Ceux qui ont survécu au piège des Dardanelles gouteront au plaisir des tranchées ! Tel est le cadeau offert par l’Empire britannique à ses lointains soldats. Les illusions vite estompées laisseront place à une horreur d’autant plus abjecte, que les hommes se sentent utilisés comme chair à canon dans un conflit qui les dépasse. Plongée en enfer…
Après avoir combattu vaillamment lors de la bataille des Dardanelles, les soldats australiens ayant survécu se voient offrir le luxe de participer à un combat tout aussi intense, qui se joue sur le vieux continent : la guerre des tranchées dans le Nord de la France. Le premier contact des hommes de troupes avec le sol français laisse rêveur ceux qui, il y a encore quelques jours, se battaient dans l’enfer turc sur des terrains sauvages et exposés desquels la vie ne tenait qu’à un fil. Leur arrivée à Marseille en mars 1916, se fait dans la liesse populaire. Et pour cause, le moral est au plus bas parmi la population qui vit depuis plusieurs mois au rythme des annonces de soldats, qu’ils soient fils ou maris, morts dans les tranchées. L’espoir, puisqu’il faut bien croire en quelque chose, passera par ces quelques soldats, symboles d’un conflit mondial, qui affichent leur fierté de parvenir sur des terres censées être plus hospitalières et qui seront subjugués par la beauté de Marseille et de ses femmes souriantes. Après une nuit de transit et avant de prendre le train en gare St-Charles, quelques hommes décident de faire le mur pour aller boire quelques verres et s’acoquiner avec les filles de joies de la cité phocéenne. Ce moment de calme et de chaleur humaine rompt avec la noirceur d’une guerre par trop meurtrière qui, au nom de rancœurs passées, n’hésite pas à décimer deux des nations fortes du vieux continent. Arrivés dans le Nord de la France, les soldats de l’Empire britannique découvrent des terres désolées où le soleil, la veille si flamboyant, s’est blotti dans un épais manteau nuageux. Les autochtones n’ont pas les mêmes sourires que ceux affichés sur la Méditerranée. Peut-être en raison du temps ou plus sûrement du climat ambiant et de la résonnance des combats qui se jouent plus au nord dans une zone où la vie ne tient plus qu’à un fil. Les hommes, du lieutenant-colonel Stucker en passant par le lieutenant Upfield et Thomas Freeman, l’aborigène ainsi que tous leurs compagnons d’infortunes vont connaitre l’enfer…
Après un premier tome dépaysant construit dans le détroit des Dardanelles, Stéphane Antoni et Olivier Ormière nous livrent un second volet qui aurait pu s’engluer dans le ressassé peu stimulant des récits de tranchées classiques. Pourtant, grâce à un scénario habile où le conflit en lui-même n’est abordé qu’à partir du second tiers de l’album, les auteurs font monter lentement la tension, une tension d’autant plus forte que les premières planches accompagnent l’insouciance du corps d’armée australien. La réflexion sur le sens de la guerre, la capacité de l’homme à répandre le mal, l’inutilité d’un conflit qui ne fascine que des leaders d’un haut état-major avide de pouvoir dans une société où l’armée possède encore la faculté d’engendrer des carrières gouvernementales, font du Temps du rêve un album singulier. Les horreurs classiques du premier conflit mondial sont abordées dans l’album mais n’en représentent pas le but ultime, et c’est sans doute en cela que le récit possède tout son attrait. Le fil rouge consacré à Thomas, l’aborigène qui essaye d’atteindre la plénitude, l’illumination qui le fera se rapprocher de ses ancêtres, apporte en outre au déroulé de l’album une saveur particulière teintée de mysticisme. Le dessin, quant à lui, retranscrit parfaitement les tensions, les horreurs du conflit et donne à voir des personnages attachants qui se posent en observateurs d’un monde dont ils ne comprennent pas la soif de mort et de vengeance. Un récit fort, qui mérite une lecture attentive.
Antoni/Ormière – Le Temps du rêve T2 – Delcourt – 2013 – 13, 95 euros
A lire : Chronique de l’album Le Temps du rêve T1