Au-delà des Pyrénées nous entrons maintenant en Espagne. Dans cette nation qui affiche fièrement un siècle d’or qui l’a propulsé comme la place-forte d’une Europe en pleine recomposition après la découverte de l’Amérique, des trésors qui s’y trouve et de la redistribution géopolitique des cartes. Dans cette Espagne riche de sa puissance économique et militaire, la culture et notamment la littérature et la peinture affichent une richesse sans pareille. C’est dans ce contexte que nait et évolue un Diego Velázquez chantre d’un baroque parvenu à son apogée. Virée dans le Madrid du siècle d’Or avant de sillonner le nord-Maghreb.
Madrid, 1665. Le roi Philippe IV d’Espagne vient tout juste de mourir. Dans ses appartements deux représentants de la couronne dressent la liste des œuvres collectées durant le règne d’un monarque pour qui la peinture représentait symboliquement une force d’expression et de témoignage sans pareille. Mécène reconnu, grand collectionneur, le roi a durant sa vie amassé tout un tas de tableaux parmi les plus renommés de son époque, et surtout, aura permis à des talents d’éclore, dont celui du maitre absolu, le peintre des peintres, Diego Velazquez. La carrière du Sévillan se sera étendue sur plus de quarante années au cours desquelles, a contrario de ses contemporains ou de ses successeurs, le peintre n’aura pas produit une masse inconsidérée de toiles. Les historiens de l’art ont recensés un peu plus de cent tableaux entre les Trois musiciens initié en 1617 et L’Infant Philippe Prosper dernier tableau connu du maitre peint en 1659, tout juste un an avant sa disparition.
Les Ménines, dont la parution coïncide tout juste avec l’ouverture d’une exposition remarquée de Velzaquez au Grand Palais à Paris, n’est pas à proprement parlé l’histoire du chef d’œuvre incontesté du peintre. Ce n’est pas non plus le ressassé de la carrière du génie du baroque, ni encore celle d’une époque, celle du siècle d’or finissant, mais bel et bien un peu de tout ça et plus encore. L’album construit avec une érudition remarquable par Santiago Garcia, scénariste et journaliste en histoire de l’art et Javier Olivares, que nous n’avions pas vu dans un tel registre jusqu’alors, se base en effet sur la perception, l’influence – sur la peinture et l’art en général – et la trace laissée par le chef d’œuvre de Velazquez tout comme sur la symbolique d’une œuvre fondatrice. En début d’album le peintre qui se questionne sur le sens de son travail, de sa carrière et de la trace à laisser, affirme avoir tout peint sauf son chef d’œuvre. C’est dans les venelles étroites qui menèrent le génie dans la lumière créative que Santiago Garcia et Javier Olivares nous mènent. Pour cela ils construisent un album qui ne repose pas sur une linéarité de style, ni même une chronologie déclinée sagement, mais sur un patchwork d’effets graphiques, de mélanges de couleurs, de juxtaposition d’effet, d’insert de micro-histoires dans l’histoires et de changements de rythmes, de plages de réflexions sur l’art, le sens de la vie, le tout mené sur un ton qui oscille entre sérieux et humour décalé. Un souffle d’air rare pour un album qui se dévore de la première à la dernière planche et qui démontre qu’une « biographie » peut aussi ne pas s’avérer lourde et sans relief. Du travail d’orfèvre !
Santiago Garcia & Javier Olivares – Les Ménines – Futuropolis – 25 euros