du passé glorieux de la cité et  jalouse suffisamment le pouvoir pour tenter un jour de le prendre à la moindre marque de faiblesse. Cette voie sage a incité certains peuples guerriers à tenter leur chance pour affaiblir la porte d’ivoire et d’obsidienne de l’île aux dragons qui protège Melniboné. Yyrkoon sent son heure arriver lorsque sont capturés des espions ennemis qui révéleront, lors d’un interrogatoire en bonne et due forme mené par le docteur Jest, que leurs guerriers approchent au plus près du royaume préservé. La guerre parait inévitable et dans cet acte longtemps évité par Elric, Yyrkoon voit plus qu’une opportunité, la possibilité de prendre enfin le pouvoir…

Adapter Michael Moorcock n’est pas mince affaire. Beaucoup s’y sont cassées les dents pour ne pas dire qu’ils y ont sombrés. L’univers protéiforme de Melniboné regorge de détails qui font naître chez le lecteur des images lors de sa lecture et essayer, même pour des auteurs talentueux, de donner à voir nos rêves n’est pas chose aisée. Cette version déroge pourtant à la fameuse règle qui veut que les adaptations d’univers héroïc fantasy déçoivent. Michaël Moorcock le premier s’est enthousiasmé pour ce que cette version offre, par le visuel et le fond, une véritable prolongation de ses propres intentions. L’univers dépeint s’inscrit donc dans la veine du propos de son créateur et le dépasse même, gage de qualité. Pour arriver à leurs fins il fallait que notre équipe de quatre baroudeurs des planches, Julien Blondel au scénario, Robin Brecht, Didier Poli et Jean Bastide pour la partie dessin et couleur, s’empreignent de l’œuvre et n’hésite pas à offrir graphiquement ce mélange de décadence, de rancœur exacerbée et de réflexion sur le rapport au temps qui peut s’imposer comme lénifiant au point d’endormir ses plus farouches guerriers, pour arriver à nous convaincre. Et c’est chose faite. Le scénario sans jamais être envahissant de dialogues nous plonge dans ce monde en mutation. Les planches explosent littéralement avec un sens de la lumière, des cadrages (plans en plongée ou contre-plongée) qui dimensionnent l’univers et cette faculté à révéler les intentions cachées des personnages. Abouti scénaristiquement et graphiquement, cette version marquera le neuvième art si les auteurs arrivent à poursuivre avec la même exigence, ce que nous souhaitons pour notre plus égoïste plaisir !

Blondel, Brecht, Poli et Bastide – Elric – Le trône de rubis – Glénat – 2013 – 14,95 euros