Vaincre les sommets n’est peut-être pas aussi prestigieux que la découverte de nouvelles terres riches et prometteuses, pour autant c’est l’appel aux rêves fous d’amoureux d’alpinisme, d’exploits sportifs et de défis insensés. Le parcours du sherpa Tenzing que rien ne destinait à être de cette cordée glorieuse vers le sommet de l’Everest révèle aussi le sort de ces hommes de l’ombre tout aussi valeureux que ceux pour qui ils se dévouent. Retour sur l’exploit d’un népalais passé dans la légende…
Il est des conquêtes qui ont changé l’histoire de notre monde, de notre ancien monde et de ses croyances obscures en une terre moins vaste qu’elle n’est vraiment. Des continents ont été explorés, des terres sans fin aux richesses nouvelles, l’Amérique, l’Océanie, l’Antarctique, l’Arctique, les contreforts de l’Afrique, de multiples îles perdues sur des océans plus ou moins hostiles. Si ces découvertes, entreprises pour la plupart entre le XVIème et le XIXème siècles, ont redessinées la carte de notre monde connu, d’autres n’ont eu pour but que de repousser les limites physiques de l’homme qui, à défaut de nouvelles terres à conquérir, a souhaité maîtriser celles connues de lui. Les ascensions qu’entreprirent les alpinistes anglais, suisses ou français au XXème siècle, en Europe puis en Asie et plus particulièrement dans l’Himalaya, toit de notre Terre, participaient de ce souci non pas de domestiquer de nouveaux espaces mais de vaincre les limites de l’homme. Par défi, par fierté, pour l’honneur d’une nation, pour vaincre certaines peurs et partir de l’avant. A l’échelle de notre histoire les conquêtes des sommets himalayens sont plutôt récents. Les premiers à ouvrir ces nouvelles voies, furent les français Maurice Herzog et Louis Lachenal dans l’Annapurna en juin 1950. A cette suite les grandes nations de ce monde se mirent en tête de gravir les 13 autres sommets à plus de 8000 mètres de notre belle Terre bleue, avec pour objectif avoué la conquête du mythique Everest dont le nom, emprunté à un célèbre géographe anglais, résonne encore comme l’exploit ultime de tout alpiniste, malgré les risques et l’inconstance du climat qui participent à rendre l’ascension fabuleuse aux yeux des hommes « ordinaires » que nous sommes.
Nous sommes fin mai 1952. Une expédition suisse entend précéder les redoutables Anglais dans la conquête de l’Everest. A sa tête Raymond Lambert accompagné de Tenzing Norgay, un sherpa de luxe, qui connait les lieux, le climat, et la difficulté à avancer en terrain hostile. Malgré une avancée méritante qui fait d’eux les hommes les plus hauts du monde, les deux hommes doivent rebrousser chemin en raison d’un vent trop fort. Quelques mois plus tard, et dans la crainte de voir le sommet leur échapper, les Anglais, financés par le Duc d’Edimbourg, vont mettre tout en œuvre pour arriver à leurs fins et cela passera par le choix d’un sirdar – chef des porteurs – digne de ce nom : Tenzing Norgay. Ou la conquête ultime du sommet des Dieux…
La collection Explora initiée par Christian Clot, ici scénariste, s’étoffe. Après une ouverture de luxe consacrée à Magellan et Mary Kingsley, Burton et Fawcett ont eu le privilège de voir leurs exploits mis en cases par la fine équipe qui travaille à retranscrire les récits des grands explorateurs des temps passés. Ce nouvel opus dédié à Tenzing surprend car il relate les exploits d’un de ces héros de l’ombre. Sherpa de luxe pour de riches notables anglais, l’homme des montagnes sera le second, à grimper sur le toit du monde mais qu’importe le privilège de ne pas avoir foulé le sol de l’Everest le premier – chose réalisée par son compagnon de cordée le Néo-zélandais Edmund Hillary – car j’étais simplement au sommet de mon rêve. Le récit présente un homme franc, à dimension humaine épris d’un rêve de gosse et qui mettra tout en œuvre pour le réaliser. Les chances qu’il avait d’y parvenir, lui, le simple indigène, homme de sous-rang, dénigré par une partie de ses pairs au nom du sublime Empire britannique et de sa puissance souveraine, étaient bien minces et pourtant… Jean-Baptiste Hostache au dessin arrive à saisir l’ambiance d’une époque, les tensions palpables, les enjeux politiques et symboliques d’une ascension devenue mythique. Une belle réussite à la hauteur des ambitions de cette collection.
Clot & Hostache – Tenzing – Glénat – 2013 – 14,95 euros