Réflexion sur l’art, Le silence se construit comme une quête personnelle pour les protagonistes de cette histoire. Il expose surtout le talent de son auteur, l’australien Bruce Mutard qui excelle dans la construction narrative de son récit en laissant planer suffisamment de mystères et d’interrogations pour nous captiver.
Le milieu de l’art renferme souvent des secrets inavouables. Pas forcément dans l’acte créatif qui reste la plupart du temps la vision d’un auteur, mais dans sa marchandisation à outrance. La valeur d’une œuvre dépend de facteurs qui nous dépassent tous. Parfois, pour certains collectionneurs-spéculateurs le prix d’un tableau possède plus de sens que sa force suggestive et sa symbolique. Le phénomène n’est pas nouveau. S’il est alimenté par certains galeristes qui espèrent vivre du talent des artistes qu’ils exposent, la question de l’utilité de l’art, trouve matière à débat, et le plus souvent dans la bouche même des artistes qui recherchent parfois toute leur vie à s’approcher du sens, du message qu’ils entendent délivrer, tout en étant insatisfait par sa réalisation pratique.
Sydney à l’instar des grandes métropoles possède un marché de l’art plutôt actif et Choosy McBride, jeune femme dynamique l’a bien compris. Ancienne juriste, sa vision de l’art se résume à celle d’un marché qu’il faut nourrir par le jeu de l’offre et de la demande. Son compagnon, Dmitri, artiste peintre, possède une approche bien plus symbolique et sensitive de la pratique à laquelle il consacre sa vie, et ce même si l’introspection qu’il mène fait qu’il n’arrive plus réellement à peindre. Pour cet artiste entre deux âges, l’Art a en effet pour vocation d’exprimer un message, et pourtant qui atteint-il ? Quelques collectionneurs et une petite scène artistique qui assiste aux vernissages pour être vue plutôt que pour voir. Et qu’est-ce que je peux bien peindre qui en vaille la peine ? Une énième critique de la société de consommation, de la dégradation de l’environnement et de l’aliénation, quel intérêt ? Ce ne sont que quelques images de plus qui seront consommées par un petit nombre de privilégiés dans l’intimité de leurs foyers et ces personnes-là continueront à consommer tous azimuts comme si elles avaient achetés une toile blanche ! Alors qu’elle se rend chez une riche propriétaire qui entend se séparer de quelques œuvres Choosy découvre une toile à la force expressive trouble. Et plus étrange encore, le tableau n’est pas signé. Rien de tel pour aiguiser la curiosité de la jeune femme qui aimerait bien retrouver le peintre et, accessoirement, lui acheter des œuvres. Le mystérieux inconnu résiderait près de Port Douglas, une petite ville côtière située à 2500 km de Sydney. Et à vrai dire cela tombe plutôt bien puisque Choosy devait rendre visite à Fred un peintre renommé habitant dans cette région de l’Australie. Elle s’y rendra avec son ami Dmitri.
Jeu de piste, le Silence est avant tout un album qui mène à une réflexion sur l’acte créatif mais aussi sur la relation du public à l’œuvre. Bruce Mutard livre ici un album surprenant par sa narration travaillée et maitrisé dans son dessin. Il oppose deux façons de concevoir l’art, deux façons de percevoir la vie. L’artiste inconnu laisse ses toiles en libre accès avec cette idée que leur marchandisation en dénaturerait le message. Inconcevable pour Choosy et lumineux pour Dmitri !
L’art pourrait bien prendre la forme d’une fenêtre ouverte sur le monde. Dans un geste ultime et gommée de sa valeur mercantile édifiée dans le seul but d’amuser une classe sociale nauséeuse, il pourrait (r)éveiller notre regard, capter notre attention et nous guider vers des ailleurs que nous avons perdus l’habitude de percevoir…
Bruce Mutard – Le silence – çà et là – 2013 – 20 euros