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La BD du jour : Le château des ruisseaux de Poincelet et Bernière

Après la mort dans l’âme (Futuropolis) sur un scénario de Sylvain Ricard qui analysait le processus de fin de vie et le sujet hautement sensible de l’euthanasie et après Sous l’Entonnoir (Delcourt) de Sibylline, témoignage poignant sur le suicide et le rapport à la mort, Frédéric Poincelet et Vincent Bernière dépeignent le parcours de Jean, polytoxicomane qui essaye de décrocher pour retrouver une vie « normale ». Récit essentiel, parfois dur mais profondément humain…

Avant d’entrer au Château des ruisseaux Jean ressemblait à un iceberg. Une partie de son être était encore rattachée au réel tandis que la plus grande gisait dans des strates d’où on ne se relève que très rarement. Spirale sans fin, la drogue (dure), comme toutes les addictions, détruit de façon quasi irrémédiable celui qui s’y laisse tenter. Un voyage fait de paliers souvent synonymes de points de non-retour qui se franchissent bien plus vite que l’on ose le croire. Il y a tout d’abord le premier saut, celui qui conduit à renouveler l’expérience, puis, au fur et à mesure que le temps fait son office, fauchant tout sur son passage : repères, vie sociale et tout simplement lien au réel, la plongée se fait plus accélérée, emportant avec elle le goût de la vie, l’envie de construire, de partager, de penser aux lendemains… L’homme s’enferme alors dans un égoïsme accentué par une aliénation grandissante avec son entourage qui le conduit à perdre définitivement pied. Ce schéma classique, tout le monde le connait. Refaire surface s’apparente vite à un but inatteignable et faire le premier pas vers la reconstruction suppose plus que des sacrifices, une remise en question totale qui ne garantit même pas de l’issue de la rédemption… Cela conduit aussi à se couper – après toutes les séparations déjà difficilement « encaissées » – de ce qui nous reste de repères dans cette vie devenue sans saveur.
Jean a donc fait se premier pas vers l’inconnu. Il se trouve vite adopté par les pensionnaires du centre de traitement des addictions situé dans une campagne du Nord de Paris. Il y débarque un jour avec Marie une jeune femme qui se décide comme lui à changer sa vie. Il tombera amoureux d’elle. Dans ce milieu aseptisé, où les échappatoires : livres, musique… sont interdits cette attirance, non autorisée jettera un trouble dans les sentiments du jeune homme…
Le château des ruisseaux possède ses côtés arides. Le scénario ne cache rien de cette réappropriation de l’être, il découpe au scalpel des histoires qui nous touchent car elles mettent en avant la fragilité qui nous habite tous. Les pensionnaires débitent leur histoire sans peur du regard de l’autre et nous livrent leur récit de chute sans ambages. Le dessin se focalise presqu’uniquement sur les personnages, sur leurs visages, leurs expressions, leurs mouvements, leurs douleurs. Le décor n’est qu’accessoire ce qui donne au lecteur cette impression d’habiter le récit.
Un récit mi-fiction mi-témoignage essentiel sur un fait de société peu exploré en BD qui nous pousse à comprendre plus qu’à juger…

Poincelet et Bernière – Le château des ruisseaux – Dupuis – 2012 – 14, 95 euros


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