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Focus FFF : Fantasque fantastique et autres réjouissances…

Les univers imaginaires nous portent toujours plus vers des ailleurs foisonnants qui alimentent bien souvent notre machine à rêve. Fantastique, Fantasy et Fable déclinent ainsi leur potentiel pour faire de nous, l’espace d’un récit, le témoin d’une aventure vécue de l’intérieur. Observateur de ce qui se joue devant ses yeux stimulés par un dessin qui repousse toujours plus loin son expressivité, le lecteur qui décide de se laisser happer dans le monde parallèle qui de dresse devant lui peut sans peine envisager les stimuli procurés par le grand voyage à venir. Un voyage qui ne le laissera pas totalement indemne, qui le rapprochera peut-être aussi de cet entre-deux dangereux et pourtant ô combien attirant… Merci à mon ami Tof de nous proposer une lecture fine du nouvel opus de Game of Thrones, le quatrième déjà !

GOT

 

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La gigantesque barbe du mal de Stephen Collins – Cambourakis – 2014

Dave n’est pas bien différent des autres hommes ou des autres femmes qui peuplent l’Ile d’Ici. A peine réveillé il s’apprête afin de se rendre à son travail. Petit déjeuner, douche rapide et bus en direction du centre, là où la société pour laquelle il travaille a élu domicile. Ses journées s’égrènent avec cette régularité qui caractérise le monde du travail moderne. Sans sève, sans saveur il aligne la conception de graphiques dont il comprend à peine la portée et ce afin de satisfaire son staff qui lui demande de les présenter ensuite en public devant des parterres de cadres motivés, de prestataires attentifs ou de potentiels clients. S’il est passé maitre dans la réalisation de ces graphiques et de ces courbes Dave avoue à demi-mot ne pas savoir vraiment ce qu’il fait tout comme il ignore les grandes lignes de l’activité de la société qui l’emploie. Et à vrai dire ses collègues de travail sèchent autant que lui en ce domaine. Mais après tout peu importe. Le fait de pouvoir travailler l’emporte sans conteste sur la nécessité de connaitre les finalités de son job. La journée une fois achevée Dave rentre chez lui en bus, se délasse un peu et dessine les gens qui passent dans la rue rectiligne qu’il aperçoit depuis sa fenêtre. Puis, aussi soudainement que le jour s’est levé quelques heures plus tôt, la nuit se fait peu à peu des plus sombre incitant Dave à rejoindre paisiblement d’autres cieux… Tout ce mécanisme bien huilé aurait pu ne jamais se trouvé perturbé tant il satisfait tout un chacun depuis des lustres. Sauf que l’incident reste possible au point d’effondrer tout à coup le château de carte si difficilement construit. L’incident viendra de Dave. Lui, l’homme à la calvitie précoce, imberbe de nature verra subitement sa barbe pousser de manière désordonnée, voire anarchique. Une barbe gênante au début pour lui qui deviendra bien plus envahissante au fil du temps au point de menacer la vie paisible qui se développe à Ici depuis des temps immémoriaux. De cet incident mineur naitra une autre façon d’envisager la vie, moins lissée, plus sujette aux différences et à l’affirmation des personnalités. Une vie qui (re)trouverait enfin un peu d’âme…
Ici se situe entre là et là avec, entre ses bordures, une mer qui s’étend à perte de vue. En son sein se nichent des cités lissées avec leurs rues qui se ressemblent toutes, les mêmes jardins clos, les mêmes lampadaires qui proposent un éclairage régulier et rassurant, les mêmes voitures bien rangées devant chaque pavillon à l’architecture si semblable et les mêmes arbres si bien taillés, tout droit sortis du catalogue épais d’un grand pépiniériste. Les personnes qui vivent ici arborent les mêmes sourires un peu benêts, déambulent dans la ville dans une chorégraphie savamment orchestrée depuis des années et trouvent refuge dans ces téléphones portables impersonnels qui prolongent leurs mains et les plongent dans un océan d’anonymat. Ici conjugue tout à la fois la régularité et l’homogénéité d’une vie parfaitement paramétrée dans un système binaire ayant fait ses preuves (boulot, dodo) et la justesse et l’équilibre des éléments qui la fondent et lui offrent ce surcroît lénifiant qui finit d’achever le portrait édifiant d’une société bien rangée qui n’autorise aucune déviance. Un monde qui pourrait emprunter aussi bien au Truman show de Peter Weir pour la claustrophobie et l’enfermement qui s’en dégage qu’à des mondes déshumanisés à la Brazil. Un univers si inquiétant qui flirte avec cette ville si bien ordonnancée proposée par Philippe Claudel dans l’Enquête qui elle-même se fait si proche des urbanitudes à la Tati qui bouleversent avec dérision nos certitudes. Une singularité qui puise dans les univers archi-réglés que nous connaissons tous qui affichent une force d’apparence mais qui peuvent s’effondrer au moindre grain de sel…
Avec La gigantesque barbe du mal Stephen Collins propose un récit qui puise dans une observation chirurgicale des travers de nos sociétés occidentales tout en sachant capter les éléments fondateurs de leur disfonctionnement. Sur un ton qui cultive l’humour pince-sans-rire le dessinateur nous interroge sur notre rapport à l’autre, à la différence, à l’uniformisation lénifiante de toutes les strates de la société. Le microcosme qu’il met en image cultive en permanence l’angoisse, la peur et la déraison. Il donne à voir ce qui pourrait se passer dès lors que les hommes, trop confiants dans les mécanismes qui régissent nos sociétés et tendent vers un asservissement à peine masqué de ses composantes, viendraient à se questionner sur les autres possibles. Des possibles bien plus sexy et rock ’n roll dans lesquels ils pourraient enfin vivre libre de penser et de se mouvoir… Un album choc incontournable !

Collins – La gigantesque barbe du mal – Cambourakis – 2014 – 28 euros

Trône de fer IV

Game of Thrones de Daniel Abraham & Tommy Patteron – Dargaud – 2014

Dans le cadre de notre focus, nous ne pouvions pas passer à côté du 4ème tome de l’adaptation BD du trône de fer. Nous vous avions déjà proposé des chroniques des précédents tomes. Le volume 3 se terminait sur une scène emblématique du roman de George R. R. Martin : l’affrontement entre Jaime Lannister et Ned Stark. L’affrontement est sanglant, Ned est gravement blessé. Jaime est un conspirateur, une ordure de première catégorie et il a encore frappé fort. Cette fois, il prend comme prétexte le fait que Catelyn a fait prisonnier son frère, Tyrion Lannister, soupçonné d’avoir comploté contre la famille Stark. Ned se remet difficilement de ses blessure dans une geôle de Port Réal, emprisonné pour avoir porté la main sur le frère de la reine, cette dernière espère pouvoir le condamner à mort pour cet acte. Mais c’est sans compter sur l’amitié qui lie le roi à Ned, le souverain décide de réintégrer Stark dans ses missions de Main du Roi. Ned va devoir gérer des problèmes grandissants dans le royaume : Tyrion est toujours retenu prisonnier par Catelyn et les forces armées sont en mouvement dans tout le royaume. Pendant ce temps, Jon Snow prend ses fonctions dans la garde de la nuit, le passage à l’âge adulte se concrétise enfin. Loin de tout cela, le roi décide de partir à la chasse, dans une forme d’insouciance suicidaire.
Il est difficile d’adapter une histoire de ce gabarit, il y a forcément des raccourcis à effectuer dans la narration, c’est ce que l’on avait déjà constaté dans les tomes précédents. Les auteurs doivent faire rentrer ce récit pléthorique dans des cases de BD. Le résultat est honnête cela dit, on arrive à suivre l’intrigue et les complots et autres manigances sont bien tangibles. Simplement cela a moins de goût que le roman, les ficelles sont plus grosses, les personnages moins élaborés. Le dessin pourrait aussi choquer les amoureux du trait travaillé. C’est lisse, un peu trop d’ailleurs, sur les visages mais c’est beaucoup plus réussi sur les décors.
Cette BD se parcourt sans mal, c’est plutôt agréable, mais ceux qui ont lu les romans ou qui ont suivi la série TV risquent de ne rien y trouver de neuf. Il vaut mieux, pour eux, passer leur chemin. Les autres, ceux qui découvrent la série, prendront plaisir à découvrir cet univers complexe.  

Daniel Abraham & Tommy Patteron – A Game Of Thrones, tome 4 – Dargaud – 2014 – 13,99 euros

Lovecraft

Les cauchemars de Lovecraft de Horacio Lalia – Glénat – 2014

Des monstres tapis dans les recoins de maisons anciennes, des statuettes ou des grimoires qui interrogent et défient archéologues, historiens ou savants de tout poil, des personnages étranges habités par la peur qui s’aliènent progressivement à notre monde fragilisé, des ténèbres galopants qui envahissent peu à peu notre propre univers, des musiques ou des bruissements dont l’origine naturelle reste à prouver, des lumières ou des senteurs suspectes, tels sont les ingrédients qui se révèlent dans soudainement aux hommes. Au départ le rationnel semble la seule issue envisagée mais, au contact prolongé de ces éléments chimériques, la lucidité et la rationalité des hommes semblent s’ébranler. Rien ne permettra de retour en arrière. Une fois ouverte la porte des ténèbres rien ne peut garantir un retour vers la lumière et, si par miracle celui-ci était rendu possible, la santé mentale des hommes qui s’y sont extraits ne pourrait en aucun cas recouvrer son équilibre d’antan. Si les mythes passés peuvent susciter la curiosité, la peur ou la crainte, ils n’autorisent en aucun cas que l’on s’y perde trop longtemps, sauf à être happer de manière irréversible…
Décider de s’immiscer dans l’univers sombre et protéiforme d’un créateur littéraire de la trempe de HP Lovecraft demande une certaine audace pour conserver tout à la fois les intentions de l’auteur, s’approprier la matière et en offrir une relecture qui ne tombe pas dans la pure paraphrase graphique. Sur ce point la proposition d’Horacio Lalia parvient à ses fins. Le dessin classique et richement orné de détails participe à la mise en ambiance et à la montée progressive de la tension. Une tension renforcée par l’usage d’un noir et blanc totalement maîtrisé. Les visages humains arborent tout un spectre d’émotion, de l’interrogation à la peur en passant par la surprise, la terreur pure et, plus rarement, la satisfaction du moment présent. Lalia s’est imposé comme challenge de taille de revisiter pas moins de dix-huit nouvelles en l’espace de seulement deux cent cinquante pages. Autant dire que l’exercice obligeait de condenser le propos pour se faire direct sans virer à la démonstration. C’est ce que nous offre l’auteur argentin en s’appuyant sur un texte incisif qui pose le contexte sur lequel se développe le contexte. Dans L’Appel de Cthulhu la simple phrase prononcée par le narrateur lorsqu’il observe la fameuse figurine retrouvée lors d’une cérémonie vaudou : La figurine accroupie, à tête de seiche et au corps de Dragon, avait été remise au musée de Hyde Park. Je l’examinai en détail… nous pousse à nous attarder sur la représentation offerte par le dessinateur. Le choix des textes, coupés dans le vif, se fait ainsi presque toujours dans un souci de soutenir le dessin. Si les pavés narratifs peuvent parfois se faire nombreux ils sont pleinement nécessaire à la compréhension et ne nuisent en rien au plaisir de lecture. S’il fallait trouver un bémol à ce recueil dessiné des textes de Lovecraft il serait dans les nombreuses coquilles qui émaillent le texte. Un détail qui ne nuance pas le plaisir de redécouvrir les textes de l’un des auteurs majeurs du fantastique américain. Un album à lire et à relire le soir dans son lit pour défier l’univers du maître de l’horreur !

Horacio Lalia – Les cauchemars de Lovecraft – Glénat – 2014 – 30 euros