Un club de boxe thaïlandaise à Bangkok. Deux frères, Julian (Ryan Gosling) et Billy (Tom Burke). Qui le dirigent. Ou plutôt s’en servent comme d’une couverture à leur trafic de drogue. L’aîné – Billy – annonce à son frère qu’il part « faire un tour en Enfer ». Autrement dit, et toujours selon ses propres mots : « baiser une fille de quatorze ans ».
Finalement, la fille en aura seize et se fera violer avant de terminer sa vie dans un bain de sang, massacrée par ce charmant gentleman. Qui reste prostré à côté du corps tandis que des policiers débarquent dans la chambre, accompagnés du père de la victime. Instrumentalisé par l’un des officiers – qui semble se considérer et être considéré comme un Dieu de la Vengeance (Vithaya Pansringarm) – l’homme est laissé seul face au bourreau de sa fille afin de le massacrer à son tour.
Billy mort, l’impitoyable mère des deux frères (Kristin Scott Thomas) demande à son autre fils de lui rapporter la tête de ceux qui ont causé la perte du fils préféré, notamment de ce Dieu faisant justice comme bon lui semble avec son sabre. La vendetta s’orchestre dans les bas-fonds de Bangkok…
Ce film sera rouge ou ne sera pas
Vengeance et violence sont les maîtres mots d’Only God Forgives. Et plus généralement de son réalisateur – Nicolas Winding Refn – qui n’en est pas à son premier essai sur le sujet. Mais pour le coup, ça n’est pas forcément le scénario qui prime ici. Un meurtre. Puis la Loi du Talion. Les êtres humains y redeviennent des bêtes agissant selon leur instinct. La trame est posée de manière tout à fait basique.
Non, ici le cinéaste a fait le choix de la mise en scène. C’est sur le terrain des visuels qu’il se positionne afin de provoquer les émotions chez le spectateur. Plus que de simples visuels, il serait plus juste de parler de fresques. Ou de tableaux. Avec l’ultra-violence en figure centrale. Il y a un jeu impressionnant sur les couleurs et les ombres. Avec un rouge qui supplante tout. Décliné plus ou moins intensément, mais quasiment toujours présent. L’entrebâillement d’une porte. La lumière tamisée d’une chambre. Le labyrinthe à l’intérieur duquel évolue Julian. Dont on ne sait d’ailleurs pas s’il s’agit de la réalité ou d’un moment onirique. Du club de boxe ou du subconscient du personnage.
D’autres ambiances viennent tempérer cela, mais elles sont beaucoup moins présentes. Des nuances de bleu à l’instar de Drive (où, pour le coup, il s’agissait de la couleur dominante). Et quelques verts et orangés pour rappeler l’environnement de la Thaïlande. Et plus généralement l’environnement asiatique auquel le réalisateur fait également référence via des karaokés et autres scènes plutôt (voire très) kitsch dans leur décors.
Beaucoup de clair-obscur aussi. Des visages à moitié dans l’ombre. Des parties du corps rendues invisibles. Des contre-jours. Une multitude de contre-jours même, et avec une importante utilisation de la pénombre aussi. Bref, une vraie recherche dans l’esthétisme. Qui se rapproche plus d’une certaine théâtralité que de scènes de cinéma.
Un exercice de style
Soyons clair, ce film sort totalement de la norme. Il propose une tout autre vision du 7ème Art à laquelle on adhère ou l’on n’adhère pas. Et il est tout a fait possible d’entendre le fait que certains assimilent cet exercice à de la masturbation intellectuelle à la Lars Von Trier ou David Lynch.
Déjà, il ne faut surtout pas vous fier à ce que vous avez pu voir avec Drive. Car si une certaine empreinte demeure, ces deux films sont totalement étrangers l’un à l’autre. Dans le précédent, le scénario était plutôt bien ficelé, avec un rythme assez soutenu. Dans Only God Forgives, le scénario est simplifié à l’extrême et le rythme est relativement lent. Très lent même. Il ne faut donc pas non plus se fier à la bande-annonce du film qui ne retranscrit en rien son rythme général. Même les scènes que l’on pourrait qualifier « d’action » sont dans cet esprit.
Et ceci sert l’ambiance générale du film. Qui est très pesante. Sur une heure trente, il y a en tout et pour tout un quart d’heure de dialogues. Le silence tient donc un rôle énorme. Et il est éloquent. C’est lui qui véhicule les émotions. En plus de ça, les acteurs sont dans une sobriété extrême. Il n’y a pas de fioritures, pas de caricature. Pour ce qui est de Ryan Gosling, le jeu est même quasi-inexpressif. Ici, cela témoigne l’impuissance autant physique que psychologique de cet homme, totalement dominé par une mère castratrice. Dans ce rôle, Kristin Scott Thomas. Qui excelle en femme dominatrice et émasculatrice. Elle est perverse, incestueuse, impitoyable. Quant à notre Dieu de la Vengeance – Vithaya Pansringarm – il est d’une impassibilité qui glace le sang. Surtout lorsqu’il exerce sa « justice » au sabre. Comme s’il était dénué de toute humanité.
La musique joue, dans ce film, un rôle également très important. Voire indispensable. La bande-originale est présente quasiment en continu sur les différents tableaux. Elle sature. Elle oppresse. Elle exalte la violence. Additionnée au travail fait sur les couleurs, au rythme très lent du film, au jeu extrêmement particulier des comédiens et aux scènes d’ultra-violence, le malaise est permanent.
Ce film fait mal. Sa violence touche directement le spectateur. Et en même temps, il est somptueux. La succession de fresques est d’une beauté à couper le souffle. Il se regarde comme une oeuvre d’art. Une oeuvre d’art dont le but est de mener à la catharsis.