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Instantané de Cannes : Le tour de force cinématographique de Nelyubov

Après l’aperçu dans notre précédent Instantané de Cannes d’hier, retour sur notre deuxième jour à Cannes : je cours dans les couloirs du palais rejoindre mon binôme cinéma. Un garde du corps me repousse d’un doigt contre un mur. Il faut laisser passer l’équipe d’un film. Je n’ai pas la moindre idée de qui sont ces personnes, mais à leur allure faussement grandiose et confiante, je suspecte un film en compétition officielle. Peu importe. 

Une heure plus tard, nous décidons d’aller voir le film Nelyubov, de Andrey Zvyagintsev qui est projeté dans la salle du soixantième. Cette fois-ci, la salle est pleine, puis je me fais la reflexion que les acteurs que j’ai croisé et qui se rendaient en conférence de presse sont sans doute l’équipe du film que je m’apprête à voir. 

Nelyubov est un pur produit russe, austère et glacial, qui vous prend littéralement comme témoin oculaire de la Russie contemporaine déshumanisée. Le film n’est jamais sensationnel ni violent, mais c’est la simplicité de l’histoire qui vient vous choquer. Ecoutez donc ça :

Un couple divorce. De leur mariage, il ne reste que la haine et le mépris. Chacun a refait sa vie. Lui avec une fille plus jeune, elle avec un type plus riche. Situation assez banale. Le problème, c’est qu’ils ont un enfant. Il a dix ans, il est plutôt sympa mais aucun des deux parents n’arrivent à le supporter. Chacun essaye de donner la garde à l’autre. Lui n’en veut pas, il a déjà mis enceinte sa nouvelle copine, ça ferait tache. Elle n’en veut pas, elle aurait préféré avorter et préfère instagramer ses plats au restaurant que de s’occuper d’un môme. En entendant la conversation, l’enfant fugue et ne reviens jamais. Les parents ne sont pas inquiets de la disparition, mais simplement énervés qu’ils doivent perdre leur temps à le chercher.

A aucun moment le film n’essaye de juger les deux protagonistes. Ce qui est particulièrement intelligent, c’est que le réalisateur, à travers ses personnages, envoie directement un missile rempli de dégoût et d’amertume sur la Russie d’aujourd’hui. Il nous présente deux individus totalement égocentriques et déshumanisés, et pourtant terriblement banaux. A aucun moment le film n’est violent visuellement mais la charge psychologique à porter pour le spectateur est intense. La mise en scène est là pour accentuer cette sensation. Les banlieues chics de Moscou ressemblent soudain à des zones industrielles sous un ciel gris où ne règne que vent glacial et morosité. Pas de lumière, pas de couleurs, pas de bonheur. Uniquement un homme et une femme qui se comportent comme des robots à la recherche d’un fantasme matérialiste qu’ils n’atteindront jamais. 

En abordant le sujet assez tabou de la haine de son propre enfant, le réalisateur ne présente donc pas son film comme un simple psychodrame sociétal, mais plutôt comme une attaque personnelle contre sa propre patrie et une critique extrêmement dure de la société russe. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le film ne joue en aucun cas sur la corde dramatique, la violence et les larmes.

Non, vous n’arriverez même pas à détester les personnages. Devant tant de froideur, vous aussi, en tant que spectateur, vous vous faites aussi littéralement vider de vos émotions. Vous pouvez lire la critique de Julie qui a attribué au film une appréciation de 9/10 et même une Sélection Best of MaXoE !

Suite à ce tour de force cinématographique, je décide de marcher un peu pour m’aérer. Je me retrouve par hasard devant le studio de la télévision Cannoise. Encore eux ! Ces acteurs qui m’avaient bousculé avant le film, et qui jouent brillamment le rôle des horribles parents. Justement, ils sortent, voyons voir s’ils sont plus humains dans la vraie vie. Lorsqu’ils passent, un journaliste glisse à l’actrice : « Miss, I just saw the movie, you were incredible, bravo !« . Elle tourne légèrement la tête tout en marchant à cadence rapide et regarde le journaliste d’un air glaçant : « Spasiba » dit-elle tout en esquissant un sourire sensuel…


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