En dépeignant de façon documentée le régime des Khmers rouges, Tian propose un album coup de poing avec au moins autant d’intensité qu’un film comme La Déchirure ou d’implication que le documentaire de Roshane Saidnattar, L’Important c’est de rester vivant. Il décortique pour nous le destin d’hommes et de femmes qui, suite au départ américain du pays, ont dû composer avec la mise en place d’un régime niant l’individu au profit d’un idéal pouvant séduire mais qui se révèle difficilement défendable par ces actes…

Song, le jeune homme à la bicyclette chargé de la répartition des familles dans les villages de rééducation a placé celles de Khim et Vithya dans le village de Roneam. Réunis dans la cour du camp dans lequel ils sont faits prisonniers, ils devront entendre le discours bien éculé selon lequel il faut laisser de côté les vieux préceptes pour en épouser les nouveaux. Nous n’avons plus besoin de la technologie des occidentaux pour avancer ! Ni de leurs diplômes ! Désormais la campagne sera notre école ! La terre notre papier ! La charrue notre stylo ! Nous écrirons ainsi notre histoire en labourant ! C’est ainsi que les exécutions sommaires se multiplient, qu’un système de surveillance rapprochée se met en place avec l’utilisation d’enfants comme espions (chhlops), que les humiliations deviennent quotidiennes et l’endoctrinement de force un nouveau système de relation sociale. En d’autres mots le nouveau régime souhaite gommer l’individu pour créer un groupe uni derrière les nouvelles valeurs édictées en dogmes. En essayant de survivre dans ce camp où la mort rôde sans arrêt, Khim, Lina et les autres, dont Chan le nouveau-né, prendront des risques calculés mais bien réels pour améliorer leur quotidien. Pourtant, dans cette antichambre sordide, l’espoir de vivre des jours meilleurs semblent pure utopie…

Le premier volet de l’année du Lièvre s’orientait autour de la fuite de Phnom Penh occupée par les Khmers rouges à partir d’avril 1975. On y suivait la famille de Khim et Lina dans leurs prises de risques pour essayer de rallier un secteur du pays supposé moins touché par la déferlante rouge. Avec ce second volet Tian pose un regard plus acerbe sur le régime Khmer en décrivant de façon très documentée le destin d’hommes et de femmes qui ont tout déjà perdu et qui ne semblent pourtant qu’au début de leurs souffrances. L’auteur y expose la violence extrême qui se niche dans la vie quotidienne, la recherche et l’élimination systématique des élites de l’ancien régime (des cadres en passant par les intellectuels, les étudiants, les médecins, ingénieurs…) qui pourraient, par leur savoir, contester l’Angkar ou influer sur une population voulu docile et maniable à volonté. L’étau se resserre ainsi dans un huis clos qui devient vite oppressant pour les différents protagonistes. Il faut savoir jouer de ruses pour essayer d’améliorer un quotidien marqué par de dures journées de travail seulement récompensées par un bol de potage de riz. Il faut aussi ravaler son savoir ou sa fierté pour faire profil bas et éviter de mettre en cause les préceptes d’Angkar martelés via des haut-parleurs criant les nouveaux engagements et orientations du pays. Cela donne des scènes cocasses comme celle ou des hommes expliquent qu’il est interdit d’utiliser des mots tirés d’une langue étrangère alors qu’ils découvrent le faire eux-mêmes sans le savoir. Les ouvertures de chapitre reprennent en recto quelques-unes des règles d’or ou citations tirées du nouveau régime Khmer, tandis que les versos exposent des données historiques, géographiques ou facilitant la compréhension de l’organisation des camps de travaux, ainsi que les astuces pour éviter de sombrer. Le récit en devient ainsi plus palpable pour le lecteur. Tian offre là un second volet tout aussi convaincant que le premier en proposant un regard poignant sur le Cambodge encore aux mains de Norodom Sihanouk avant qu’il ne se radicalise sous l’influence de Pol Pot. A suivre dans un troisième et dernier volet qui devrait encore nous réserver bien des surprises.

Tian – L’année du Lièvre tome 2 – Gallimard BD – 2013 – 17,25 euros

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L’année du lièvre – 2.Ne vous inquiétez pas from Matthieu Labbé on Vimeo.