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La BD du jour : Natures Mortes de Zidrou et Oriol chez Dargaud

Un peintre, qui a du mal à se séparer de ses œuvres, habité par le souvenir d’une femme qu’il a aimé. D’étranges disparitions d’objets, de personnes, de morts, un inspecteur pas des plus affables. Un mythe entretenu bien après la disparition du peintre et qui trouble jusqu’à un ami proche lui aussi peintre habité par son souvenir depuis des décennies. Des ingrédients qui font mouche pour ce nouveau récit signé Zidrou…

Dans son vaste atelier Joaquim Mir, un peintre d’un âge certain peint une femme dénudée. Les premiers traits tracés, il demande à la jeune femme de se rhabiller. Le modèle s’étonne alors de devoir écourter la séance programmée pour durer trois heures. Le peintre avoue alors à la femme ne pas avoir le cœur à peindre car, dans son esprit, le fantôme de l’un de ses amis disparus, est trop présent. L’ami en question était lui aussi peintre, Vidal Balaguer, un artiste infiniment doué, peut-être le plus prometteur de sa génération mais qui n’a laissé aucune trace dans l’histoire. Le vieil homme se propose de conter à son modèle une histoire datée de près de quarante ans, pour lui faire comprendre quelle était l’agitation d’une époque révolue qui débuta au cabaret Les quatre Gats qu’il fréquentait avec Balaguer et au sein duquel il y exposait avec lui et d’autres des peintures destinées à être vendues. Sauf que pour Vidal Balaguer il était difficile de se séparer de ses tableaux, d’autant plus quand il s’agissait de « La jeune femme au manton (châle) » qui représentait sa muse assise en train de lire. S’esquisse alors le portrait ému d’un personnage atypique, un brin asocial qui a marqué son époque et les souvenirs de Mir…

Zidrou prouve s’il le fallait encore qu’il est l’un des scénaristes les plus essentiels du moment, capable de nous happer dans les griffes de son récit et de nous faire voyager loin vers des ailleurs impalpables qu’il révèle patiemment. Avec Natures Mortes il s’attache au destin d’un peintre maudit qui voit disparaitre tout ce qu’il peint. Ce sont d’abord des oranges puis une morte, un arbre, un canari qui se volatilisent mais avant tout cela il y avait Mar, la femme qu’il a aimé et avec laquelle il se projetait dans l’avenir. C’est d’ailleurs la disparition de la jeune femme et la recherche menée par un inspecteur très « présent » qui révèle peu à peu à Vidal la malédiction dont il est atteint jusqu’à en jouer pour échapper à son destin et se perdre dans une folie destructrice. Le scénariste pose en substance la question du rapport de l’artiste à son œuvre, dans une sorte de mise en abyme subtile proposé par Oriol dans ses représentations du modèle. Le ton de cet album est donné dès le départ avec cette couverture qui rappelle au toucher la toile d’un peintre et sur laquelle est représentée Mar, dans le tableau que le peintre ne peut se résoudre à vendre et qui, si on s’y attache de près, révèle une lecture chez le modèle pas si anodine que ça, Crimes et châtiments de Dostoïevski…

Une œuvre qui dépeint elle aussi la vie d’un jeune homme en plein questionnements. Dans cet ordre d’idée, le héros, Vidal, se trouve pris dans un étau et une sorte de malédiction qu’il va apprendre à domestiquer pour l’utiliser dans un geste artistique ultime. Le travail graphique d’Oriol est proprement phénoménal dans cette façon de restituer une époque par ses courants artistiques mais aussi par l’immersion qu’il propose dans cette Barcelone bouillonnante au travers de multiples cases a priori anodines qui dimensionnent une époque, celle qui voit les travaux de la Sagrada Familia débuter, celle qui voit aussi s’élever l’Arc de Triomphe construit en 1888 par l’architecte Josep Vilaseca i Casanovas pour servir d’entrée à l’exposition universelle. Le dessinateur ajoute à cela ce qui type et identifie la Barcelone que l’on connait encore, celle du quartier gothique, des cabarets bariolés, des pensions aux carrelages à motifs géométriques, des ramblas qui traversent la ville. Pour aller plus loin, par jeu et pour ne pas se prendre trop au sérieux Zidrou et Oriol construisent sur deux pages, en fin d’album, la biographie de Vidal Balaguer, peintre oublié des hommes. Ils vont même, par l’intermédiaire de leur éditeur, jusqu’à créer une page Wikipédia (habilement baptisée Zidroupédia) de l’artiste dans lequel le scénariste délivre la fiche qu’il a construite, excessivement détaillée, pour réaliser son récit. Une lecture complémentaire à l’album avec pas mal de clins d’œil ! Au final Natures Mortes se veut un récit dramatique traversé par une quête existentielle, un amour perdu et la description d’un cadre d’une richesse rarement vue ailleurs. Un récit d’une puissance étonnante. 

Zidrou/Oriol – Natures Mortes – Dargaud – 2017 – 14,99 euros


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