Pas mal d’émotion dans les quelques récits de cette semaine, à commencer par cette rencontre impossible et tellement émouvante des deux Luisa dans un récit qui aborde des sujets de fond sous un ton léger et fluide. Avec L’adoption, Zidrou démontre qu’il est le scénariste du moment, marquant dans son écriture et dans la manière de dérouler ses sujets. Un juste de Guillon et Cénou revient sur la tragédie de la seconde guerre mondiale en suivant la trajectoire d’une famille juive accueillie et cachée au péril de sa vie par un paysan agenais et sa femme. Barney et la note bleue biographie fantasmée et possédée, donne à voir un Barney Wilen dans les travées de sa carrière avec sensibilité et une expressivité marquante. Musnet, petit garçon souris procure une vraie émotion, tout comme le chien-niche baptisé Buck qui devient le fil rouge des récits d’Adrien Demont. Nous vous laissons découvrir tout cela et bien d’autres choses encore !
Un chien étrange baptisé Buck qui porte une niche devenue trop étroite sur son dos s’échoue sur une plage de Norvège dans une fin d’après-midi d’hiver. L’animal ne sait pas vraiment où il est et se résigne à suivre le chemin qui se présente à lui et qui le portera sûrement vers un lieu moins sauvage, près des hommes qui lui offriront peut-être un bout d’os à ronger. Après avoir marché un certain temps, il parvient près d’une ferme où une femme prie pour que le soleil ne se couche pas trop tôt. Elle doit en effet faire baptiser ses deux enfants avant que la nuit ne pointe pour les épargner des griffes du malin. Buck les suit à distance se disant que la femme doit se rendre dans un lieu plus chaleureux. Lorsqu’elle parvient à proximité du presbytère, dans la terrible nuit qui se profile, elle se voit opposé un refus catégorique de la recevoir en raison des dangers qui se lisent à l’extérieur. C’est à ce moment-là que la femme aperçoit le chien dans lequel elle voit un esprit du mal. Pour le faire fuir elle lui jette alors des pierres, jurant qu’elle défendra ses enfants comme un ours enragé. Buck reprend alors sa route dans les étendues enneigées de ce bout de terre coincé entre forêt et montagne jusqu’à ce qu’il déboule au hasard de ses déambulations au-devant d’une maison au sein de laquelle l’enfant nouvellement né a été échangé par un bébé troll horrifique. Buck se voit missionné pour tenter de retrouver l’enfant avant qu’il ne finisse dévoré par les monstres…
Depuis les débuts de sa jeune carrière Adrien Demont a construit et fait évoluer ce personnage étrange qu’il a lui-même baptisé Buck, un chien qui traîne sa niche sur son dos et qui apparaît au fil des histoires comme un point de repère, qui peut parfois faire référence au passé d’un homme comme il le fait dans Feu de paille, le précédent opus du dessinateur bordelais. Ici il s’immisce dans l’univers des contes norvégiens. Des contes marqués par la présence d’êtres gigantesques en partie difformes baptisés trolls. C’est en puisant dans les représentations que donne de ces personnages le peintre et dessinateur Théodor Kittelsen, qu’Adrien Demont échafaude son récit. Il y est question d’enfants enlevés et échangés par ces créatures fantastique du folklore norvégien, sujet certes pas novateur – Des Trolls et des Hommes de l’écrivain suédois Selma Lagerlöf, à laquelle Demont se réfère, traite du sujet – mais qui permet d’entrer de plain-pied dans la quête initiatique du jeune chien. Buck va donc parcourir les étendues neigeuses de ce pays frappé par le froid pour échanger le bébé troll qui lui est confié comme monnaie d’échange pour récupérer le nouveau-né humain. Cela donne un album qui se lit plus pour son graphisme sublime, d’une densité et d’une expressivité rare, que pour son texte qui n’est jamais envahissant mais toujours à-propos. Les voiles qui reposent sur Buck ne seront qu’en partie levés, le chien-niche gardant avec lui pas mal de ses secrets, et à, vrai dire cela n’est pas nous déplaire. Un album soigné digne de la collection Métamorphose !
Adrien Demont – Buck – Soleil/Métamorphose – 2016 – 17,35 euros
Reportage sur les coulisses de la création du récit Buck avec Adrien Demont…
Myriam Levy est assise à son secrétaire et repense aux moments qu’elle a vécu durant la seconde guerre mondiale alors qu’elle fuyait avec ses proches et son futur mari Henri les persécutions et les déportations infligées aux familles juives. Elle se souvient de l’accueil fait par Fernand Cénou et sa femme qui les hébergèrent alors que les risques sont plus que réels. Elle se souvient de cette cohabitation qui, si elle pouvait paraître pesante en raison de la promiscuité, a bel et bien assurée sa survie et celle de ses proches. Alors que les années se sont écoulées, la jeune femme de l’époque repense à ce moment où ils ont quitté la ferme de la famille Cénou une fois tout risque écarté. Les moments de joie et de sérénité l’emportent alors sur la mémoire de ce passé lourd au point que Myriam oublie peu à peu ceux qui lui ont sauvés la vie. Assise à son secrétaire Myriam Levy entreprend alors les premières démarches pour offrir à Fernand et sa famille le statut de Juste parmi les Nations.
Chaque guerre possède son lot d’horreurs révélées pour certaines bien après que le conflit se soit achevé. La seconde guerre mondiale possède cette caractéristique, dans un conflit moderne, d’avoir été particulièrement tragique pour les populations civiles. La mainmise allemande sur le territoire français placé entre les mains d’un gouvernement collaborationniste a autorisé tous les débordements possibles, tout en œuvrant à la déportation organisée, dès 1942, des communautés juives installées partout sur le territoire. Dans ce récit autobiographique Patrice Guillon et David Cénou, dont l’histoire raconte un épisode de la vie de son arrière-grand père, se mettent à la hauteur de leurs personnages, des gens simples placés dans une situation extraordinaire. Fernand Cénou est un agriculteur plutôt établi dans la région d’Agen, un homme fort en caractère qui n’hésitera pas longtemps à venir à l’aide de la famille Levy qui fuit une déportation probable. Les deux auteurs donnent à voir le quotidien de la peur dans un village supposé être en zone libre et qui se voit pourtant traversé par pas mal de convois allemands et surtout par une gestapo très active qui sillonne la région à l’affût du moindre mouvement suspect. Dans ce contexte le danger est permanent et oblige à un surcroît de vigilance. Si le neuvième art a déjà abordé la thématique de la fuite des populations juives et leur accueil dans des familles ne voulant pas céder au gouvernement de Vichy n’est pas à proprement parlé nouveau, Patrice Guillon et David Cénou peuvent s’appuyer sur une documentation encore riche, et notamment le témoignage du père du dessinateur qui a vécu enfant l’occupation allemande auprès de Myriam Levy et des siens, ce qui permet une immersion totale dans l’une de ces familles de « Justes ». Le dessin en noir et blanc renforce la tension du récit qui met en lumière le quotidien d’hommes et de femmes envahit par la peur. Un album pour comprendre et surtout ne pas oublier…
Patrice Guillon et David Cénou – Un juste – La Boîte à bulles – 2016 – 18 euros
Absorbé par sa peinture aux Nymphéas, qui l’éloigne des pensées funestes engendrées par les morts rapprochées en 1911 et 1914 de sa femme Alice et de son fils Jean, le peintre Claude Monet ne semble pas savoir ce qui se trame juste sous son nez. Et à vrai dire, son jardin de Giverny devenu, depuis le début du siècle, un de ses centres d’intérêt favori, regorge d’une flore luxuriante qui offre un terrain de jeu insoupçonné à la faune locale composée de volatiles – méfiants envers le chat noir qui occupe les lieux – et de tout un lot de rongeurs qui a élu domicile dans les troncs d’arbres et les planchers en bois de la vaste demeure du peintre. Le dessinateur Kickliy, inconnu des bases de données, nous fait vivre un récit à hauteur de souris, de chats et d’écureuils, dans un monde du dessous où la peinture joue aussi un rôle majeur. Nous suivrons le destin de Mus, jeune garçon souris qui fera son entrée à Giverny en tentant de sauver des eaux baignées de nénuphars Mya, une jeune fille souris qui appelle et crie à l’aide. En fait la jeune demoiselle ne faisait que répéter le texte d’une pièce de théâtre, mais qu’importe le lien entre Mya et notre aventurier venait de se forger et il se renforcera avec le temps… Intronisé dans les jardins luxuriants Mus se rapprochera du vieux Rémi, écureuil peintre doué d’un talent indéniable mais dont les peintures ne séduisent plus les acheteurs qui jettent leur dévolu sur l’art « neuf ». Auprès de cet ancien brisé dans sa foi de l’Art avec un grand A, Mus apprendra la peinture, non pas pour faire comme les autres mais parce qu’il se trouve une envie et un talent certain, ou tout du moins la croyance que celui-ci sera un jour reconnu…
Kickliy – Musnet T1 – Dargaud – 2016 – 12,99 euros
Dans un futur proche et post-apocalyptique, sur les hauteurs de Chamonix, un homme armé et accompagné d’un étrange robot doté d’une IA plutôt sympathique, tente de rallier un refuge connu de peu mais en tout cas éloigné de l’infection terrible qui sévit dans les grandes agglomérations en contrebas. Ce virus issu de la grippe aviaire aurait muté en un terrible mal. Il toucherait non seulement les volatiles, mais aussi les chats, qui les combattaient jadis et encore d’autres espèces. Il aurait décimé au bas mot les trois quart de la population selon des estimations difficiles à vérifier en raison du repliement et de l’isolement de quelques communautés qui préfèrent vivre repliées sur elles-mêmes plutôt que de risquer de se mettre en danger. Parmi ces humains encore en vie tous n’affichent pas le label « sain » lorsqu’ils passent aux détecteurs conçus pour dénicher et tuer manu-militari les hommes et femmes infectés. Pas, forcément sûr de son trajet dans la montagne l’homme se laisse surprendre par une tempête de neige et parvient néanmoins, de peu, grâce à son robot dénommé Marguerite, à trouver le chemin qui mène au solide bâtiment. Après l’avoir « scanné » pour s’assurer qu’il est bien seul l’homme poste son robot devant l’entrée du foyer et pose sa mitraillette derrière une fenêtre, prête à s’activer au besoin. Et pour tout dire cette précaution d’usage ne saurait être de trop en cette nuit bien fraîche…
Adepte depuis un certain temps de l’uchronie, genre qu’il développe dans pas mal de séries en cours chez son éditeur Delcourt, Jean-Pierre Pécau nous offre avec Soleil froid, un récit qui explore une vision possible de notre futur s’immisçant pour la peine dans le registre de l’anticipation, mâtiné de survivalisme à la Walking Dead. Ce futur, le scénariste le souhaite plausible – il fait par exemple référence à un rapport de l’OMS sur la mutation possible de la grippe aviaire chez l’homme – pour mieux nous happer. La proximité avec notre époque (le récit se déroule en 2030) permet aussi au lecteur de conserver ses repères tout en le mettant en garde des dangers qui le guettent et qui sont, aux yeux des spécialistes, suffisamment forts pour ne pas les ignorer. Avec un savoir-faire bien rôdé, Pécau introduit dans ce premier tome les ingrédients sur lesquels il va se reposer ensuite – héros au passé lourd, solitaire et plutôt dégourdi, communautés de survivants qui ont visiblement des choses à cacher, décors et cadres bien posés et crédibles – laissant croître une tension qui devient très prégnante au fil des planches. Pour comprendre ce futur proche, il n’hésite pas à livrer des éléments d’accroches par des flashbacks qui expliquent ce moment où tout à basculer entraînant la mort massive du gros de l’humanité. Il donne à voir aussi ce qui se joue dans les communautés de survivants qui pratiquent l’éradication systématique des hommes et femmes supposés infectés. Si la trame tient la route, le dessin n’est pas en reste et parvient à « crédibiliser » l’univers dépeint en le rendant inquiétant jusqu’au final qui nous laisse cette envie irrésistible de vite découvrir la suite. Une série qui part du bon pied !
Pécau & Damien – Soleil Froid T1 – Delcourt – 2016 – 14,50 euros
Dans ces étendues sans fin qui rejoignent loin vers l’ouest un ciel bleu tapissé de nuages épais se sont installés contre toute attente des hommes. Isolés ou presque de toute civilisation, ils gardent pour eux un courage certain ou une folie plus grande encore que la déraison pour vouloir défier de leur présence ceux qui occupent encore majoritairement ces terres, pour peu de temps encore. Le Far West, l’ouest lointain et profond, à l’époque où l’homme blanc n’a pas encore totalement construit son rêve de relier l’est à l’ouest. Pris dans la folie de l’or ils osent tamiser toutes les rivières qui laissent couler une eau encore inviolée, ou se font les apôtres d’un commerce déséquilibré qui doit leur assurer une richesse malsaine aux dépens de l’autochtone résigné et curieux. Dans ce pays construit sur la misère de migrants venus chercher un meilleur sort de l’autre côté de l’Atlantique, la réussite, même si elle s’acquiert contre toute morale, est bonne à prendre, c’est tout du moins ce que pensent le petit lot de miséreux en soif de richesse, et néanmoins débrouillards, qui, partis avec leurs guenilles vers l’inconnu, parviennent à caresser l’espoir d’un avenir meilleur. Voleurs, pilleurs de richesse, hommes à la petite morale, édentés au sourire écorché rependant ainsi le fiel de leurs forfaits passés ou à venir. Ils ne sont pas forcément les meilleurs ambassadeurs du peuple blanc pour les tribus à la peau foncée qui vivent là depuis toujours, ils ne sont pas non plus de ces hommes porteurs de messages ou de valeurs saines qui pourraient établir et renforcer une utopique mixité ethnique. Ces hommes de presque rien dont l’histoire n’a gardé qu’une trace éparse composent un recueil formidable de courts récits du dessinateur italien Sergio Toppi. Dans son style inimitable, avec cette justesse dans la représentation des corps usés, des esprits sales et des regards porteurs de sens, l’auteur transalpin décortique l’homme dans sa relation à l’autre. Des relations qui, sur le papier, paraissent déséquilibrées au départ mais qui se lisent au moment même où le renversement du rapport de force s’opère et où tout ce qui semblait acquis vole en éclats. Tout le talent de Toppi réside dans la mise en scène de ce bref moment où l’homme voit s’échapper les espoirs qu’il a longtemps esquissés. La morale que l’on pourrait y lire n’est jamais le but ou une fin en soi. Le dessinateur préfère de loin s’immiscer au plus près de ses (anti-)héros tout en maîtrisant l’unité de temps dans un balai de décors épurés. Un temps volatile dont on ne mesure plus l’unité mais dont on perçoit la force. Un travail remarquable que l’éditeur Mosquito met à la portée de tous.
Toppi – Colt Frontier – Mosquito – 2016 – 18 euros
Assise dans un bus qui la ramène chez elle, une jeune ado du nom de Luisa sort un baladeur cassette de son sac et écoute une musique qui la plonge dans ses pensées. Quelques minutes plus tard elle arrive en plein cœur de Paris. Le bus s’arrête et la chauffeuse lui indique être arrivée au terminus. La jeune fille descend mais ne semble pas reconnaitre l’endroit où elle est. Au même moment un peu plus loin, en terrasse d’un café, une femme, la trentaine, discute avec un ami. La discussion tourne autour de la vie amoureuse de la jeune femme qui ne semble pas au beau fixe. D’ailleurs, et pour tout dire, la femme enchaîne les relations sans suite, se blasant très vite des premiers instants magiques pour ne retenir que le train-train qui s’installe très vite. Elle profite de la rencontre pour rendre à l’homme un DVD que celui-ci lui avait prêté. Un film qui éveille une certaine nostalgie chez la femme autour de cette période de l’adolescence où, dit-elle, elle était plutôt torturée. Lorsque l’homme lui demande ce qu’elle dirait à cette ado qu’elle était, la jeune femme lui dit qu’elle tenterait avant tout de la rassurer. La jeune Luisa quant à elle entre chez un buraliste pour acheter une télécarte afin de joindre sa mère mais ne peut payer les cinq euros cinquante demandés car elle ne dispose que d’un billet de cinquante francs. Elle sera prise en charge par Sasha, une femme compatissante qui la ramènera chez elle…
Carole Maurel livre avec Luisa ici et là un récit dense qui explore des thématiques très fortes comme, la construction et l’acceptation de soi, l’homosexualité, le rapport à l’autre. Elle le fait avec une certaine forme de légèreté qui permet, tout en creusant en profondeur ces sujets, de ne jamais se faire distante avec le lecteur qui plonge dans un récit plutôt frais et non dénué d’humour. Sur la forme la dessinatrice construit son récit en faisant rencontrer une femme de trente ans, un peu dans l’impasse sentimentalement parlant, et l’ado qu’elle était. Le contact entre les deux jeunes femmes, qui passe par la domestication de l’autre et cette envie de comprendre leurs présents respectifs, permet d’entrer progressivement dans les troubles de chacune et de saisir les « blocages » qui les touchent aujourd’hui dans des quotidiens dont elles peinent à se défaire. L’homosexualité féminine est abordée avec délicatesse, sans voyeurisme, avec cette idée que le plus dur reste peut-être de s’accepter soi-même. C’est ce que ne parvient pas à faire lr personnage de Luisa adulte qui, tout en ayant un faible pour sa voisine qu’elle refuse d’avouer passe à côté d’un équilibre recherché. Particulièrement dense, ce récit de près de 300 pages parvient pleinement à ses fins et confirme, après le récent « L’apocalypse selon Magda », qu’il faudra bel et bien suivre Carole Maurel, car elle a des choses à dire et le médium qu’elle explore et le talent qu’elle y déploie lui permette de le faire avec une pertinence rare. Un récit délicat à découvrir de toute urgence !
Carole Maurel – Luisa, ici et là – La Boîte à bulles – 2016 – 32 euros
C’est vers 2003 que Tanx se force à accomplir, quoiqu’il arrive, un petit exercice journalier : coucher sur papier au travers de strips, ses humeurs du moment, ce qui lui passe dans la tête dans l’instant sans s’encombrer de fioritures et sans arrondir forcément les angles. L’exercice se poursuit aujourd’hui encore bien que la régularité soit devenue plus aléatoire au fil du temps. Dix ans plus tard (le recueil débute en juin 2015), l’autrice nous donne un aperçu plutôt singulier de ce qu’elle pouvait livrer au fil du temps dans un album qu’elle baptise simplement « Des croûtes aux coins des yeux » pour rappeler les matins difficiles où elle émergeait péniblement d’une nuit parfois un peu courte. Sur le fond le lecteur peut se demander à juste titre l’intérêt d’un tel recueil qui revient sur des faits et des situations qui pouvaient se faire pertinents au moment où ils ont été couchés sur papier mais qui maintenant ressemblerait à un plat un brin réchauffé. Et pourtant non. Rien de tel dans ce recueil et pour plusieurs raisons dont la première et la principale reste le témoignage d’une autrice sur le milieu dans lequel elle évolue et qui, au fil du temps, se détériore sans conteste et sans trop d’espoir de retour en arrière. La seconde raison et qu’elle n’hésite jamais à se mettre en situation dans des moments de vie qui ne la mettent pas forcément en avant. Cette autodérision permanente, sert le propos en plus d’y ajouter ce brin d’humour parfois caustique et décalé. Enfin, et c’est le troisième intérêt majeur de l’album, la dessinatrice développe un regard acerbe sur la société dans laquelle elle évolue, une société jamais tendre où il faut parfois jouer des coudes, se faire plus cons que l’autre pour s’en sortir. Au fil du temps, elle semble maitriser de plus en plus l’art de faire passer ses pensées profondes avec ce qu’il faut comme insolence pour que ça égratigne un peu, et pour tout dire l’impertinence, lorsqu’elle est justifiée, fait aussi mal qu’un caramel mou sur une carie, et Tanx maîtrise cela avec brio. Après et bien entendu certains strips sont plus forts que d’autres ou nous touchent plus pour des raisons qui nous sont propres, reste un album qui garde une vraie pertinence, qui touchera à la fois ceux qui se reconnaissent dans ce milieu alternatif et créatif qui fait avancer finalement et presque logiquement les choses, comme ceux qui veulent mieux découvrir l’autrice de Esthétique et filatures ou Faire danser les morts. Plus qu’une curiosité, un pur moment de fiction-réalité acide sur un monde qui mérite parfois ou souvent qu’on le bouscule…
Tanx – Des croûtes aux coins des yeux – 6 pieds sous terre – 2016 – 18 euros
Dans le sud du Pérou la petite ville d’Arequipa est frappée d’un terrible tremblement de terre de magnitude 8,4. Un chiffre stratosphérique qui, dans un pays pas forcément armé pour faire face à ce type de catastrophe, se répercute immanquablement sur le nombre des victimes, beaucoup trop nombreuses. C’est dans ce contexte sombre qu’Alain et Lynette, un couple de quadras français en manque d’enfant, va pourtant trouver le bonheur en adoptant une petite fille du nom de Qinaya dont les parents sont parmi les victimes du séisme. Arrivée à l’aéroport tout semble grand pour la petite fille à la peau sombre. Le comité d’accueil déborde d’enthousiasme à la vue de Qinaya, hormis peut-être Gabriel, le grand-père un peu grincheux qui détonne dans la joie démonstrative et communicante des autres membres de la famille. Avec le temps la jeune fille trouve ses marques et semble s’adapter à merveille dans son nouvel environnement. Pour Gabriel le grand-père, la glace des premiers instants ne paraît plus si épaisse et si froide qu’au début. Le début d’une belle aventure…
Le visuel de couverture pose très vite le cadre. Dans le jardin d’une maison pavillonnaire une jeune fille pas plus haute que trois pommes fait face à un vieil homme grisonnant un brin avachi. Les deux seront au cœur de notre histoire. Gabriel le grand-père ancien boucher possède des habitudes tenaces, et se plait à entretenir la forme avec ses compères les Gégés, avant de passer se restaurer au Sénégal, le restaurant dans lequel les trois anciens viennent calmer leur appétit. Une fois chez lui Gabriel s’adonne au jardinage. Une vie bien rangée en somme, l’aboutissement d’une vie de dur labeur. L’arrivée de Qinaya, jeune fille de quatre ans à peine, va bouleverser cette vie qui ronronne un peu trop bien. Au départ un peu récalcitrant sur l’arrivée de l’enfant, il va au fil du récit se prendre au jeu du grand-père un peu mou qui va domestiquer la jeune fille et se prendre d’une vraie affection pour elle. Au scénario Zidrou nous livre après Les Beaux étés, un récit qui se place au plus près de ses personnages, tout en débordant de bonnes intentions sur un sujet pas forcément facile à traiter. Le scénariste ne sombre jamais dans ce surcroit de pathos qui aurait desservi le projet. Bien au contraire il s’attache à décomposé, à décortiquer ses moments si intenses et si fort en émotion en les plaçant dans leur contexte, et en observant la réaction des uns et des autres. Bien sûr le récit ne pouvait pas se placer dans ce seul registre, et, même sur un diptyque, un grain de sable que nous vous laissons découvrir viendra compliquer et nuancer ce bonheur béat. Au dessin Arno Monin, auteur chez Grand Angle de L’envolée sauvage ou L’enfant maudit, sert parfaitement ce récit par son trait rond et un jeu de couleurs subtil et immersif. Il sait au travers du regard de la jeune Qinaya exprimer toute la palette de sentiments qui la parcourent dans un début de vie pas facile à digérer. Un travail graphique soigné qui accompagne une histoire comme toujours chez Zidrou profondément humaine…
Zidrou & Monin – L’adoption – Grand Angle – 2016 – 14,90 euros
Jazzman de génie, Barney Wilen représente cette image du jazz telle qu’elle est encore perçue aujourd’hui, une certaine idée de liberté, une aventure passionnée, une musique qui oscille entre virtuosité et souffrance. Une souffrance qui accompagne le musicien une partie de sa vie. C’est tout du moins ce qu’ont choisi de présenter le dessinateur Loustal et le journaliste-scénariste Paringaux, des proches du saxophoniste, dans un récit très librement inspiré de la vie du musicien. Délier le vrai du fantasme importe peu, l’enjeu de Barney et la note bleu est ailleurs, dans les cadres posés et dans cette manière de tenter de s’approcher de la personnalité insaisissable du musicien. Par un jeu de séquences, d’instants saisis sur le vif, les deux auteurs décortiquent l’instant et lui donne une autre valeur. Publié originellement dans le magazine (à suivre) au milieu des années 80 puis en album en 1987, le récit se voit ici offert une nouvelle mise en avant à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort du musicien (déjà). Tout a été dit ou presque sur cet album. Nous n’en dirons pas plus sauf bien sûr qu’il reste l’un des récits majeurs de la carrière de Loustal, avec une maîtrise totale de son art dans l’expressivité, dans la manière de dépeindre chaque cadre et de le faire sentir, pesant, lourd par le lecteur. Développé sous la forme de narratifs, sans dialogue, ce récit a pu perturber en son temps et encore aujourd’hui, il reste pourtant un vibrant hommage à la carrière d’un musicien hors norme qui a joué avec toutes les pointures du jazz de l’époque avec une facilité et une compréhension de la musique peut-être jamais égalé. Superbe !
Loustal & Paringaux – Barney et la note bleue – Casterman – 2016 – 30 euros