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La BD du jour : Le monde à tes pieds de Nadar (La Boîte à bulles)

Nadar propose une vision saisissante de l’Espagna contemporaine en partant du parcours de trois personnages qui ont dû faire des choix de vie, se mettre en danger et accepter de faire partie de cette génération sacrifiée…

L’Espagne a souffert tout au long du dernier quart du vingtième siècle d’un après Franco difficile à digérer. Au milieu des années 70 les libertés semblent retrouvées et l’économie offre un micro-miracle dans l’espace européen, grâce notamment au développement d’un modèle touristique qui, s’il permet de créer une bulle de prospérité, dénature aussi durablement les côtes cariées d’hôtels bétonnés qui égratignent le regard.

Ce semblant de réussite économique et sociale vacille au début des années 90 avec la montée soudaine d’un taux de chômage qui ne va cesser de croitre pour atteindre les 25% de la population active. Sacrifiée sur l’autel du capitalisme sauvage qui n’a pas spécialement besoin d’accompagner les uns et les autres dans une spirale de réussite, une génération de jeunes gens brillants va dès lors souffrir durablement d’une situation que n’avaient pas connue leurs parents quelques années plus tôt. C’est cette situation, présentée au travers du regard de trois être meurtris, qu’analyse Nadar dans Le Monde à tes pieds. Carlos a obtenu son diplôme d’ingénieur quelques années plus tôt mais n’est jamais parvenu à trouver un boulot stable dans sa branche. Vendeur dans une boutique de vêtements bon marché, il se voit proposé un job d’ingénieur en Estonie. Partira-t-il alors que sa vie s’est ancrée dans cette Espagne qui ne lui a pas fait que des cadeaux ? David souffre d’un chômage qui le ronge depuis plus de quatre ans. Vivant chez ses parents il accumule les entretiens qui se soldent tous par des réponses négatives. A la faveur de sa lecture des petites annonces, le jeune homme va devenir gigolo pour une femme mûre en plein divorce qui possède un solide compte en banque. Sara elle se fait trop humaine pour réussir dans le job de démarcheuse téléphonique. Là où elle doit pressurer le client potentiel, elle tente de comprendre leur situation. Dans une boîte qui a pour habitude de se délester de ses mauvais éléments, sa situation devient difficile à gérer…

Nadar possède cette faculté à faire vivre ses personnages. Avec un sens du détail, il scrute leur mal être et expose leur détresse et leur ressenti face aux événements qui les frappent. Si la fragilité de chaque situation est décortiquée dans les moindres détails, elle tient surtout compte des « dégâts » collatéraux engendrés. Jeux de regard, doutes, détresse se lisent sur les visages des trois héros, tandis que leurs proches affichent un air au mieux compatissant au pire dédaigneux. Le déclassement social, sujet central du récit reste d’actualité dans une Espagne qui n’a pas su s’adapter à la transition économique. Un déclassement pas uniquement dû à la crise, comme le souligne Philippe Lemistre dans la postface de l’album, mais aussi, et dans une mesure difficilement appréciable, par une reproduction sociale qui offre plus de chances de réussite, à diplôme équivalent, aux jeunes issus de familles installées qu’à ceux des couches populaires. Si les personnages sont poussés dans leurs limites, ils possèdent aussi cette faculté de ne pas tout accepter, quitte à se mettre en danger. L’espérance n’a donc pas encore totalement quitté le navire même si les voies d’eau fragilisent un ensemble qui a du mal à avancer vers l’horizon. Un résultat d’une densité remarquable accentué par le choix du format à l’italienne qui permet de décomposer les scènes en mettant en avant toute leur dramaturgie.

Nadar – Le Monde à tes pieds – La Boîte à bulles


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