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Fable nordique, Inlandsis de Betbeder & Frichet

Récit d’une grande force émotionnelle composé comme une polyphonie envoûtante et suggestive, Inlandis nous narre l’histoire des Dieux déchus qui quittèrent les abysses de l’océan pour explorer le monde sauvage de la surface de la Terre. Construit comme un conte contemporain ce récit fait de violence et d’espoir, de peurs et d’amour possède cette touche qui le singularise et dénote d’intentions maitrisées de leurs auteurs…

 

Nous ne saurons peut-être jamais avec certitude qui, parmi les hommes, fut le premier à conquérir le pôle Nord, ce point mythique si envié qu’il en excita une convoitise malsaine sujette à des polémiques qui alimentèrent, au début du XXème siècle, les communautés scientifiques adeptes de l’exploration totale de notre globe. Inlandsis suit les traces du capitaine Peary, cet américain qui fut à l’origine de la polémique. Nous sommes au printemps 1909, sur l’île d’Ellesmère. L’explorateur profite d’un temps clément pour organiser ses troupes. Au même moment Mauss, un membre de son équipage lance un traineau à vive allure sur la banquise. L’homme, qui avait déjà pris part aux précédents voyages de Peary, entend consigner le témoignage de l’ancienne, la grande mère Inuit qui détient le secret des terres foulées aujourd’hui par les hommes aux visages pâles. Un secret dont la transmission pourrait permettre aux hommes de comprendre et domestiquer ces terres sauvages dominées par une lutte permanente contre les éléments, les animaux qui la peuplent et la folie des hommes qui entendent bien la vaincre. Mauss parviendra jusqu’à l’igloo de la vieille sage. Il consignera son témoignage, mélange d’histoire et de mythologie, dans lequel se fonde le combat des hommes, poussés par la conquête de nouvelles terres et des Dieux, qui entendent protéger leur territoire sacré…

A l’origine, nous dit la vieille, Sedna, la mère de tous les Dieux, vivait dans les eaux glacées avec ses enfants. Quiconque oserait remonter à la surface pour explorer les terres devrait affronter sa colère. Malgré l’avertissement proféré, la curiosité l’emporta et les enfants de la Déesse voulurent découvrir ce qui se cachait loin des abysses… Un voyage qui devait s’annoncer sans retour… Pour se protéger des hommes, les Deux-bras-deux-jambes qui peuplaient la surface, et exprimaient toujours plus leur désir d’expansion, les Dieux déchus créèrent l’Inlandsis d’un souffle glacé et se protégèrent derrière d’immenses murailles. De l’autre côté les animaux sauvages devaient protéger leur territoire.  

Les deux filles de Sedna voulurent néanmoins revenir près de leur mère mais le châtiment promis devait s’exercer en dépit du désir de rédemption. Deux enfants, une fille et un garçon virent cependant le jour avant que les filles de Sedna ne perdent la vie, chacun né du ventre d’une d’elles. Ils représenteront le danger ultime pour les Dieux déchus, car ces enfants, capables de comprendre le langage universel, pouvaient remettre en question leurs pouvoirs affaiblis : Il était un temps où les hommes pouvaient se transformer en animaux selon leur bon vouloir… Les animaux eux aussi pouvaient devenir humains. Tous parlaient le même langage. Il n’y avait pas de différence. En ce temps-là les mots étaient magie (….) un mot prononcé au hasard pouvait avoir d’étranges conséquences. Il devenait brusquement vivant et les désirs, comme les malédictions, se réalisaient. Il suffisait de les exprimer. Les Dieux s’alarmèrent (…) et scindèrent en deux genres distincts les animaux et les hommes, explique à l’enfant né d’une des sœurs maudites, le Nanuq, grand ours blanc. Les deux enfants connaissent le langage universel, et leur union pourrait remettre en question l’ordre souhaité par les Dieux déchus… Aussi dans une décision sans retour fut lancé le Tupilak, créature monstrueuse construite telle une poupée vaudou à base de matière composite… Les deux enfants qui peuvent transmettre le langage universel vont-ils pouvoir vaincre ce monstre et peut-être garder ce contact avec la nature plurielle ?

Par ce récit subtil, à mi-chemin entre le conte et l’histoire, Betbeder tisse une trame qui veut porter un regard critique sur le pouvoir des hommes à neutraliser ce lien sensible qui les relient à la nature. Fable écologique au sens noble du terme, elle essaye de mener le lecteur vers cette réflexion première : faut-il au nom d’un intérêt individuel ou même collectif modifier l’équilibre fragile d’une planète qui pâlit chaque jour un peu plus ? Le dessin de Frichet arrive à des sommets dans la représentation des étendues glacières, de la tension et des combats entre bêtes meurtries, il rappelle aussi dans l’utilisation des nuances de bleus que notre planète peut encore émouvoir par sa beauté. Une beauté d’autant plus envoûtante qu’elle est fragile… Inlandsis peut aussi se lire comme une ode à la transmission du savoir qui seul peut restituer les bases de notre histoire commune, elle aussi sensible par les désirs obscurantistes et le désintérêt qui gagne chaque jour un peu plus de terrain. Une lecture hautement recommandée.

Betbeder/Fricher – Inlandsis T1 & 2 – Soleil – 2013 – 13,95 euros l’un


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