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La BD du jour : Ma révérence de Lupano / Rodguen et Histoires du quartier de Beltran & Segui

L’avenir n’est pas tout tracé lorsqu’on habite les banlieues sans âme mais non sans violence de quelque ville de province française. On pourrait en dire autant des quartiers miséreux de Palma de Majorque, où Gabi Beltran a vécu il y a une quinzaine d’années. Cela offre des récits forts dans lesquels les anti-héros n’ont pas pour autant totalement baissé les bras et espèrent toujours en cette idée folle d’un meilleur découpage du gâteau…

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Au regard de l’actualité qui défile sur nos écrans, scrupuleusement choisie pour attiser la peur et le repliement sur soi, nous pourrions être tentés de dire que le déterminisme social n’a jamais joué un rôle aussi évident. La pauvreté engendre la pauvreté et les couches sociales défavorisées deviennent, face aux richesses qui s’amoncellent dans les portefeuilles trop étroits des nantis, des délinquants potentiels qui n’ont plus rien à perdre… puisque ils ne possèdent rien. Le danger guette donc de toute part et dans ce contexte morose le mal n’a pas fini de gagner du terrain… chaque jour davantage.  

ma_reverence_couverture[1]A vrai dire tout ne plaide pas en faveur de Vincent et de Gaby, deux zigotos qui déambulent dans un quartier défavorisé d’une charmante commune de province. Le premier, jeans usés, le clope en travers et les yeux fatigués se fait les nerfs sur une cabine téléphonique alors qu’il semble s’époumoner dans une conversation vitale sur son devenir et celui qu’il réserve à ses proches. Le second écume les bars en arborant sa veste en cuir, sa banane dégarnie et son franc-parler qui le classe directement dans la catégorie des has been, pour être gentil, qui plus est un tantinet raciste, pas toujours très fin connaisseur des classiques de la littérature et assurément pas très fin du tout sur bien d’autres sujets. Parfois les spotlights se tournent vers des destins plus sympathiques, des gars plutôt virils, friqués à souhait, placés dans des contextes plus glamour qui parcourent les beaux quartiers avec des filles blondes aux longues jambes, dont le petit cul coincé dans une jupe trop courte taille 34 émoustille les passants. Vincent et Gaby n’entrent pas dans ce moule. Pour être honnête ils sont même plutôt loin d’y rentrer, mais ils gardent en eux un secret qui devrait changer la donne : ils préparent l’attaque d’un fourgon blindé qui pourrait bien leur faire toucher le pactole. Pour cela le plan de Vincent, le cerveau de cette bande à deux, semble infaillible…

Avec ce récit placé au cœur de la cité, dans un univers fait de barres de quinze étages, Wilfrid Lupano nous offre un album humain sur le destin de deux laissés pour compte de la société de (sur)consommation. L’attaque du fourgon blindé censé leur ouvrir les portes d’un avenir meilleur leur donne même l’étiquette de Robin des bois des temps modernes puisqu’une part du butin est prévue alimenter de grandes causes en Afrique, tandis qu’une autre est destinée aux convoyeurs pour le préjudice moral ! Rien de bien classique il faut l’avouer. Lupano donne vie à ses personnages, au point que, malgré tout, on essaye de leur trouver du bon. Le découpage dynamique qui se construit autour de flashs-back et de projections sur l’avenir porte le lecteur qui semble presque intégré à cette équipée sur laquelle on ne miserait pas un kopek. Le dessin de Rodguen (plus connu dans l’animation pour Dreamworks) est en osmose parfaite avec le récit qu’il soutien. La description de l’univers de Vincent et Gaby et leurs déambulations nocturnes se trouvent ainsi dépeintes avec réalisme et force. Un récit dont Lupano avoue qu’il s’agit de bouts d’histoires vraies qu’il a entendu alors qu’il travaillait de nuit dans des bars. Histoires qu’il a compilées pour en faire une seule. Un très grand Lupano !

Histoires du quartierCelui qui a traversé au début des années 2000 le Barrio Chino de Palma de Majorque pourra témoigner. Le quartier n’inspire pas confiance et si l’on s’y perd c’est essentiellement pour deux raisons, soit on y cherche l’amour tarifé soit on espère y trouver une pension très bon marché. Lorsque le destin a voulu que l’on n’y naisse, le handicap de départ parait difficile à surpasser. Certes toute vie n’est pas impossible mais celui qui y réside devra faire montre d’un sacré détachement et d’un espoir de fuite possible pour colorer un peu son quotidien. Gabi Beltran a vécu dans le Barrio Chino et les histoires du quartier qu’il nous livre dans cet épais volume témoignent de ce que fut ce secteur de Palma durant les années 80/90. Une zone où les prostituées pullulent pour satisfaire nombre de client de passage dont un grand flot de marins américains ou d’ailleurs. La drogue, la violence et toutes les formes de délinquance y trouvent un terrain propice de développement. Dans ce contexte chaque scène du quotidien donne lieu à des souvenirs que l’auteur a voulu retranscrire ici avec l’aide de Bartolomé Segui.

Pour améliorer son quotidien le jeune Gabi s’adonnera à maintes activités licites ou illicites qui lui permettront d’acheter des comics et de s’adonner au dessin. Avec Benjamin il arpente le port à la recherche de marins voulant se donner du bon temps. En leur indiquant le chemin vers les maisons dédiées, les deux gamins se trouvaient récompensés d’une petite pièce de la part des futurs consommateurs de plaisirs et d’une autre de la maison de passe pour laquelle ils faisaient rabatteur.  Gabi aimait parfois entrer dans ces lieux interdits pour observer les femmes assises sur leur tabouret haut dans des décollettes laissant apparaitre des formes généreuses et inconnues de lui. Parfois il s’endormait avec de doux rêves d’enfants. De sa rencontre avec Monsieur Paco l’adolescent garde le souvenir d’un homme vieux habité de tics de langage et porté sur la bouteille. En acceptant d’aller lui remplir à la cave voisine des bouteilles de vin blanc, il gagnait une petite pièce. Parfois encore avec ses amis Falen, Benjamin et Arnaud il vendait des journaux aux feux placés le long des artères principales de Palma. Et puis, en grandissant un peu, l’adolescent rencontre des figures locales telles Ramos et Cardona, des petites frappes avec lesquelles il participait à des virées nocturnes dans des voitures volées.

Dans cet album témoignage, Gabi Beltran livre le voile sur une jeunesse qui aurait pu lui faire entrevoir un destin tout autre. Le scénariste y décrit avec ses souvenirs et sans emphase le concret de sa vie dans les années 80/90 à Palma. Récit sensible qui ne vire pas dans la mièvrerie, Histoires du quartier aborde l’éveil d’un jeune homme aux réalités sociales. La dureté du travail d’un père accablé, la violence comme réponse à cette exclusion du système. Pour autant Gabi offre des récits teintés d’espoir dans lesquels il observe les choses avec ce regard d’enfant mais aussi ce regard d’adulte qui revient sur ses pas quinze ans plus tard. Beaucoup de ses amis d’alors ont connu des destins tragiques et l’auteur mesure la chance qui fut la sienne. Une chance au milieu de tant de vies sacrifiées…

Lupano/Rodguen – Ma révérence – Delcourt – 2013 – 17,95 euros
Beltran/Segui – Histoires du quartier – Gallimard BD – 2013 – 18 euros


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