Une superbe jeune femme assise à califourchon sur son cheval prend une pause près d’une mare ou d’un lac. Tête légèrement inclinée elle regarde son reflet dans l’eau. Ses habits, la manière dont elle tient les rênes, sa prestance font immédiatement penser à une jeune femme issue de la noblesse. Son reflet interroge pourtant.
S’il se voit troublé par les vagues qu’occasionne l’entrée du cheval dans l’eau, il se fait suffisamment net pour que l’on aperçoive l’image d’une guerrière en armure tenant une lance dans sa main droite. Cet élément, outre le fait qu’il interroge, place la scène dans une époque qui pourrait être le milieu du moyen-âge. Notre regard en plongée, légèrement distant, niché sur la branche d’un arbre aux nœuds étirés et sinueux, nous immisce dans la scène et nous offre d’autres éléments intéressants offerts par les arbrisseaux qui poussent en bordure de l’étendue d’eau, dont les formes, les couleurs font référence à une fantasmagorie médiévale, proche de l’enluminure. Le destin de cette femme seule, dans un paysage sauvage pose inévitablement des questions. Que fait-elle isolée au cœur de ce qui semble être une forêt qui abrite au moyen-âge, tout un lot de brigands de chemins ? Pourquoi la femme, qui dégage une forme de douceur et de retenue, voit son reflet guerrier lui faire face ? Aurait-elle un combat à mener ? La dynamique de la scène laisse supposer un récit complexe ou tout du moins qui interroge et qui pourrait se révéler d’une construction graphique singulière. Alors tournons la couverture !
Tilda, la jeune femme que l’on aperçoit sur la couverture, est l’héritière d’un vieux roi qui vient tout juste de décéder. Les temps ne sont pas très favorables au peuple qui vit dans une misère de tous les instants, ponctionné qu’il est par des seigneurs peu scrupuleux. Tilda souhaiterait réformer pas mal de choses dans le règne qui l’attend. Sauf que son frère cadet ne l’entend pas ainsi. Il fomente, avec l’aide de pas mal de seigneurs hostiles à l’idée de prêter allégeance à une femme, qui plus est se questionnant sur l’exercice du pouvoir, une prise du pouvoir à son compte, conduisant Tilda à prendre la fuite, loin de son royaume. Elle sera accompagnée dans son exil par deux fidèles, Tankred et Bertil. Aux premiers déboires répond ce passage dans une sorte de phalanstère avant l’heure, construit en coeur de forêt, au sein duquel une communauté de femmes vit isolée du monde, en autarcie presque parfaite. Dans ce lieu propice à la réflexion et à l’étude des textes parcheminés, un récit légendaire, L’âge d’or, réapparait par fragment et pourrait changer l’ordre du monde et redistribuer les cartes. Sur la forme Cyril Pedrosa laisse exploser son talent dans une proposition qui flirte avec les grandes scènes de tapisserie médiévales et modernes. Rien n’est surfait, tout est maitrise, dans l’expressivité, dans les jeux de regards, les postures ou les hésitations. Le rythme, qui pourrait paraitre lent, trouve un écho dans la dynamique des scènes, dans ce calme où finalement pas mal de choses se jouent jusqu’à l’inversion de la courbe des évidences et la réappropriation des espoirs déçus.
Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil – L’âge d’or – Dupuis – 2018