Peut-on encore innover dans un récit d’heroïc fantasy ? Non il ne s’agit pas là du sujet moteur d’une conférence universitaire dédiée mais bel et bien d’une réflexion ouverte à notre petit niveau. A la lecture d’Elyne, nous pourrions le croire, alors ne boudons pas notre plaisir, fût-il éphémère !
On ne peut pas surprendre à tous les coups lorsque, auteur reconnu ou pas, on décide de s’immerger dans une nouvelle série d’heroïc fantasy. L’univers protéiforme, vaste et sans véritables bornes connues, possède des potentiels de déroulés sans autres limites que celles de l’imagination de ceux qui s’y plongent avec délectation. Pourtant l’érosion guette parfois, peut-être en raison de canevas construits sur l’intrigue plus que sur les personnages, peut-être aussi car l’univers aussi vaste soit-il peut aussi s’avérer être un véritable trou noir graphique et scénaristique qui absorbe tout sur son passage pour ne laisser que la portion congrue à nos yeux trop longtemps habitués à de mirifiques planches qui ornent nos esprits pas tout à fait rassasiés. Oui je sais que mon tempérament pessimiste ou réaliste, à vous de voir, pourrait vous laisser sur votre faim, et vous me direz à juste titre que la morosité, tant qu’à faire, autant la laisser de côté pour essayer de porter notre attention sur ce qui fonctionne, sur des séries qui renouvellent le genre ou du moins le pousse vers des sentiers peu balisés et susceptibles d’offrir de belles perspectives à qui voudra encore croire aux possibles. Eh bien ces séries existent, elles existent si bien que je vous en dégote une de derrière les fagots. Il s’agit bien sûr d’un premier volet et nous serons donc dans l’attente des belles brèches qu’il ouvre dans l’univers qu’il construit patiemment et si nous essayons de jouer le jeu, de faire montre d’une patience contre-nature, nous pourrons sûrement entrevoir de belles choses… Sûrement !
La recette pour arriver à déjouer les pièges de la redite stérile ? Une héroïne jeune et pleine de pêche qui cache en elle un secret dont elle ignore tout mais qui pourrait bien modifier l’ordre d’un univers fragilisé par le combat épique entre démons et guerriers humains. Un univers troublé en son sein par des guerres et des querelles intestines mais qui développe une géographie, un bestiaire et une flore pas si inintéressants que ça, à explorer à chaque planche. Un univers riche par sa structure et suffisamment mystérieux pour nous offrir des salves de doutes quant à son agencement. Enfin des personnages structurés qui possèdent un brin d’insouciance, de mystères (encore) et de décalages savoureux.
Elyne, l’héroïne de ce récit doit se marier avec Terg-moon, le fils du plus riche commerçant de son village. Mais au moment même où la cérémonie doit s’achever, dans l’échange des anneaux sacrés, s’abat sur Hoon-Gaye, une nuée de démons blancs qui capture les filles du village dont la future mariée. Pourquoi les démons blancs autrefois protecteurs ont-ils pris le parti de capturer les filles, tel un enlèvement mythique de notre antiquité romaine ? Une fois dans leur geôle et alors qu’elles essayent de s’échapper les démons blancs se montrent pour le moins agressifs et les filles humaines ne devront leur salut qu’à l’arrivée épique et salvatrice d’un groupe de guerriers affutés avec à sa tête Guntheek. La suite nous vous laissons le soin de la découvrir mais réserve bien des secrets pour les personnages et le lecteur perspicace et curieux que nous sommes…
L’univers créé par Corbeyran, sous le regard de Dieux adeptes de jeux de hasard, pose sa touche tout en délicatesse. Parfois nous pourrions trouver le rythme un peu faiblard pour un récit d’heroïc fantasy, mais la faiblesse devient force pour toute série qui se veut ambitieuse car elle pose le cadre, les personnages, les enjeux, les mystères qui se doivent d’être dévoilés par doses homéopathiques dans les futurs épisodes qui nous attendent. Le dessin de Ludo Lullabi mélange savoureux de manga, de comics et bien sûr de fantasy apporte un plus à l’univers en construction par les décalages qu’il crée avec les traits classiques du genre. Un premier opus qui marque par les perspectives qu’il développe et qui, nous l’espérons, ne pourra que s’élever à partir de la matrice qu’il pose faite d’un package pas si inintéressant de suspense et de tension…
Corbeyran & Lullabi – Elyne – Soleil – 2012 – 13,95 euros